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« reconnaît aucun culte » (1). La Commission, dans son texte primitif, disait: ne « protège » aucun culte. C'est au projet ministériel qu'elle a emprunté l'expression « ne reconnaît » et cette déclaration ainsi formulée a provoqué, dans les deux Chambres, les plus vives critiques, en même temps que des divergences absolues se sont manifestées entre les divers orateurs sur sa véritable signification. D'après les uns, il faudrait y voir une déclaration formelle d'athéisme; d'après les autres, un simple énoncé de ce principe qu'il n'y aura plus en France de religions officiellement et uniquement reconnues par l'Etat (2).

Chacune de ces deux interprétations peut contenir une part de vérité. Pratiquement, on doit tenir pour certain que la distinction entre les cultes reconnus et les cultes non reconnus est abolie et que désormais les trois religions catholique, protestante et israélite cesseront d'être des institutions et des services publics, pour devenir, en principe du moins, des offices purement privés.

Ne reconnaissant aucune religion, la loi de 1905 les admet toutes indistinctement et autorise d'avance la fondation de celles qui, par la suite des temps, demanderaient à voir le jour, mais à la seule condition, si elles s'adressent au public,

(1) Cf. § 1er du préambule du Concordat : « Le Gouvernement de la Répu«blique française reconnaît que la religion catholique, apostolique et << romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français. >> (2) M. L. Ollivier: « Si vous voulez affirmer la neutralité confessionnelle « de l'Etat, il est complètement inutile de répéter dans un art. 2 ce que vous << avez du reste déjà fort bien dit dans l'art. 1er; ..... (On remarquera) « qu'après avoir accordé la liberté à tous les cultes, la loi les a réunis dans « un même dédain, dans une même formule méprisante, et qu'en déclarant «< que la République ne reconnaît aucun culte, on a voulu dire qu'elle ne << reconnaissait la vérité d'aucun culte. Grâce à ce mot équivoque, calculé peut<< être, vous aurez introduit dans votre loi une déclaration d'athéisme véri<< table. >>

M. le Ministre « ... Nous avons voulu non pas affirmer une doctrine << philosophique, mais simplement appliquer le principe de la liberté de << conscience et proclamer la neutralité de l'Etat en matière confessionnelle.... « C'est l'expression véritable dont il fallait se servir. Qu'est-ce donc que « reconnaitre un culte, si ce n'est lui donner une consécration officielle, faire << intervenir l'Etat dans son organisation?... Aujourd'hui il y a des cultes

<< reconnus; le jour où la séparation est prononcée, il ne doit plus y en << avoir.» (Ch. des D., 12 avril; J. off., p. 1354 et 1356).

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qu'elles se soumettent aux prescriptions des Titres IV et V de la nouvelle loi.

CONSÉQUENCES. En ce qui concerne l'Eglise catholique, la conséquence fondamentale, celle dont toutes les autres sont issues, est la rupture pure et simple du pacte concordataire, par la volonté unilatérale du législateur français, et sans avoir été précédée (1) d'aucune des négociations ou dénonciations diplomatiques qui s'imposent, lorsqu'une partie contractante veut résilier la convention internationale qui la lie avec une autre puissance.

Est abrogée « la loi du 18 germinal an X, portant que la « convention passée le 26 messidor an IX entre le Pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de « ladite convention..., seront exécutés comme des lois de la République. » (Art. 44, 1o).

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Partant de là, la loi de 1905 prononce dans l'art. 2:

la suppression du budget des cultes,

- la suppression de tous les établissements publics du culte.

L'étude de ces dispositions fera l'objet des deux §§ sui

vants :

Enfin, ces mêmes principes de neutralité et de laïcité de l'Etat conduisent à de nombreuses applications pratiques, qui se trouvent synthétisées dans les formules suivantes du rapport Briand:

«

L'organisation officielle de l'Eglise catholique..... telle qu'elle est établie par les lois, décrets et ordonnances en vigueur, est abolie;

<< La loi ne reconnaîtra pas les cultes et les cérémonies cultuelles, en tant qu'elles n'intéresseront pas l'ordre public. Mais, par a contrario, toutes les dispositions civiles ou pénales ayant un caractère d'ordre public, restent en vigueur;

« Les ministres des cultes seront, pour tout ce qui con« cerne leur ministère ou en dérive, légalement ignorés.

