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bataille de Waterloo n'est qu'une fiction commandée par la prudence de l'auteur. Voici aussi l'idée qu'on en a en Angleterre. »

M. Delbare termine ainsi son avant-propos :

« Nous devons dire maintenant ce que nous avons fait des Mémoires de M. F. de C... Il était important d'en conserver tout ce qui tient à l'histoire du temps et peut y jeter un nouveau jour. Nous l'avons fait, et nous avons laissé le plus souvent parler l'auteur lui-même; mais nous avons supprimé ce qu'il y a d'injurieux soit pour la famille royale, soit pour les nobles et les émigrés. Nous n'avons pas cru devoir conserver les épithètes pompeuses qu'il donne à son héros. Mais, en laissant subsister les opinions de M. le secrétaire, nous nous sommes fait un devoir de les combattre et de les réfuter. Nous avons négligé ce qu'il raconte des événements particuliers qui précédèrent le 20 mars, et nous allons commencer notre récit par celui du prétendu colonel Z..., qui a pour titre dans les Mémoires : Histoire du 20 mars. »

Tout en protestant contre ce qu'il y a d'anormal dans la façon de procéder qui consiste à démarquer un ouvrage pour n'en publier que ce qui peut servir à la cause que l'on se propose de défendre, nous sommes obligé de constater que l'opinion de M. Delbare qui pourtant ne connaissait point les annotations qui vont être livrées pour la première fois à la publicité était, cn ce qui concerne l'imaginaire colonel Z..., en parfaite concordance avec celle de Napoléon lui-même. Cette constatation nous paraît d'autant plus intéressante que les contemporains de Fleury de Chaboulon ne semblent point avoir eu la même clairvoyance. Ainsi, dans un discours prononcé sur la tombe de cet homme politique, ses Mémoires sont qualifiés « document remar

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quable par son énergie comme par la vérité historique, « dont Napoléon lui-même reconnut l'exactitude, et où <«< sont tenus désormais de puiser tous ceux qui voudront <«< écrire sur les mêmes temps avec quelque fidélité ».

D'ailleurs, Fleury fut regardé, jusqu'à sa mort, comme un fervent admirateur de Napoléon tout en ménageant les institutions nouvelles et en servant le pouvoir existant. Lorsque l'apaisement des esprits lui permit de rentrer en France, il prit la direction d'une compagnie d'assurances, et c'est dans cette situation que le trouva la révolution de Juillet. Louis-Philippe, soucieux de conquérir des sympathies et de s'assurer des dévouements, le nomma, par ordonnance du 20 août 1830, conseiller d'Etat en service extraordinaire et l'autorisa à reprendre la croix d'officier de la Légion d'honneur qui lui avait été décernée par l'Empereur durant les Cent-Jours.

En 1834, il fut élu député par l'arrondissement de Château-Salins, l'un de ceux qu'il avait administrés comme sous-préfet sous l'Empire. Il ne siégea que peu de temps à la Chambre, car il mourut le 28 septembre 1835. Il y prit. cependant la parole à diverses reprises, notamment le 21 décembre 1834, dans une séance où fut agitée la question de savoir si le pouvoir législatif devait intervenir pour demander la restitution à la France des cendres de Napoléon.

<< Par l'éclat de sa gloire, par la grandeur de ses infortunes, disait Fleury de Chaboulon, Napoléon a rendu son nom impérissable. Parvenu jusqu'aux confins de l'univers, aucun peuple ne le prononce qu'avec respect, avec admiration. Qu'importe donc, quand la renommée de Napoléon a été partout, que ses cendres reposent sur ce sol qui le vit naître ou dans l'île déserte qui lui donna la mort?

« Mais si la revendication de ses restes mortels n'est rien pour sa mémoire, elle est un devoir sacré pour la France. »

Le 12 juin 1835, il prononça un discours sur les loteries, et il trouva le moyen d'y glisser un panégyrique de l'empereur défunt:

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Croyez-vous, dit-il, que Napoléon, alors consul, qui fut le régénérateur de l'ordre social détruit..., que Napoléon, qui plaçait son orgueil et sa gloire à rendre la France la première et la plus grande des nations, ait voulu, lui aussi, sacrifier à quelques millions, dont il n'avait nul besoin, le bien-être des classes pauvres, qui le chérissaient, et la dignité morale de notre belle et noble patrie? >>

La confirmation des sentiments bonapartistes de notre auteur se trouve encore dans le discours qui fut prononcé, lors de ses obsèques, le 3 octobre 1835, par M. Alexandre de Laborde, son collègue à la Chambre des Députés :

S'il est vrai que l'amitié d'un grand homme soit un bienfait des dieux, quel homme fut plus grand que Napoléon? Et quel autre mérita mieux que M. Fleury sa confiance par son dévouement et par sa fidélité?...

