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voir la pensée qu'elle céderait à leurs menaces et consentirait lâchement à leur livrer Napoléon.

Napoléon n'eût-il été qu'un simple citoyen, il aurait suffi qu'on eût voulu violer d'autorité dans sa personne les droits des hommes et des nations pour que les Français, ceux-là du moins qui sont dignes de ce nom, se fussent crus obligés de le protéger et de le défendre.

Mais Napoléon n'était point seulement un simple citoyen, il était le chef de la France; c'était pour l'avoir agrandie par ses conquêtes, illustrée par ses victoires, que les étrangers proscrivaient sa tête et les âmes les plus timides comme les plus généreuses se firent un devoir sacré de le placer sous la sauvegarde de la nation et de l'honneur français.

Ainsi la Déclaration du Congrès au lieu d'intimider la France, accrut son courage; au lieu d'isoler Napoléon des Français, elle resserra davantage les liens qui les unissaient; au lieu d'appeler sur sa tête la vindicte publique, elle la rendit plus précieuse et plus chère.

Si Napoléon, mettant à profit ces sentiments généreux, eût dit aux Français : « Vous m'avez rendu la couronne, les étrangers veulent me l'arracher, je suis prêt à la défendre ou à la déposer, parlez », la nation entière aurait entendu le langage de Napoléon, et se serait levée pour faire respecter le souverain de son choix.

Mais Napoléon avait d'autres pensées : il regardait la Déclaration du Congrès comme un acte de circonstance, qui avait eu pour objet, à l'époque où il fut souscrit par les alliés, de soutenir le courage des royalistes,

et de rendre aux Bourbons la confiance et la force morale qu'ils avaient perdues.

Il pensait que son entrée à Paris, et l'entière pacification du Midi, avaient entièrement changé l'état des choses; et il espérait que les étrangers finiraient par le reconnaître lorsqu'ils seraient convaincus qu'il avait été rétabli sur le trône par l'assentiment unanime des Français, et que ses idées de conquête et de domination avaient fait place au désir réel de respecter le repos et l'indépendance de ses voisins, et de vivre avec eux en bonne harmonie.

Il calculait enfin, qu'il était de la sagesse et de l'intérêt des alliés de ne point s'engager dans une guerre, dont les résultats ne pouvaient leur être favorables : « Ils sentiront qu'ils n'auront point à faire, cette fois, à la France de 1814; et que leurs succès, s'ils parvenaient à en obtenir, ne seraient plus décisifs, et ne serviraient qu'à rendre la guerre plus opiniâtre et plus meurtrière; tandis que, si la victoire me favorise, je puis redevenir aussi redoutable que jamais. J'ai pour moi la Belgique, les provinces du Rhin, et avec une proclamation et un drapeau tricolore, je les révolutionnerais en vingt-quatre heures. >>

Le traité du 25 mars, par lequel les grandes puissances, en renouvelant les dispositions du traité de Chaumont, s'engageaient de rechef à ne point déposer les armes tant que Napoléon serait sur le trône, ne lui parut que la conséquence naturelle de l'acte du 13 mars, et de l'opinion erronée que les alliés s'étaient formée de la France. Il pensa qu'il ne changerait rien à l'état de la question, et se détermina, malgré ce

traité et l'affront fait à ses premières ouvertures, de tenter, itérativement, de faire entendre à Vienne le langage de la vérité, de la raison et de la paix.

M. le baron de Stassart, ancien auditeur au Conseil d'État, ancien préfet, était devenu depuis la restauration, chambellan d'Autriche ou de Bavière; il se trouvait à Paris. L'Empereur, espérant qu'il pourrait, à la faveur de sa qualité de chambellan, pénétrer jusqu'à Vienne, le chargea d'une mission pour l'Impératrice Marie-Louise, et de nouvelles dépêches pour l'Empereur d'Autriche. Napoléon en même temps eut recours à un autre moyen il connaissait les rapports et les liaisons de MM. D. de St L*** et de Mont*** avec le prince de Talleyrand, et persuadé que M. de Talleyrand leur ferait obtenir l'autorisation de se rendre à Vienne, il résolut de les y envoyer. Il ne se dissimulait point qu'ils n'accepteraient cette mission que pour servir plus à l'aise la cause royale; mais peu lui importait leurs intrigues avec le roi, pourvu qu'ils remissent et rapportassent avec exactitude les dépêches qui leur seraient confiées*.

