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Affligé des maux de la France qu'il aimait passionnément, faligué des vicissitudes de la fortune, dégoûté des hommes, il appréhendait, en cherchant à ressaisir le sceptre, de précipiter la France et lui-même dans de nouvelles chances, de nouveaux malheurs; et sans abandonner le projet de remonter un jour sur le trône, il laissait à l'avenir le soin de fixer ses résolutions.

Il fut bientôt tiré de cet état d'indifférence et d'hésitation par la tournure que prirent en France les affaires publiques. Il avait pensé, et je le lui ai entendu dire, que les Bourbons, instruits par l'adversité, rendraient la France libre et heureuse; mais quand il s'aperçut de l'ascendant qu'on accordait aux prêtres, aux émigrés, aux courtisans, il prévit que les mêmes causes qui avaient amené la première révolution en' amèneraient bientôt une seconde : dès lors il reporta ses regards sur le continent, et ne perdit plus de vue le Congrès, la France et les Bourbons.

Il connaissait* les talents, les principes, les vices et les vertus de tous ceux qui avaient surpris ou obtenu la confiance de Louis XVIII; il savait le degré d'influence que chacun d'eux était susceptible d'acquérir et d'exercer, et il calculait d'avance les erreurs dans lesquelles ils entraîneraient nécessairement son facile.

successeur.

Les journaux français et étrangers, les écrits périodiques, redevinrent l'objet de ses lectures assidues : il

* On sait qu'il n'y avait point un seul individu de marque attaché au service de ses alliés et de ses ennemis dont Napoléon ne connut parfaitement le fort et le faible.

les étudiait, les commentait, et pénétrait avec sagacité ce que l'esclavage de la presse les forçait de dissimuler ou de taire.

Il accueillait les étrangers de distinction, et particulièrement les Anglais, avec grâce et bonté. Il s'entretenait familièrement avec eux de la situation politique de l'Europe et de la France; il les faisait causer adroitement sur les points qu'il voulait approfondir, et tirait presque toujours, de leur conversation, d'utiles éclaircissements: c'était par ces simples moyens que Napoléon savait ce qui se passait sur le continent. Il avait trop l'habitude des crises politiques pour ne point prévoir que la force des choses lui ouvrirait les portes de la France, et il était trop habile pour vouloir entretenir avec ses partisans des correspondances, qui auraient pu révéler ses vœux secrets et fournir à ses ennemis, l'occasion d'attenter à son indépendance et à sa liberté.

Napoléon attendait donc en silence le moment de reparaître en France, lorsqu'un officier déguisé en matelot vint débarquer à Porto-Ferrajo *.

Cet officier me remit, quelques jours avant son départ pour l'armée en 1815, la relation de son voyage à l'île d'Elbe : « Je vous confie, me dit-il, mon histoire et celle du 20 mars. L'Empereur, lors de son rétablissement sur le trône, n'ayant point parlé de moi, j'ai dû me taire; mais je suis aussi jaloux que lui de vivre dans la postérité » **.

*Cet officier est celui dont il est question dans la déclaration faite le 15 mars au prince d'Essling, alors gouverneur de la 8° division militaire, par M. P***, débarqué avec Napoléon de l'ile d'Elbe et arrêté à Toulon par ordre du préfet du département du Var.

** L'Empereur étant à la Malmaison me demanda ce qu'était devenu

« Je veux qu'elle connaisse la part glorieuse que j'ai prise au renversement du gouvernement royal, et au retour de Napoléon. J'ai le pressentiment que je serai tué dans cette campagne. Gardez cet écrit, et promettez-moi de le publier un jour. » Je le promis ce pressentiment se réalisa, M. Z*** fut tué à Waterloo.

Je remplis aujourd'hui ma promesse. Je ne me suis permis de faire subir à ses mémoires aucun changement, j'aurais cru trahir les intentions de mon ami. Je me suis borné seulement à taire les noms et à suppri

