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ainsi. L'orateur du gouvernement, l'un des hommes qui a fait le plus de mal à la France et au roi, M. Ferrand, se livra, au contraire, suivant l'expression du rapporteur, à toute l'âcreté de ses ressentiments, et à toute la dépravation de ses principes. Aussi imprudent qu'insensé, il ne craignit point de déclarer dans l'enceinte de la représentation nationale, que les émigrés avaient des droits plus particuliers à la faveur et à la justice du gouvernement royal, parce que seuls ils ne s'étaient point écartés de la ligne droite; et partant de ce raisonnement, il fit envisager la confiscation et la vente de leurs biens, non point comme un acte législatif, mais comme une spoliation révolutionnaire qu'il fallait se hâter de réparer.

La Chambre réprouva hautement le langage et les doctrines séditieuses de l'oraleur royal, et repoussa de la loi proposée le mot de restitution, (qu'on n'y avait point inséré sans dessein), parce que restitution suppose spoliation, et que les biens des émigrés n'avaient point été spoliés, mais confisqués en vertu d'une loi, sanctionnée par le Roi, laquelle n'était elle-même qu'une application nouvelle du système de confiscation créé et suivi par les rois ses prédécesseurs.

En effet, et sans remonter à une époque plus éloignée, n'était-ce pas avec les dépouilles des victimes de la politique meurtrière de Richelieu, et de l'intolérance religieuse de Louis XIV, qu'avaient été enrichies les premières familles de l'État? et qui sait si les biens que les émigrés réclamaient avec tant de hauteur et d'amertume, n'étaient point les mêmes que ceux que

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leurs ancêtres n'avaient point rougi d'accepter des mains ensanglantées de Richelieu et de Louis?

Je conviens que le dévouement inaltérable d'un certain nombre d'émigrés imposait au gouvernement royal l'obligation de reconnaître leur fidélité, et de réparer leurs malheurs. Mais tous n'avaient pas droit à sa sollicitude, à sa reconnaissance. Si quelques-uns avaient généreusement sacrifié au Roi et à la royauté leurs fortunes et leur patrie, les autres n'avaient abandonné la France que pour se soustraire aux poursuites de leurs créanciers*, et aller chercher chez l'étranger des ressources ou des dupes qu'ils ne pouvaient plus trouver impunément sur le sol natal.

Il fallait donc distinguer les émigrés de cette première espèce, des émigrés de la seconde; et cette distinction établie, en appeler loyalement à la justice et à la générosité de la nation. Les Français, si accessibles aux nobles sentiments, n'auraient point voulu laisser dans la pauvreté les fidèles et vertueux serviteurs de leur Roi. J'en ai pour garant l'assentiment universel qu'obtint la proposition du duc de Tarente, de consacrer annuellement dix millions à indemniser les émigrés et les militaires dotés de la perte de leurs biens et de leurs dotations.

Mais il ne fallait pas venir au secours des émigrés par des voies injurieuses à la nation et attentatoires à la Charte. Il ne fallait pas surtout leur inspirer de folles et orgueilleuses espérances. Abandonnés à eux-mêmes.

Les grands seigneurs avant la révolution obtenaient des arrêts de surséance, à l'aide desquels ils se jouaient impunément de leurs engagements et des poursuites de leurs créanciers.

ils se seraient rapprochés des acquéreurs de leurs biens, leur auraient proposé des arrangements à l'amiable, et seraient rentrés successivement sans secousse et sans scandale dans l'héritage de leurs pères.

La partialité qu'on affectait sans cesse en faveur des émigrés fit un autre mal plus grand encore; ce fut de contribuer, beaucoup plus que la malveillance, à persuader aux paysans qu'on voulait les attacher à la glèbe et les rendre tributaires de la noblesse et du clergé.

