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Voici comment s'exprime, sur ces vexations, un ami de nos libertés :

« Combien d'entre nous sont morts dans les » cachots, les prisons et les exils, excédés de » misère, privés de tout secours temporel pen»dant leur vie, et de toute assistance spirituelle » à la mort! Quelques-uns, manquant absolu»ment de nourriture et de vêtemens, ont été "forcés de solliciter les aumônes des passans, »en descendant, des fenêtres de leurs prisons, » des sacs ou des bourses qui indiquaient leurs » besoins. D'autres ont été réduits, pour toute > nourriture, à ce que la compassion des pri» sonniers partageait avec eux, ou aux restes » qui étaient destinés aux animaux. On a vu » de ces ministres du Dieu très-haut, ne vivre » pendant long-temps que des fragmens de pain » que laissait la garnison des châteaux où ils » étaient gardés.

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» Combien, dont les cadavres à demi-vivans » et aux approches de la mort, ont été enlevés » et transportés par eau ou par terre! peu im» portait à la férocité des persécuteurs, pourvu » qu'un prompt trépas étouffât ces victimes de » l'humanité, et prévint de trop justes plaintes. » Combien, de tout sexe, de tout âge, de tous » états, ont été enterrés en sépultures profanes » et immondes! encore si l'honnêteté, même » payenne, avait été une sauve-garde pour » leur pudeur outragée! Combien ont eu pour

» tombeaux des étangs, des rivières ou de grands chemins! Combien encore aujour» d'hui 'gémissent sous les liens et dans l'hor»reur des prisons! Combien sont errans et » fugitifs, sans habitation certaine, sans biens, » privés même du modique revenu de leurs "postes, et n'ont d'asile et de ressources contre » les nécessités et les maladies, que les au» mônes! Plusieurs, sans parens ni amis, et in» connus de tous, se sont réduits aux emplois » de manœuvres et de porteurs d'eau, plutôt >> que de à leur conscience.

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» A-t-on vu quelqu'un de tous ces hommes, dignes des siècles plus heureux, murmurer » contre le prince qui ignore leur misère et sou» vent leur détention, se soulever contre son » autorité dont on abuse, ou faire des menées » et des mouvemens contraires à la fidélité » que nous lui avons vouée ? Plusieurs de ceux » que l'on traite ainsi, étaient regardés des peuples, comme leurs maîtres et leurs guides » dans la foi; des pauvres, comine leurs pères; » des pécheurs, comme leur réfuge après le » naufrage; et des affligés, comme leurs con»solateurs dans leurs peines (1). »

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Le résumé de ce chapitre, est que la bulle unigenitus accrédita puissamment en France

(1) Mémoires historiques sur l'abbaye de Port-Royal, etc., in-8°. Utrecht, 1758, t. 1, p. 242 et suiv.

les préjugés ultramontains; tous ceux qui l'acceptaient étant intéressés à exalter l'autorité du pape au-delà des justes bornes, donnaient la main aux partisans de l'infaillibilité personnelle ; et cependant pour eux seuls étaient réservés les honneurs, les places, les bénéfices, tandis que les rigueurs étaient le partage des amis de la doctrine gallicane.

Terminons ce chapitre par un passage de Duguet, qui s'adapte à ce qu'on vient de lire.

Il est écrit que tous ceux qui veulent vivre avec piété seront exposés à la persécution : c'est une prédiction et une consolation pour tous les siècles. On ne peut rien contre cette parole: "Elle s'accomplira dans tous les temps, et sou»vent par le ministère de ceux qui voudront » persuader qu'elle n'a plus lieu (1). »

(1) V. Duguet, Traité des dispositions pour offrir les saints mystères. In-12, Paris, 1734, p. 154.

CHAPITRE VI

Légende de Grégoire VII opposée par Rome à la déclaration de 1682; conduite de la cour, du parlement et du clergé à ce sujet.

QUAND Rome prononce des censures, elle prétend qu'on y soit respectueusement soumis, comme étant dictées par la justice et avouées par la religion; mais certains hommes ne sont pas doués de toute la souplesse qu'elle exige; il en est qui osent penser, soumettre ces censures à l'examen, en contester la validité, lorsqu'ils sont froissés entre la crainte de les encourir et celle de manquer à leurs obligations.

Si la crainte d'une excommunication injuste doit nous empêcher de faire notre devoir, avec cette arme on pourrait anéantir toutes les obligations imposées par le droit naturel et le droit divin. Obéir aux lois de mon pays est une obli̟gation sacrée, exigera-t-on que je les foule aux pieds en me terrifiant par la menace d'une excommunication, en opposant ma conscience à ma conscience: ressource admirable pour sanctionner les décisions monstrueuses de la bulle in cœna Domini, et de la bulle de canonisation de Grégoire VII, qui fait l'objet de ce chapitre.

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Ce pape eut de grandes qualités; les historiens s'accordent à reconnaître l'élévation de son génie, à louer son zèle contre la simonie l'incontinence des clercs, et pour le maintien de la discipline; mais ils blâment son caractère hautain, impétueux et entreprenant. L'empereur Henri IV, avec lequel il s'était brouillé, voulut le faire déposer à Worms en 1076. Assurément un pape est déposable; on peut, à ce sujet, consulter l'histoire et le traité de Gerson, de auferibilitate papae; mais l'Eglise seule en a le droit. Le pape peut être considéré comme évêque, comme métropolitain de la province de Rome, comme pa'triarche d'Occident, comme chef de l'Eglise. 1 Cette distinction est très-juste; et quand Neller, fondé sur quelques faits, prétend qu'il peut être déposé par le concile métropolitain de sa province (1), c'est outrer la conséquence, et donner à ce concile une extension d'autorité qui ne peut jamais excéder les bornes de sa province. Dans l'hypothèse qu'un pape aurait été frappé de cette sentence, il resterait à examiner si, lors même qu'il aurait été dépossédé de ses droits métropolitains, il aurait simultanément perdu ceux qui appartiennent au chef de l'Eglise.

(1) Exercitium juridicum una cum apologia pro provincia Romana, etc. In-4°., Treviris, 1766

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