Le roi, et ce qui se passait à Gand, ne l'intéressait d'ailleurs que médiocrement; c'était sur Vienne que

* Par une singularité assez plaisante, de tous les hommes à deux fins dont se servit l'Empereur, aucun ne lui inspira plus de confiance que M. de Mont ***. Il l'avait autrefois maltraité, persécuté et exilé; il savait qu'il le détestait et qu'il était l'ami le plus intime de M. de Talleyrand; mais il connaissait aussi la tournure d'esprit de M. de Mont***, et il pensa qu'il trouverait un charme infini à bien remplir sa mission et à rouler M. de Talleyrand, qui se flattait de ne l'avoir jamais été par personne. J'ignore si M. de Mont*** trouva piquant ou non d'attraper M. de Talleyrand: ce que je sais, c'est qu'il justifia l'attente de Napoléon, et lui rapporta intactes les lettres que M. de Men*** lui remit.

MÉMOIRES. - I

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se reportaient ses regards inquiets; et convaincu de l'influence que pouvait y exercer M. de Talleyrand, il chargea spécialement M*** de lui offrir ses bonnes grâces, et de l'argent, s'il voulait abandonner les Bourbons, et faire tourner au profit de la cause impériale ses talents et son expérience.

L'Empereur, qui ne cessait point d'espérer que ses soins, le temps et la réflexion pourraient amener quelques changements dans les résolutions des alliés, n'apprit pas sans un extrême déplaisir que le Roi de Naples avait commencé les hostilités.

Ce prince, depuis longtemps, était mécontent de la complaisance avec laquelle les monarques alliés écoutaient les protestations de la France, de la Savoie et de l'Espagne; et quoique sa couronne lui eût été garantie par un pacte solennel par l'Autriche et par des déclarations formelles de la Russie et de l'Angleterre, il prévoyait que le dogme de la légitimité l'emporterait sur la foi des traités, et que l'Autriche, quoique ayant intérêt à ne point laisser placer une couronne de plus dans la maison des Bourbons, serait obligée de souscrire à la volonté unanime des autres puissances.

La crainte d'être renversé du trône et la résolution de s'y maintenir obsédaient donc Joachim, lorsque la nouvelle de l'heureux débarquement de Napoléon parvint à Naples.

L'horreur que la domination autrichienne inspirait aux Italiens; l'attachement qu'ils avaient conservé à Napoléon; la joie qu'ils firent éclater en apprenant son départ de l'ile d'Elbe, persuadèrent au Roi qu'il lui serait facile de soulever l'Italie; et il se flatta

d'amener les alliés, soit par la force des armes, soi par la voie des négociations, à lui garantir irrévocablement la possession de son royaume.

Voulant, d'un autre côté, se ménager, en cas de non succès, la protection de Napoléon, il lui dépêcha secrètement un émissaire pour le féliciter, et lui annoncer que, dans l'intention de seconder ses opérations, il allait attaquer les Autrichiens, et que si la victoire répondait à ses vœux, il irait bientôt le rejoindre avec une armée formidable: « enfin, lui écrivait-il, le moment de réparer mes torts envers Votre Majesté, et de lui prouver mon dévouement, est arrivé; je ne le laisserai point échapper.

>>

Cette lettre que je déchiffrai, parvint à l'Empereur à Auxerre; et l'Empercur enjoignit sur-le-champ au roi de continuer à faire ses préparatifs, mais d'attendre pour commencer les hostilités qu'il lui en eût donné le signal. L'impatience et l'impétuosité naturelle de ce prince ne lui permirent même point d'attendre la réponse de Napoléon, et quand ses dépêches arrivèrent le gant était jeté.

Pour mieux déguiser ses projets, Joachim avait appelé, aussitôt la nouvelle du débarquement de Napoléon, les ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre, et leur avait assuré qu'il resterait fidèle à ses engagements. Quand il eut rassemblé son armée, (mise en mouvement sous le prétexte de renforcer ses troupes dans la Marche d'Ancône), il fondit à l'improviste sur les Autrichiens, et annonça aux Italiens, par une proclamation datée de Rimini le 31 mars, qu'il avait pris les armes pour affranchir l'Italie du joug de

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