(1) Toutes les propositions tendant à une entente préalable avec le SaintSiège ont été repoussées par les deux Chambres. Cf., entre autres motion préjudicielle Gayraud (Ch. des D., 21 mars) et amendement de Ponthier de Chamaillard (Sénat, 20 nov.).

"

« Toute la législation d'exception qui leur est actuellement applicable est abrogée implicitement, sous la réserve, toujours, de l'intérêt de l'ordre public. » (1).

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Donc, en résumé, plus de reconnaissance officielle d'aucune religion et, par contre, plus d'intervention du pouvoir civil dans l'organisation intérieure des cultes ni dans la discipline ecclésiastique, le tout sous réserve de l'ordre public.

L'art. 44 a tiré les conséquences pratiques de ces idées, en déclarant abrogées en masse « toutes les dispositions « relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement « reconnus par l'Etat, ainsi que toutes dispositions contraires « à la présente loi et notamment » un certain nombre de textes qu'il énumère, sans que, d'ailleurs, cette énumération soit limitative.

Nous inspirant de cet article et des principes généraux sus-énoncés, nous considérerons comme abrogées par la loi de 1905 les prescriptions légales relatives aux points sui

vants :

Nécessité d'une autorisation gouvernementale pour : la tenue en France de conciles, synodes et assemblées délibérantes (art. 4, des Articles Organiques); la publication en France de décrets des synodes étrangers et conciles généraux (art. 3, ibid.); la réception, publication et impression de bulles, brefs et autres expéditions de la Cour de Rome (art. 1, ibid.); l'exercice en France des fonctions de nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique (art. 2, ibid.) (2);

- droits et prérogatives reconnus, auprès de Sa Sainteté, au chef du Gouvernement français (art. 16 et 17 du Concordat);

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(1) « Il fallait, écrit de son côté M. Max. Lecomte dans son rapport au << Sénat, pour que le régime nouveau fut acceptable pour les catholiques, « que non seulement le dogme fut respecté, mais en même temps, de la « façon la plus large et la plus libérale, ce qui touche aux mœurs et à la <«< discipline ecclésiastique..... Il faut donc laisser chaque culte s'organiser « suivant ses règles propres, résultat de sa doctrine et de ses traditions, et <«< prendre la formule de Minghetti : « Plus d'ingérence ecclésiastique en rien « de ce qui est acte civil; plus d'ingérence gouvernementale en rien de ce qui «<est purement religieux. >>

(2) M. Vallé, président de la Commission sénatoriale (6 déc.: J. off., p. 1723).

prières officielles pour le Gouvernement et le chef de l'Etat (art. 8, Conc.; 51, Org.).

- intervention du pouvoir civil dans le choix, la nomination (1) et le déplacement (2) des ministres du culte aux divers degrés de la hiérarchie (art. 4, 5 et 10 du Conc., 16-19 et 32 des Org.);

- conditions d'âge, capacité, nationalité requises par ce même pouvoir pour l'aptitude aux fonctions ecclésiastiques (art. 16, 17, 26, 32, Org.);

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autorisation administrative nécessaire pour la création de nouveaux diocèses, paroisses, chapitres et autres établissements ou circonscriptions ecclésiastiques; et pour les suppressions ou modifications à y apporter (art. 2 et 9 Conc., T. IV Org.);

obligation de résidence pour les évêques et curés (art. 20 et 29 Org.);

- restrictions à leurs pouvoirs d'administration (art. 22 et s., 27 et s. Org.). Gérance, pendant la vacance du siège épiscopal, de la mense épiscopale par un commissaire administrateur civil (D. du 6 novembre 1813);

- interdiction pour les ministres du culte de correspondre avec une puissance étrangère (art. 207 et 208 C. pén. (3); honneurs et règles de préséance en faveur des ministres des cultes (DD. des 24 mess. an XIII, 13 nov. 1863, 23 oct. 1883);

