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tous les rebelles; et que d'autres, enfin, conviaient l'Espagne, la Suisse, et le Roi de Piémont de venir mettre la France à la raison, elles contribuaient non moins puissamment que le succès de l'armée impériale, à détacher de la cause des Bourbons, tous les Français ennemis de la trahison, des potences et des étrangers.

Le général Grouchy, informé de la retraite du duc d'Angoulême, mit des troupes légères à sa poursuite; la plupart des chasseurs du 14 et des artilleurs se réunirent aux impériaux. Les volontaires du Midi, qui jusqu'alors n'avaient point mis de bornes à leurs présomptueuses espérances, ne surent point en mettre à leur frayeur; aussi làches dans le malheur qu'arrogants dans la prospérité, ils abandonnèrent leur général à l'approche du danger, et tous, à l'exception de quelques centaines de braves, cherchèrent leur salut. dans la fuite.

Le duc d'Angoulême, entouré des faibles débris de leurs bataillons et du 10° de ligne toujours fidèle, continuait jour et nuit sa marche rétrograde, et traversait silencieusement les lieux que son armée quelques jours auparavant avait fait retentir de ses cris de victoire; les montagnards, qui avaient cu tant à souffrir des exactions et des mauvais traitements des volontaires royaux, répétaient à leur tour: Malheur aux vaincus! et ne permettaient point au duc d'Angoulême et aux siens de goûter un seul instant de repos. Pressé d'un côté par les colonnes de Grouchy, de l'autre par les troupes du général Gilly; enfermé, sans espoir de secours, entre la Drôme, le Rhône, la Durance et les

MÉMOIRES.

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montagnes, le duc d'Angoulême n'avait que deux ressources; l'une d'abandonner son armée, et de gagner, à travers les montagnes, Marseille ou le Piémont; l'autre de se soumettre avec ses compagnons d'infortune aux lois du vainqueur. Le prince ne voulut point séparer son sort de celui de son armée. Il consentit à se rendre. Le baron de Damas et le général Gilly réglèrent les articles de la capitulation, et il fut convenu que le Prince licencierait son armée, et s'embarquerait à Cette. La dépêche télégraphique, annonçant cette nouvelle, fut apportée sur-le-champ à l'Empereur par le duc de Bassano, et ce ministre, malgré l'opposition de plusieurs personnages, décida Napoléon à répondre par le télégraphe qu'il approuvait la capitulation. Au même instant, une seconde dépêche annonça que le général Grouchy n'avait pas cru devoir autoriser, sans l'aveu de l'Empereur, l'exécution de la convention, et que le duc d'Angoulême s'était constitué prisonnier. M. de Bassano se hâta de transmettre les premiers ordres de Napoléon, et ne l'instruisit de l'annulation de la convention que lorsque l'obscurité de la nuit eut rendu impossible toute communication télégraphique. L'Empereur eut connaissance de la noble hardiesse de son ministre, et au lieu de le gronder, il lui dicta la lettre suivante :

« M. le comte Grouchy, l'ordonnance du Roi en date du 6 mars, et la déclaration signée le 13 à Vienne par ses ministres, pourraient m'autoriser à traiter le duc d'Angoulême comme cette ordonnance et cette déclaration voulaient qu'on me traitàt moi et ma famille; mais constant dans les dispositions qui m'avaient

porté à ordonner que les membres de la famille des Bourbons puissent sortir librement de France, mon intention est que vous donniez des ordres pour que le duc d'Angoulême soit conduit à Cette, où il sera embarqué, et que vous veillez à sa sûreté et à écarter de sa personne tout mauvais traitement. Vous aurez soin seulement de retirer les fonds qui ont été enlevés des caisses publiques, et de demander au Duc d'Angoulême, qu'il s'oblige à la restitution des diamants de la couronne, qui sont la propriété de la nation*. Vous lui ferez connaître en même temps les dispositions. des lois des Assemblées Nationales, qui ont été renouvelées et qui s'appliquent aux membres de la famille des Bourbons qui rentreraient sur le territoire français., » etc.

