s'il le fallait, pour la sainte cause de la patrie. Ce tableau n'est point exagéré, il est vrai, il est fidèle. amais plus beau spectacle ne s'offrit aux yeux de l'homme, ami de l'indépendance et de la gloire de son pays, que celui de l'enthousiasme et de la joie martiale dont étaient animés les habitants belliqueux de l'Alsace, de la Lorraine, de la Bourgogne, de la Champagne, et des Vosges. Les routes étaient couvertes de chars chargés de jeunes guerriers, qui volaient en chantant au posle d'honneur que Napoléon leur avait assigné; les populations des villes et des villages les accueillaient sur leur passage par des applaudissements qui enflammaient leurs âmes d'une nouvelle ardeur, et les faisaient jouir par anticipation des acclamations et des louanges que leurs amis, leurs parents, leurs concitoyens leur prodigueraient à leur retour. La France semblait appelée à voir renaître sa grandeur éclipsée. Elle avait retrouvé toute son énergie : preuve évidente que la force des États est toujours l'ouvrage du Prince qui les gouverne. C'est lui, qui par la mollesse de son gouvernement, énerve l'esprit public et abatardit ses sujets; ou c'est lui qui leur inspire l'amour et l'orgueil de la patrie, et les porte à entreprendre tout ce qui peut en augmenter la puissance et la gloire. Pour resserrer encore davantage l'union des Français, et donner plus d'intensité à leur patriotisme, Napoléon autorisa le rétablissement des clubs populaires, et la formation de confédérations civiques. Cette fois, le succès ne répondit point à son attente. La majorité des clubs se remplirent des hommes qui composaient autrefois les sociétés et les tribunaux révolutionnaires, et leurs imprécations contre les rois, et leurs motions liberticides, firent craindre à l'Empereur d'avoir ressuscité l'anarchie. Les sentiments manifestés par les fédérés l'inquiétèrent également; il vit qu'il n'occupait point la première place dans leurs pensées, dans leurs affections; que le premier vœu de leurs cœurs était pour la liberté et comme cette liberté était à ses yeux synonyme de la République, il mit tous ses soins à modérer, à gêner, à comprimer le développement de ces patriotiques associations. Parmi les fédérés, il se trouvait peut-être des hommes dont les principes pouvaient être dangereux et les intentions criminelles; mais, en général, ils se composaient de patriotes purs, qui s'étaient armés pour défendre le gouvernement impérial et non point pour le renverser. Napoléon n'avait jamais été le maître de dompter l'éloignement que lui inspiraient les vétérans de la révolution. Il redoutait leur constance et leur audace; et se serait cru menacé ou perdu, s'ils avaient repris de la consistance et de l'ascendant. Celte terreur panique fut cause qu'il ne retira point des confédérations le parti qu'il s'en était promis, et qu'elles lui auraient offert indubitablement, s'il n'en eût point ralenti l'essor. Elle fut cause aussi qu'il fit peut-être une plus grande faute, celle d'arrêter les mouvements populaires, qui s'étaient manifestés dans la plupart des départements. Dans l'état de crise où il se trouvait, et dans lequel il avait entraîné la France, il ne devait dédaigner aucun moyen de salut; et le plus efficace, le plus analogue à sa position, était sans contredit de lier étroitement le peuple à son sort et à sa défense. Il fallait donc l'empêcher de répandre une seule goutte de sang, mais le laisser se compromettre avec quelques-uns de ces incorrigibles ultra, qui depuis la reslauration l'avaient vexé, maltraité, outragé. Le peuple aurait mieux senti alors, que ce n'était plus seulement la cause personnelle de Napoléon qu'il avait à défendre, et la crainte du châtiment et du joug lui aurait rendu celle ancienne exaltation si fatale à la première coalition. La modération que Napoléon adopta dans cette circonstance fut honorable, et non point politique. Il se conduisit comme il aurait pu le faire à l'époque où tous les partis, confondus et reconciliés, le reconnaissaient pour leur seul et unique souverain. Mais les choses étaient changées : il