Page images
PDF
EPUB

bris de sa troupe sur des bâtimens légers qui avaient ordre de longer la côte jusques aux Cayes.

La colonne aux ordres du commandant Mafrant, parvenue à quinze lieues de Jérémie, éprouva un sort tout semblable. Un chef nègre, nommé Jean-Louis-François, opposa aux troupes françaises les mêmes embûches: après avoir essuyé des pertes con sidérables et avoir abandonné leurs blessés, elles se retirèrent au Corail, petit bourg de l'arrondissement de Jérémie.

Le Mulâtre Ferou, informé du mouvement de retraite des colonnes, forma le projet de se présenter inopinément dans la plaine de Torbec, et d'entourer le corps du général Sarrazin'; mais la nouvelle de la retraite était déjà parvenue au généraux Brunet et Laplume, qui firent sur-le-champ une sortie des Cayes pour dégager le général Sarrazing ils arrivèrent à temps, et rentrèrent avec lui dans la ville, où ils se renfermèrent.

Ce fut ainsi que deux mille hommes à

peine débarqués furent presque détruits avant d'avoir combattu. Exemple qu'on ne peut trop souvent rappeler aux gouvernemens européens !..... Ce dernier désastre décidait des destinées du sud; des évacuations successives ne tardèrent pas à le livrer au pouvoir des révoltés.

[ocr errors]

Il ne faut pas perdre de vue que ce développement de l'insurrection coïncidait avec les nouvelles circonstances politiques en Europe, sur lesquelles nous sommes forcé d'anticiper déjà l'on cherchait à éluder l'exécution des principales clauses du traité d'Amiens; on discutait avec aigreur. Il était facile de voir, dans l'amertume des récriminations officielles, un germe de mésintelligence, et le prélude d'une rupture : aussitôt qu'elle éclaterait, la colonie de Saint-Domingue allait se trouver entièrement privée des secours de la métropole, et cet isolement équivalait, pour les débris de l'armée française, à la nécessité de capituler; aucune autre chance ne lui était laissée que celle de devenir prisonnière de guerre aussitôt que

la déclaration de l'un des deux cabinets aurait paru; elle était à la discrétion des Noirs, ou à la discrétion des Anglais. Cette certitude de l'avenir donna aux insurgés une énergie qu'ils n'auraient pas puisée dans leurs propres forces, et par un effet contraire, elle altéra la vigueur des mesures de défense, ainsi que la confiance des Français.

On eut bientôt des preuves de l'appui que les Anglais donnaient d'avance aux révoltés. Une frégate anglaise rencontrée par un officier que le général Rochambeau envoyait en mission à la côte de la Terre - Ferme, sur la foi du pavillon américain arboré par le bâtiment français, entra, à sa vue, dans le port de Tiburon, alors au pouvoir des insurgés.

Cependant il devenait impossible, après la défaite des derniers renforts expédiés dé France, sur l'escadre de l'amiral Bedout, de tenir plus long-temps les positions du sud. Le brave général Laplume, que sa fidélité

laissait sans asile au sein de sa patrie, prit le parti d'évacuer les Cayes, et de se réfugier au Port-au-Prince. Désormais inutile à la cause des Français qu'il avait si loyalemen servie, et ne recherchant point les récompenses qu'il avait méritées, il s'embarqua pour se rendre en Espagne, et mourut peu de temps après son arrivée.

Le départ de Laplume était un abandon tacite de la ville des Cayes: il ne tarda pas à s'effectuer. Le général Sarrazin fut forcé de quitter cette place, pour aller au secours des troupes du cordon que pressaient vivement les insurgés; il parvint encore à les repousser. Il protégea l'évacuation des Cayes, dont les dernières ressources furent dirigées vers Jérémie, seul point qui fût encore occupé par les Français. Le général Frescinet partit du Port-au-Prince, pour en prendre le commandement.

[ocr errors]

Réduit à cette extrémité, le général Rochambeau fit connaître à son gouvernement la situation désespérée de la colonie, affir

mant qu'elle échappait pour jamais à la domination de la métropole, si l'on n'y faisait arri ver promptement des secours proportionnés à ses dangers et à ses besoins; et pour donner plus de poids à ses déclarations, il les fit porter au premier Consul, par des députés pris dans toutes les classes. Cette démarche calma les esprits; on attendit avec résignation le résultat de la délibération du gouvernement, en continuant de soutenir avec vigueur cette pénible lutte.

Après la perte du département du Sud, le commandant en chef porta son attention, et ce qui lui restait de forces disponibles vers le département de l'Ouest ; il y tenait encore le Port-au-Prince, où se trouvait le quartier - général, la plaine du Cul-de-Sac, et les quartiers des Grands-Bois et du Mirębalais. Quoiqu'il eût abandonné le départe ment du Nord à ses propres ressources, il considérait le Cap-Français comme son point de retraite, s'il était forcé de se replier. Le général Clauzel n'avait rien négligé pour mettre cette place dans le meilleur état de défense.

« PreviousContinue »