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Les amis de Napoléon et tous les hommes qui, fatigués ou mécontents des Bourbons, désiraient son relour, entretinrent et fortifièrent les sentiments réveillés en sa faveur. Son nom, qu'on osait à peine prononcer, se retrouvait dans toutes les bouches, son souvenir dans tous les cœurs; insensiblement, il devint l'objet des regrets, des espérances, des vœux de la nation, et chacun fut averti par un pressentiment secret, que ces vœux ne tarderaient point à être exaucés.

Pendant que cette redoutable fermentation s'accroissait el se manifestait de toutes parts, la cour, les ministres, les émigrés se reposaient avec une complaisante sécurité sur le volcan qu'ils avaient allumé, et ne se doutaient point de sa prochaine explosion.

<< S'ils veulent sortir du royaume, » écrivait M. de Châteaubriand, en parlant des partisans de l'Empereur, «y rentrer, porter des lettres, en rapporter, envoyer des courriers, faire des propositions, semer des bruits et même de l'argent, s'assembler en secret, en public, menacer, répandre des libelles, en un mot, conspirer; ils le peuvent. Ce gouvernement de huit mois est si solide, que, fit-il aujourd'hui fautes sur fautes, il tiendrait encore en dépit de ses erreurs. »

Cet aveuglement ne tarda point, cependant, à diminuer. Sans apercevoir toute l'étendue du mal, on reconnut que la nation et l'armée étaient agitées, mécontentes, et l'on délibéra sur les moyens, non point de les apaiser, mais de les contraindre à se taire.

prisonniers fiançais, ni par la menace des mauvais traitements, ni par la promesse de les secourir lorsqu'ils mouraient de faim, un seul mot, un seul murmure contre Napoléon.

MÉMOIRES.

- I

4*

Quelques Chouans furibonds, instruits des 'inquiétudes du gouvernement, publièrent qu'il était temps de se défaire des bonapartistes. Un chef célèbre dans les fastes de la Vendée poussa l'audace jusqu'à déclarer au général Ex... qu'il n'attendait, pour faire main basse sur les prétendus jacobins, que l'arrivée de ses fidèles. Vendéens.

Le bruit de ce massacre fut bientôt entendu des victimes qu'on devait frapper. Les unes sortirent de Paris; les autres s'armèrent, et prirent des dispositions pour vendre chèrement leurs vies.

Le gouvernement, assure-t-on, eut connaissance des projets homicides des Chouans, et épargna à la France, et au monde, le spectacle d'une nouvelle St-Barthélémy.

Ce projet d'assassinat, auquel je n'ai jamais pu croire, démontra aux hommes de la révolution, qu'ils n'avaient plus aucune trève, aucun quartier à espérer des royalistes, et qu'il fallait qu'un des deux parlis écrasât l'autre.

Les anciens militaires commencèrent à se réunir, à se concerter. Le gouvernement, voulant dissoudre ces réunions qui l'inquiétaient, interdit à tous officiers, généraux ou particuliers, de séjourner à Paris sans autorisation, et ordonna à ceux d'entre eux qui n'étaient point nés dans cette ville, de retourner sur-lechamp dans leurs foyers.

Cette mesure augmenta l'exaspération sans diminuer le danger. Les officiers, en non-activité, au lieu de s'y soumettre, s'enhardirent mutuellement à la désobéissance, et forcés par l'ordre du ministre d'opter entre Paris et leur demi-solde, beaucoup, quoique

pauvres, préférèrent l'indépendance à la soumission. Le gouvernement, irrité de cette résistance, voulut faire un exemple.

En ce moment, on venait d'intercepter une lettre de félicitation, que le général Exelmans écrivait au roi de Naples, son ancien souverain.

Le nouveau ministre de la guerre* s'empara de celte occasion. Il mit le général en demi-activité, et lui prescrivit, par voie de punition, de se rendre immédiatement, et jusqu'à nouvel ordre, à soixante lieues de Paris.

Exelmans prétendit que le ministre n'avait point le droit d'éloigner de leur domicile, les officiers non employés activement, et refusa d'obéir.