Les paysans avaient été habitués par la révolution à être quelque chose dans l'Etat; la révolution les avait enrichis et libérés de la double servitude dans laquelle ils rampaient autrefois sous les nobles et les prêtres. Ils ne pouvaient donc songer sans effroi à un autre avenir. Chaque jour ils entendaient répéter, ou ils lisaient, car tout le monde lit en France maintenant, qu'on voulait ramener l'ancien régime et, ramener l'ancien régime signifiait pour eux, comme pour beaucoup d'autres, rétablir le vasselage, les dimes et les droits féodaux. Les prétentions outrées des émigrés, les déclamations des prètres les fortifiaient encore dans cette inquiétante et dangereuse opinion; en vain cherchait-on à les rassurer leur confiance avait été trahie, et rarement les paysans se laissent attraper deux fois. On leur avait annoncé l'abolition de la conscription: et tous les jours ils voyaient garrotter sous leurs yeux les conscrits réfractaires et condamner leurs familles à l'amende. On leur avait promis de supprimer les droits réunis et non seulement ils étaient perçus

avec plus de hauteur et de dureté que précédemment, mais quelques-uns même avaient subi de fortes augmentations.

Telle était en général la fatalité attachée aux procédés du gouvernement que les choses les plus simples, les plus raisonnables, se dénaturaient, s'envenimaient dans ses mains, et qu'au lieu de produire le bien qu'on pouvait en attendre, elles ne faisaient qu'augmenter le désordre, la méfiance et le mécontentement.

Ce mécontentement, résultat inévitable du mépris du gouvernement pour les hommes et pour leurs intérêts *, s'accrut encore par la violation manifeste et successive des droits publics que le pacte national semblait devoir préserver de toute atteinte.

La Charte, avait proclamé la liberté de conscience : et cette liberté fut presque aussitôt anéantie par une ordonnance de police qui faisait revivre les réglements rendus dans les temps de l'intolérance sur

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* Un gouvernement peut quelquefois sans danger attaquer les principes mais il n'attaque jamais impunément les hommes et les intérêts. L'intérêt personnel, et cette vérité quoique affligeante n'en est pas moins incontestable, est le premier, j'ai presque dit le seul mobile des opinions et des sentiments.

Ce funeste égoïsme se fait particulièrement sentir après les grandes catastrophes des États. Les passions nobles, n'ayant plus alors d'aliments, s'éteignent peu à peu; l'esprit, sans occupation au dehors, se replie sur soi-même, et engendre l'intérêt personnel, vrai fléau de l'âme. Quand ce mal attaque une nation, le gouvernement qui blesse les intérêts individuels est perdu.

** C'était avec le secours des ordonnances de toute nature que le ministère statuait quand bon lui semblait sur des objets d'administration publique qui ne devaient être réglés que par les lois; en sorte que la plupart des lois soumises aux chambres « étaient déjà créées et « exécutées en vertu d'ordonnances, et que les fonctions des Chambres « se réduisaient à légitimer les usurpations du ministère en métamor<< phosant en loi ses décisions et ses actes arbitraires. » (Censeur.)

l'observation rigoureuse et générale des fêtes el dimanches.

Elle le fut encore par le rétablissement des processions extérieures que Napoléon, jaloux de tenir une balance exacte entre les Catholiques et les Protestants, avait prohibées dans les lieux où des temples de l'une et de l'autre communion se trouvaient en présence.

Les prêtres Catholiques jouirent de ces processions comme un vainqueur des honneurs du triomphe; et au lieu de rassurer les sectaires, et d'édifier les fidèles par une modestie du moins apparente, ils les scandalisèrent par leur orgueil, et les irritèrent par leurs violences*.

La victoire qu'ils venaient de remporter enflamma leur pieuse imagination. Ils se persuadèrent qu'ils avaient déjà recouvré la plénitude de leur puissance, et ils voulurent en faire un second usage, en interdisant l'inhumation d'une actrice du théâtre Français, morte sans avoir obtenu, et songé qu'il fallait obtenir, la révocation de l'excommunication lancée jadis contre les comédiens français; excommunication, il faut le rappeler, qui priva Molière de la sépulture.

Le peuple, attiré par la curiosité au convoi de cette actrice célèbre, fut informé de l'injure faite à ses cendres; transporté d'une soudaine indignation, il se précipite sur le char funéraire, et l'entraîne: en un instant les portes de l'église interdite sont assiégées et forcées. On demande un prêtre ; il ne paraît point. Le tumulte

Plusieurs personnes, à Paris même, furent maltraitées et reçurent des coups de bayonnettes pour avoir refusé de se découvrir et de plier le genou au moment où passaient les processions.

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