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en nous

De la biographie que nous venons de tracer appuyant sur des documents incontestables et sévèrement contrôlésil résulte que si Fleury de Chaboulon ne fut point un grand homme, s'il ne fut pas même, quoique doué de quelques qualités, un homme utile à son pays, il fut de ceux qui ne négligent aucune occasion de se faire valoir, qui savent profiter, pour se mettre en évidence, de l'événement du jour, qui savent courtiser, flatter, médire au besoin, tout en gardant les apparences d'une vie unitaire, tout en s'efforçant de paraître constamment dévoués aux mêmes intérêts, Ce sont ceux-là que, de notre temps, l'on appelle

des « arrivistes », et ce sont de telles attitudes qui permettent à d'aucuns de trouver créance sous tous les régimes.

Fleury de Chaboulon ne pouvait toutefois, s'étant si gravement compromis avec Napoléon pendant les Cent-Jours, inspirer confiance à la monarchie légitime qu'il avait contribué à déposséder du trône, après avoir sollicité cependant de Louis XVIII une préfecture*, alors qu'il croyait définitifs les adieux de Fontainebleau et l'Empire disparu pour toujours. Il subit durement cela n'est pas douteux-le contre-coup des revers impériaux.

Quelles pensées hantèrent son cerveau dans la retraite qu'il avait choisie au sein du Royaume-Uni? N'eut-il point de regrets? N'éprouva-t-il point quelque violent dépit de voir brisée une carrière qu'il avait, à coup sûr, rêvée brillante? Et n'est-ce point à un sentiment de ce genre qu'est due la conception du livre qu'il écrivit durant ses années de proscription?

Cet ouvrage, en effet, procède d'une mentalité bizarre. Un amour immodéré du moi en est la caractéristique; quand on en fait une lecture attentive, on sent, depuis la première page jusqu'à la dernière, que l'auteur a eu surtout en vue sa propre personnalité, que son souci principal a été, si je puis m'exprimer ainsi, de poser devant la galerie, d'attirer sur soi-même l'attention publique, plutôt que d'écrire consciencieusement pour l'histoire.

Il ne pensait point sans doute que le plus autorisé des critiques, en l'espèce, se chargerait un jour de réfuter ses assertions, de contester ses récits, de rétorquer ses argu

ments.

Ce critique, ce fut l'empereur Napoléon.

* La demande de préfecture (c'était la préfecture de Nancy) formée par Fleury de Chaboulon, après le retour de Louis XVIII, en 1814, figure dans son dossier administratif, que nous avons pu consulter aux Archives nationales.

Un exemplaire des Mémoires de Fleury de Chaboulon fut, en effet, envoyé, à Longwood, à sir Hudson Lowe, et le «sicaire» comme l'appelait Napoléon ne manqua point de le mettre entre les mains de son prisonnier. Celui-ci prit son crayon le plus finement aiguisé et, fébrilement, couvrit d'annotations, d'observations lapidaires, ces pages dont la lecture semble lui avoir causé la plus vive irritation. Ce sont ces très curieuses annotations que M. Edouard Rouveyre a résolu de tirer de l'oubli.

Les deux volumes qui les contiennent sont la propriété du musée de la ville de Sens*, qui, entre autres richesses, possède une fort intéressante collection d'objets et de documents ayant appartenu à Napoléon Ier: ce sont autant de souvenirs, de reliques, rapportés de Sainte-Hélène et pieusement conservés par un des plus dévoués serviteurs de l'Empereur, nommé Saint-Denis, qui vint, après la mort de son maître, se retirer à Sens et les légua à cette ville testament olographe, en date du 6 juillet 1855**.

par

En voici, d'après cet acte même, l'énumération. Les passages entre guillemets sont des citations textuelles du testament de Saint-Denis:

1o Un habit de l'Empereur, garni des épaulettes d'officier général et de la plaque de la Légion d'honneur; 2o La cocarde de l'un des chapeaux de l'Empereur; 3° Les deux volumes de M. Fleuri (sic) de Chaboulon « Cet ouvrage, dont les marges sont couvertes de noles au crayon de la main de l'Empereur, avait appar

L'organisation de ce Musée, à laquelle a présidé le goût le plus délicat, est l'œuvre de M. Victor Duflot, le distingué conservateur actuel; nous sommes heureux que l'occasion nous soit offerte de rendre hommage à son dévouement en même temps qu'à ses hautes connaissances artistiques.

**Ce testament a été déposé pour minute, le 7 mai 1856, en l'étude de Me Petipas, notaire à Sens.

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