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M. Z***. Il a été tué, lui dis-je, sur le plateau de Mont-Saint-Jean. Il est bienheureux, me répondit-il. Puis il continua: Vous a-t-il dit qu'il était venu à l'île d'Elbe? - Oui, Sire; il m'a même remis la relation de son voyage et des entretiens qu'il eut avec Votre Majesté. Il faudra me donner cette relation; je l'emporterai, elle me servira pour mes Mémoires. Je ne l'ai plus, Sire. Qu'en avez-vous donc fait? Il faut la ravoir et me la remettre demain. Je l'ai déposée dans les mains d'un ami qui n'est point à Paris en ce moment. Ainsi cette relation va courir le monde? Non, Sire; elle est renfermée sous enveloppe dans une boîte dont j'ai conservé la clef; mais si je ne puis la remettre à Votre Majesté, d'ici à son départ, Votre Majesté pourra dans tous les cas en avoir connaissance car je me propose, suivant les volontés de M. Z***, de la faire imprimer, à moins que Votre Majesté ne me le défende. Non, je vous le permets; retranchez-en ce qui pourrait compromettre ceux qui m'ont montré de l'attachement. Si Z*** a rapporté fidèlement tout ce qui s'est passé, les Français sauront que je me suis sacrifié pour eux, et que ce n'est point l'amour du trône qui m'a ramené en France, mais le désir de rendre aux Français les biens les plus chers aux grands peuples, l'indépendance et la gloire. Il faudra prendre garde qu'on ne vous enlève votre manuscrit : ils le falsifieraient. Faites-le passer en Angleterre à ***, il le fera imprimer : il m'est dévoué, et il pourra vous être fort utile. M. vous donnera une lettre pour lui. Entendez-vous? Oui, Sire. Mais faites tous vos efforts pour retirer votre manuscrit avant mon départ; je vois bien que vous y tenez, et je vous le laisserai; je veux sculement le lire. L'Empereur le lut, et me le rendit en disant : Z*** a dit la vérité, et rien que la vérité. Conservez son manuscrit pour la postérité.

mer quelques phrases de circonstance injurieuses à la famille des Bourbons.

Lorsque Napoléon abdiqua la couronne, je brisai mon épée en jurant de ne plus servir ni la France ni son nouveau souverain.

Mais ému par les adieux magnanimes de l'Empereur, et subjugué par ce pouvoir irrésistible qu'exerce sur les soldats français l'amour de la gloire et de la patrie, je revins promptement à des sentiments plus modérés et plus louables. Mes souvenirs et mes regrets s'adoucirent, et j'aspirai sincèrement à l'honneur de servir encore mon pays et son Roi.

La réputation que je m'étais acquise me valut d'abord l'accueil le plus flatteur, les promesses les plus brillantes; je crus à leur sincérité; cette erreur fut de courte durée.

Abusé, repoussé, je vis que l'on se jouait de l'armée et de moi; qu'on nous honorait en masse parce qu'on nous craignait, qu'on nous insultait en particulier par système et par haine. J'avais l'âme trop haute pour souffrir les insultes et le mépris dont on voulait m'abreuver je donnai ma démission.

Dégoûté de la France et de son gouvernement, mais toujours passionné pour le métier des armes, je pensai que l'Empereur, qui m'avait distingué sur le champ de bataille, ne m'aurait point oublié, et daignerait m'accorder, la grâce, si chère à mon cœur, de vivre et mou

rir à son service. Je résolus donc de me rendre à l'île d'Elbe. Au moment de partir je fus arrêté par celte réflexion : L'Empereur, abandonné, trahi, renié par des hommes qu'il avait comblés de bienfaits et d'honneurs, ne croira pas à l'attachement que je lui ai gardé; peut-être même me suspectera-t-il d'avoir été envoyé près de lui par les Bourbons pour épier ses paroles et ses actions. Que faire? J'avais conservé des relations avec trois personnes investies autrefois de la confiance de l'Empereur; leur conduite depuis la restauration avait été franche et loyale fidèles à Napoléon par sentiment, dévoués à sa cause par principe et par patriotisme, elles n'avaient dissimulé ni leur fidélité ni leur dévouement, et étaient restées inaccessibles aux tentatives faites pour les attirer dans le parti royal. Je pensai que ces personnes, en me recommandant d'une manière quelconque à l'Empereur, pourraient me préserver de ses soupçons, et je fus leur confier sans détour mes desseins et mes inquiétudes.

La première et la seconde me témoignèrent le plus vif intérêt, la plus tendre sollicitude; me chargèrent d'exprimer à l'Empereur leurs douleurs de l'avoir perdu, leur espérance de le revoir. Mais l'un et l'autre. craignirent de se compromettre en lui écrivant, et je les quittai sans en avoir rien obtenu.

Je me présentai chez la troisième, M. X***. Nous nous étions connus dans ces temps de crise où les hommes s'éprouvent, et il avait conservé de mon courage et de mon caractère une opinion favorable.

Je lui dévoilai mes projets et mes craintes : Vos

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