Le duc d'Angoulême, en attendant la décision de Napoléon, fut gardé à vue. Il supporta cette nouvelle disgrâce avec calme et fermeté. Le marquis de Rivière, informé de sa détention, menaca le comte de Grouchy, s'il ne lui rendait point la liberté, de livrer Marseille aux Anglais, et de faire insurger toute la Provence. Ces vaines menaces restèrent sans effet. Le sort du duc ne dépendait point du comte de Grouchy; ce· n'était qu'à contre-cœur qu'il avait osé porter sur ce prince une main sacrilège, et il faisait des vœux pour

* Les diamants que l'on voulait obtenir en échange du duc d'Angoulême représentaient une valeur de quarante millions. Le duc d'Otrante proposa à l'Empereur de donner M. de Vitrolles par dessus le marché si l'on voulait les restituer; l'Empereur y consentit très volontiers. Le duc d'Otrante entama une négociation à cet égard, qui n'eut d'autre résultat que de lui procurer l'occasion de correspondre plus à son aise avec Gand.

que la décision de l'Empereur lui permit de briser ses chaînes.

Aussitôt que cette décision lui parvint, le général s'empressa d'assurer à M. le duc d'Angoulême les moyens de s'embarquer promptement, et prit avec un zèle religieux les mesures nécessaires pour qu'il fût traité sur son passage avec le respect qui lui était dù. Le Prince, arriva à Cette, s'embarqua sur-le-champ, et se dirigea vers Cadix.

Sa capitulation et son départ entraînèrent bientôt la soumission de Marseille; et grâce à la prudence et à la fermeté du Prince d'Essling, gouverneur de la division, le drapeau royal fut abattu, et remplacé par le drapeau tricolore, sans désordre et sans effusion de sang.

L'Empereur nomma le général Grouchy maréchal d'Empire, non point qu'il fût émerveillé de sa conduite, car il savait qu'il n'avait pressé que mollement le duc d'Angoulême, mais pour donner de l'éclat à la disgrâce du Prince et décourager les royalistes des autres parties de la France. Voulant en même temps punir la trahison commise par le 10 au passage de la Drôme, il décréta que ce régiment porterait un crêpe à son drapeau jusqu'à ce qu'il eût lavé dans le sang ennemi, les armes qu'il avait trempées dans le sang français*.

L'Empereur apprit par le télégraphe la soumission de Marseille, et l'entière pacification du midi au

*Il fut reconnu par le duc d'Albufera que cette trahison prétendue était l'effet de la méprise que j'ai rapportée plus haut, et le décret n'eut point de suite.

moment où il allait passer en revue la garde nationale de Paris. C'était toujours dans de semblables circonstances que les grandes nouvelles parvenaient à l'Empereur; il semblait que la fortune, soigneuse de lui plaire, voulait encore embellir ses dons en les lui offrant à propos. Depuis son arrivée, il avait eu constamment le dessein de passer cette revue, mais l'inspection successive des troupes de ligné l'en avait détourné. On ne manque point d'attribuer ce retard si facile à expliquer, à la crainte que lui inspiraient les baïonnettes et les sentiments des légions de Paris. Sur ces entrefaites quelques grenadiers ex-volontaires royaux se répandirent contre lui en menaces, en imprécations, et il n'en fallut pas davantage pour alarmer les trembleurs de sa cour. Ils conjurèrent Napoléon de mêler à la revue, par précaution, quelques bataillons de sa garde; l'Empereur rejeta leurs prières et s'offensa de leurs. terreurs; néanmoins ils le firent accompagner à son insu par dix ou douze grenadiers,, à qui l'on recommanda de ne point le perdre de vue un seul instant.

Tant que l'Empereur avait passé au pas dans les rangs, son escorte l'avait suivi sans qu'il y fit attention. Mais quand il prit le galop, il s'aperçut que ses grenadiers galopaient avec lui, il s'arrêta: Que fais-tu là? dit-il à l'un d'eux, va-t-en! Le vieux grognard*, qui savait qu'on craignait pour la vie de son général, fit mine de résister; l'Empereur le prit alors par son bonnet à poil, et le secouant fortement, lui répéta en riant l'ordre de se retirer : « Je veux que vous vous en alliez tous. Je ne suis entouré que de bons Français, je

* C'était un sobriquet donné par Napoléon à ses vieux grenadiers.

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