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tretien proposé par le duc de Vicence, finit aussi par l'accepter. Il fut convenu qu'ils se rencontreraient chez mademoiselle Cauchelet, dame du palais de la princesse Hortense.

M. de Jaucourt avait oublié dans le portefeuille des affaires étrangères, un traité secret par lequel l'Angleterre, l'Autriche et la France s'étaient mutuellement engagées à s'opposer de gré ou de force au démembrement de la Saxe que conspiraient ouvertement la Russie et la Prusse.

L'Empereur pensa que ce traité pourrait peut-être aliéner aux Bourbons l'intérêt de ces deux puissances et jeter parmi les alliés la défiance et la discorde. Il ordonna au duc de Vicence de le mettre sous les yeux du ministre russe, et de le lui présenter comme une preuve nouvelle de l'ingratitude dont la cour des Tuileries payait les nombreux bienfaits de l'Empereur Alexandre. L'existence de cette triple alliance était ignorée de M. de Boudiakeen, et parut lui faire éprouver autant de surprise que de mécontentement. Mais il déclara que les principes de son souverain lui étaient trop connus pour qu'il osât se flatter que la circonstance de ce trailé, ou tout autre pût opérer dans ses dispositions quelque changement favorable. Il promit cependant de lui reporter fidèlement l'entretien qu'il avait eu avec M. de Vicence, et de lui exprimer le désir manifesté par l'Empereur Napoléon de redevenir l'allié et l'ami de la Russie.

L'Empereur, pour donner plus d'empire à ses propositions, chargea la Princesse Hortense de les confirmer personnellement à l'Empereur Alexandre. Il fit

écrire aussi au Prince Eugène et à la grande duchesse Stéphanie de Bade, pour les inviter à renouveler les mêmes assurances à ce souverain, et à ne négliger aucun moyen de le détacher de la coalition.

L'Empereur, enfin, fit faire des ouvertures au cabinet de Londres par l'intermédiaire d'un personnage indiqué par le duc d'Otrante; et pour captiver les suffrages du Parlement, et donner au ministère anglais un gage anticipé de ses bonnes dispositions, il abolit par un décret spontané la traite des nègres.

Après avoir usé de ces voies détournées, Napoléon pensa qu'il était de son devoir comme de sa dignité, de donner à la manifestation de ses dispositions pacifiques un caractère authentique et solennel.

Il écrivit done aux souverains étrangers, une lettre ainsi conçue :

<< Monsieur mon Frère,

« Vous aurez appris dans le cours du mois dernier, mon retour sur les côtes de France, mon entrée à Paris, et le départ de la famille des Bourbons. La véritable nature de ces événements doit être maintenant connue de Votre Majesté: ils sont l'ouvrage, d'une irrésistible puissance, l'ouvrage et la volonté unanime d'une grande nation qui connaît ses devoirs et ses droits. La dynastie que la force avait rendue au peuple Français n'était point faite pour lui: les Bourbons n'ont voulu s'associer ni à ses sentiments, ni à ses mœurs. La France a dû se séparer d'eux. Sa voix appelait un libérateur : l'attente qui m'avait décidé au plus grand

des sacrifices avait été trompée. Je suis venu, et du point où j'ai touché le rivage, l'amour de mes peuples m'a porté jusqu'au sein de ma capitale. Le premier besoin de mon cœur est de payer tant d'affection par le maintien d'une honorable tranquillité. Le rétablissement du trône impérial étant nécessaire au bonheur des Français, ma plus douce pensée est de la rendre en même temps utile à l'affermissement du repos de l'Europe. Assez de gloire a illustré tour à tour les drapeaux des diverses nations, les vicissitudes du sort ont assez fait succéder de grands revers et de grands succès; une plus belle arêne est aujourd'hui ouverte aux souverains, et je suis le premier à y descendre. Après avoir présenté au monde le spectacle de grands combats, il sera plus doux de ne connaître désormais d'autres rivalités que celles des avantages de la paix, d'autre lutte que la lutte sainte de la félicité des peuples. La France se plaît à proclamer avec franchise ce noble but de tous ses vœux. Jalouse de son indépendance, le principe invariable de sa politique sera le respect le plus absolu pour l'indépendance des autres nations: si tels sont, comme j'en ai l'heureuse confiance, les sentiments personnels de Votre Majesté, le calme général est assuré pour longtemps, et la justice assise aux confins des Etats, suffit pour en garder les frontières. »

Paris, ce 4 avril.

Le duc de Vicence reçut l'ordre d'exprimer personnellement aux ministres étrangers les sentiments dont l'Empereur était animé; mais les courriers porteurs

de ses dépêches ne purent parvenir à leur destination : l'un fut arrêté à Kelh, un autre à Mayence; un troisième, expédié en Italie, ne put dépasser Turin, les communications étaient interrompues. On se conformait déjà aux dispositions de la déclaration du Congrès de Vienne du 13 mars.

Cette déclaration, transmise directement par les émissaires du Roi aux préfets de villes frontières, et propagée par les royalistes, circulait dans Paris. Les petits journaux avaient signalé son apparition et s'étaient réunis pour affirmer qu'un tel acte était indigne des monarques alliés et ne pouvait être l'ouvrage que de la malveillance et de la calomnie.

Cependant, comme il ne devenait plus possible de révoquer en doute sa légitimité, il fallut bien se résoudre à ne plus en faire un mystère à la France, et il en fut rendu compte ainsi le 13 avril dans le Moniteur.

CONSEIL DES MINISTRES

Séance du 29 Mars.

Le duc d'Otrante, Ministre de la Police Générale, expose qu'il va donner lecture d'une Déclaration, datée de Vienne, le 13, et qu'on suppose émanée du Congrès;

Que celte déclaration, provoquant l'assassinat de l'Empereur, lui paraît apocryphe; que si elle pouvait être vraie, elle serait sans exemple dans l'histoire du monde; que le style de libelle dans lequel elle est écrite donne lieu de penser qu'il faut la classer au nombre de ces pièces fabriquées par l'esprit de parti, et

par des folliculaires qui, sans mission, se sont dans ces derniers temps ingérés dans toutes les affaires de l'État; qu'elle est supposée signée des ministres anglais, et qu'il est impossible de penser que les ministres d'une nation libre, et surtout lord Wellington, aient pu faire une démarche contraire à la législation de leur pays et à leurs caractères: qu'elle est supposée signée des ministres d'Autriche, et qu'il est impossible de concevoir, quelques dissentiments politiques qui existassent d'ailleurs, qu'un père pût appeler l'assassinat sur son fils; que contraire à tout principe de morale et de religion, elle est attentatoire au caractère de loyauté des souverains dont les libellistes compromettent ainsi les mandataires; que cette déclaration est connue depuis plusieurs jours, mais que par les considérations qui viennent d'être déduites, elle avait dû être considérée comme digne d'un profond mépris ; qu'elle n'a été jugée devoir fixer l'attention du ministère que que lorsque des rapports officiels, venus de Metz et de Strasbourg ont fait connaitre qu'elle a été apportée en France par des courriers du Prince de Bénévent; fait constaté par le résultat de l'enquête qui a eu lieu, et des interrogatoires qui ont été subis ; qu'enfin il est démontré que cette pièce, qui ne peut pas avoir été signée par les ministres d'Autriche, de la Russie, de l'Angleterre, est émanée de la légation du comte de Lille à Vienne, laquelle légation a ajouté au crime de provoquer l'assassinat, celui de falsifier la signature des membres du Congrès.

La prétendue déclaration du Congrès, les rapports de Metz et de Strasbourg, ainsi que l'enquête et les inter

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