n'avait plus pour lui la France tout entière, et il fallait dès lors qu'il se conduisît plutôt en chef de parti qu'en souverain; et qu'il déployât, pour ainsi dire, toute la vigueur et l'énergie d'un factieux. L'énergie réunit les hommes en leur ôtant toute incertitude et en les entraînant violemment vers le but. La modération, au contraire, les divise et les énerve, parce qu'elle les abandonne à leurs irrésolutions, et leur laisse le loisir d'écouter leurs intérêts, leurs scrupules, et leurs craintes. Les soins que donnait l'Empereur à ses préparatifs militaires, ne l'empêchaient point de continuer à s'occuper du bien-être de l'État, et à chercher à se concilier, de plus en plus la confiance et l'affection publiques. Déjà, dans d'autres temps, il avait retiré de ses ruines, l'antique Université; de nouvelles bases plus larges, plus étendues, plus majestueuses avaient élevé cette noble institution à la hauteur du siècle et de la France. Mais l'éducation primaire ne répondait point aux efforts tentés pour l'améliorer et la répandre parmi les jeunes classes de la société. M. Carnot, dans un rapport où la plus douce philanthropie se trouvait alliée aux vues les plus sages et les plus élevées, fit apprécier à l'Empereur les avantages de la méthode des docteurs Bell et Lancaster, et le monarque et le ministre firent présent à la France, à la morale, et à l'humanité, de l'enseignement mutuel. L'Empereur, en détournant ses yeux de cette intéressante jeunesse, l'espoir de la patrie, les reporta sur les vieux soldats qui en avaient été jadis l'orgueil et le soutien. Une ordonnance royale avait expulsé de leur asile un assez grand nombre d'invalides, et leur avait ravi une partie de leurs dotations: un décret les rétablit dans leurs droits, et une visite, que fit l'Empereur à ces vétérans de la gloire, ajouta la grâce au bienfait. Il se rendit aussi à l'École Polytechnique; c'était la première fois qu'il s'offrait aux regards des élèves de cette école. Leur amour pour la liberté absolue, leur penchant pour les institutions républicaines, leur avait longtemps aliéné l'affection de l'Empereur; mais l'éclatante bravoure qu'ils déployèrent sous les murs de Paris leur rendit son estime et son amitié; et il fut satisfait (ce sont ses paroles) de retrouver une aussi belle occasion de se réconcilier avec eux. Le faubourg Saint-Antoine, ce berceau de la révolution, ne fut point oublié; l'Empereur le parcourut MÉMOIRES. - I 20 d'un bout à l'autre. Il se fit ouvrir les portes de tous les ateliers, et les examina dans le plus grand détail. Les nombreux ouvriers de la manufacture de M. Lenoir, qui avaient conservé précieusement la mémoire de ce que l'Empereur avait fait pour leur maître et pour eux, le comblèrent de témoignages de dévouement. Le commissaire de police du quartier avait suivi Napoléon dans cette manufacture, et, voulant donner l'exemple, il ouvrit la bouche jusqu'aux oreilles pour mieux crier à tue-tête, Vive l'Empereur! mais par un lapsus linguæ désespérant, il fit entendre, au contraire, un Vive le Roi! bien articulé. Grande rumeur! L'Empereur, se retournant vers cet homme, lui dit avec un ton railleur : « Eh! bien, M. le Commissaire, vous ne voulez donc point vous défaire de vos mauvaises habitudes. » Cette saillie devint le signal d'un rire général; le commissaire rassuré reprit sa revanche et plusieurs vivats vigoureux prouvèrent à Napoléon qu'on ne perd jamais rien pour attendre. L'Empereur n'était accompagné que de trois officiers de sa maison. Il leur fut impossible de le soustraire aux approches et aux caresses du peuple; les femmes baisaient sa main, les hommes la lui serraient à le faire crier; les uns et les autres lui exprimaient par mille propos que je ne puis transcrire, la différence qu'ils faisaient entre son prédécesseur et lui. Dans tous les temps, il avait été fort aimé de la classe des ouvriers et des artisans. Il l'avait enrichie; et l'intérêt chez le peuple, comme chez les grands, est le principal mobile des affections*. * Les revers de Napoléon avaient été si rapides que les possesseurs |