(1)« L'Etat n'a pas à s'immiscer dans les affaires de l'Eglise et à lui <«< imposer le choix de ses ministres » (réponse de M. Briand à un amende<<<ment Lasies refusant aux A. C. le droit d'employer des ministres de natio<< nalité étrangère (Ch. des D., 15 mai: J. off., p. 1712). — « Comptez-vous << pour rien toutes les libertés que l'Eglise va conquérir? Qui donc nommera «< dorénavant les évêques ? le Pape, le Pape tout seul. Qui gênera les évêques << dans leurs relations avec la papauté? Personne.... » (M. Vallé, l. c.). — «En régime de séparation, les évêques sont des citoyens comme les autres ; «<l'Etat ignore leurs fonctions et n'a plus à participer directement ou indirec<< tement à leur désignation. » (M. Briand, Ch. des D., 1er février 1906 : discussion d'une interpellation sur les inventaires). Ce dernier a ajouté que jamais, dans les conseils du Gouvernement, il n'avait été question d'exiger l'exequatur des évêques nommés par le Saint-Père.

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(2) V. restriction à ce droit de déplacer les desservants dans l'art. 11 § 6. (3) En ce sens le rapport Briand, qui ajoute que les art. 75 et s. du C. pénal réprimant les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'Etat sont suffisants.

protection spéciale accordée au costume ecclésiatique. Son usurpation ne sera plus punie par l'art. 259 C. pén., mais, par contre, le port ne pourra jamais en être interdit par mesure administrative et sera toujours libre pour toute personne, en tout temps et en tout lieu (sauf ce qui est dit à l'art. 27 § 1 pour les manifestations extérieures d'un culte);

répression spéciale des outrages contre les objets d'un culte et des outrages et violences contre les ministres dans leurs fonctions (art. 262 et 263 C. pén.); de la diffamation contre un ministre d'un des cultes salariés par l'Etat (art. 31 et 47, 3°, L. du 29 juillet 1881);

incompatibilité du ministère ecclésiastique, avec certaines fonctions, notamment celles de juré art. 3, L. du 21 nov. 1872; dispense des fonctions de tuteur (art. 427, C. civ.); inéligibilité à des mandats électifs (art. 8, 12°, L. du 10 août 1871; 22, 7°, L. du 2 août 1875; 12, 7°, L. du 30 nov. 1875; 33, 9°, L. du 5 avril 1884 (1);

- bénéfice de certaines exceptions au droit commun en matière de procédure (par exemple pour les évêques dont les délits étaient justiciables de la Cour d'appel (art. 10, L. du 20 avril 1810), d'impôts (V. art. 24 de la Loi), de réquisitions militaires, de franchise postale, d'exercice de la médecine (2);

obligation pour l'Etat et les communes de fournir au culte et d'entretenir des églises cathédrales ou paroissiales (art. 12, Conc.; 75 et s., Org.; 136, 12°, L. du 5 avril 1884),

(1) A titre transitoire et exceptionnel, l'art. 40 décide que « pendant huit « années à partir de la promulgation de la présente loi, les ministres du « culte seront inéligibles au conseil municipal dans les communes où ils « exerceront leur ministère ecclésiastique. » Cette inéligibilité suit le prêtre dans toutes les communes où, pendant cette période de huit années, il exercera son « ministère ecclésiastique. » Sur le sens de cette dernière expression il a été donné à la Chambre des explications assez contradictoires, en présence desquelles on peut se demander si les aumôniers, prêtres habitués et autres ecclésiastiques ne faisant pas partie du service paroissial proprement dit, tombent sous l'application du texte. Nous pensons qu'il faut, pour cela, une participation au culte public, donnant une sorte de « juridiction » sur la commune suivant l'expression du Président de la Commission au Sénat. (Cf. discussion à la Chambre, 30 juin et au Sénat, 5 décembre). (2) L'art. 39 maintient les droits, acquis en vertu de la loi du 15 juillet 1889, pour les dispenses militaires.

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