Il fut arrêté sous le prétexte d'entretenir des correspondances criminelles avec les ennemis du Roi, et comme coupable, en outre, de désobéissance à ses ordres.

- Ce coup d'éclat et d'autorité, dont le gouvernement attendait les plus heureux effets, tourna contre lui. La France connaissait Exelmans. Elle le considérait comme l'un de ses plus valeureux, de ses plus dignes enfants; et les accusations de trahison que la haine et le dépit des ministres accumulaient sur sa tête, loin de lui ravir l'estime et l'affection publiques, ne le rendirent que plus intéressant et plus cher à ses compagnons d'armes et à la nation.

Exelmans, jugé, fut absous**.

* Le général Dupont venait d'être remplacé par le maréchal Soult. **Il prit pour défenseur l'un des habiles et courageux rédacteurs du Censeur, M. Comte; et pour conseil le général Fressinet. Cet

Le conseil de guerre, en sanctionnant la désobéissance de ce général, déclara implicitement que le gouvernement n'avait point le droit d'exercer sur les officiers en non-activité l'autorité qu'il s'était arrogée.

Dès ce moment le gouvernement fut perdu : le jugement qui affranchissait de sa dépendance les militaires à la demi-solde, et leur laissait la faculté de braver impunément son autorité, était un coup de massue qui l'avait terrassé sans lui laisser l'espoir de se relever jamais.

Je m'arrête ici: à quoi me servirait-il d'étendre davantage le récit et l'examen de la conduite oppressive et insensée du gouvernement?

Si l'on a suivi la marche et l'enchaînement successif de ses idées, et de ses actions, on l'aura vu former et mettre en œuvre le projet de rétablir l'ancienne monarchie et de renverser par surprise ou par force le gouvernement constitutionnel.

On l'aura vu se jouer sans pudeur de la Charte royale, et fouler aux pieds, sans scrupule, les droits civils et politiques qu'elle avait consacrés.

On l'aura vu attaquer, méconnaître, violer les garanties individuelles données solennellement à l'armée, à la magistrature, à l'administration, à tous les Français.

On l'aura vu insulter la gloire nationale, blesser les affections publiques, tourmenter les opinions, les mœurs, les habitudes nouvelles, et froisser et mécon

officier, dont la fermeté de caractère égale les talents et la bravoure, fut puni plus tard par l'exil, de l'assistance généreuse qu'il prêta dans cette importante circonstance au général Exelmans, son frère d'armes et son ami.

tenter, les unes après les autres, toutes les classes de l'Etat.

On l'aura vu aliéner au Roi, par l'injustice et le manque de foi, la confiance et l'amour de la nation et reporter sur Napoléon les espérances et les vœux.

On l'aura vu enfin, malgré les obstacles qu'il avait rencontrés, les avanies qu'il avait reçues, les pas rétrogrades qu'il avait été obligé de faire, poursuivre à tort et à travers le funeste système qu'il avait adopté, et préparer par ses fautes le retour de Napoléon, comme Napoléon avait préparé par les siennes le retour des Bourbons.

Mais tandis que tout présageait à la France un prochain bouleversement, que faisait Napoléon? Privé de toute ambition, il semblait préférer à sa grandeur passée une vie modeste et paisible; aux nobles agitations de la guerre un doux repos; aux méditations de son génie un désœuvrement agréable; l'étude de la botanique, les soins de sa maison, les plantations qu'i avait faites, celles qu'il projetait encore, occupaient plus particulièrement ses loisirs *; et comme Dioclétien, il pouvait dire aux hommes qui le soupçonnaient de regretter le trône : « Venez me voir dans ma retraite ; je vous montrerai les jardins que j'ai plantés, et vous ne me parlerez plus de l'empire. »>

Pendant les premiers temps de son séjour à l'ile d'Elbe, Napoléon n'éprouvait effectivement qu'un besoin vague de régner.

*On a prétendu, mais à tort, qu'il conservait son goût pour les exercices militaires. Pendant son séjour à Porto-Ferrajo, il ne passa point une seule revue; il paraissait n'avoir plus d'attrait pour les

armes.

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