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le cours du dernier siècle; et nous laissons à l'observateur impartial à juger si le maintien du parfait équilibre ne fut pas constamment le prétexte des guerres, et si les alliances et les coalitions des souverains diversement combinées, selon qu'ils y trouvaient l'occasion de s'agrandir, purent jamais produire cette idéale fixité d'intérêts réglés par la justice, c'est-à-dire, l'application de la morale à la politique, l'âge d'or en ce siècle de fer.

Un écrivain allemand, rédacteur d'un journal politique justement estimé, voulant présenter une esquisse des événemens les plus mémorables du dix-huitième siècle, le partagea en cinq périodes, savoir : de 1701 à 1720, de 1720 à 1740, de 1740 à 1765, de 1763 à 1789, et de 1789 à 1801. Nous adoptons cette division qui nous paraît être la plus propre à classer les faits; mais nous bornerons aux quatre premières périodes, c'est-à-dire de 1701 à 1789, les considérations qui font l'objet de cette note, parce que là commence une autre ère, et qu'on ne retrouve la vieille Europe reparaissant sous de nouvelles formes qu'après la guerre de la révolution, et la fin du règne de l'empereur Napoléon; les historiens du dix-neuvième siècle pourront dater de cette époque, comme de celle d'une espèce de déluge politique.

De 1701 à 1720.

Ce fut pour maintenir l'équilibre que Louis XIV,

après avoir par l'ascendant de sa puissance et par les intrigues de ses ministres obtenu pour le duc d'Anjou son petit-fils, la succession de Charles II, les couronnes d'Espagne et de Naples, attira sur l'Europe les calamités d'une guerre générale, et sur la France les malheurs qui obscurcirent la fin d'un règne glorieux : si cette succession retournait à la maison d'Autriche, on allait, disait-on, voir revivre dans Charles VI un second Charles-Quint; il n'y avait plus de contrepoids à cette masse de puissance et de richesses. Le cabinet de Versailles ne cherchait donc qu'à prévenir l'établissement de la monarchie universelle, et briser le sceptre d'un nouvel empire d'Occident: ces motifs d'intérêt général couvrirent l'audacieuse entreprise de Louis-le-Grand. Le duc d'Anjou, Philippe V, proclamé roi d'Espagne à Madrid en 1701, fut d'abord reconnu par l'Angleterre, le Portugal, la Hollande et la Savoie; mais bientôt après, un seul homme, le prince Eugène de Savoie, qui fut pendant trente ans et sous trois empereurs, le génie tutélaire de la maison d'Autriche, changea la face des affaires autant par ses conseils que par ses victoires. Il décida l'empereur Léopold, contre l'avis de ses ministres, à prendre les armes pour s'opposer aux projets ambitieux de Louis XIV; et faisant valoir les mêmes motifs, il parvint à former sous le nom de grande alliance avec l'Angleterre, la Hollande et l'Italie,

cette ligue redoutable dont il fut l'âme et le bras.

On peut juger de l'esprit des grandes coalitions formées pour conserver l'équilibre, par les prétentions que montrèrent les alliés aux conférences de Gertruidenberg, lorsque après dix ans de guerre Louis XIV, accablé par de constans revers, était prêt à acheter la paix en renonçant à la succession d'Espagne, en rappelant son petit - fils, et cédant le trône à l'archiduc Charles. Ces sacrifices ne purent les satisfaire, ils exigèrent l'humiliation de la France et la rétrocession de Strasbourg; le vieux lion n'endura point cet outrage, et ne douta pas que le courage des Français ne secondât sa généreuse résolution. La fortune trompa l'espoir de ceux qui abusaient impunément de ses faveurs: un changement subit de ministres et de principes politiques à la cour de la reine Anne, donna ouverture à des négociations secrètes entre l'Angleterre et la France. La victoire remportée sur le prince Eugène, à Denain, par le maréchal de Villars en 1712, hâța la paix d'Utrecht qui fixa la couronne d'Espagne dans la maison de Bourbon. Toutefois les royaumes de Naples et de Sardaigne, les Pays-Bas, les duchés de Milan et de Mantoue en furent démembrés et cédés à l'empereur d'Allemagne par le traité de Rastadt en 1714.

Ce partage de la succession d'Espagne entre les deux grandes puissances continentales avec lesquelles

aucune autre ne pouvait alors rivaliser, établit entre elles une sorte d'équilibre; mais le système pouvait être dérangé par la moindre variation dans la politique de celles d'un rang inférieur; et en effet, peu de temps après la mort de Louis XIV, les intrigues du cardinal Albéroni, qui du rang le plus obscur, s'était élevé par la faveur de la reine d'Espagne à celui de premier ministre, troublèrent ce concert et la paix à. peine rétablie : ce prêtre ambitieux, dont on comparait le caractère et les talens à ceux de Mazarin et de Richelieu qu'il avait pris pour modèles, avait entrepris de reconquérir les pays de l'ancienne domination espagnole, et qui en avaient été démembrés par le traité d'Utrecht : il avait ourdi des trames dans toutes les cours de l'Europe, et principalement avec celles du nord; le Czar et le roi de Suède entrait dans ses projets contre l'Angleterre; la porte Ottomane attaquait l'Empereur; une conspiration devait renverser le régent de France : une flotte espagnole porta une armée en Sardaigne d'où les Impériaux furent chassés. Ainsi, un parvenu ministre d'un souverain à peine reconnu, un seul homme habile et téméraire pouvait bouleverser le système d'équilibre. Il ne fallut pas moins qu'un nouveau traité, la quadruple alliance entre la Grande-Bretagne, la France, l'Empereur et les États-généraux (conclue à Londres en 1718), pour garantir les traités d'Utrecht et de

Radstadt. Philippe V n'accéda, que deux ans après la déclaration de guerre de la France, aux conditions qui lui furent proposées : la première fut le renvoi du cardinal Albéroni; l'empereur reconnut le roi d'Espagne, l'archiduc renonça à ses prétentions, et Philippe aux provinces démembrées. La Suède, après avoir vainement troublé la tranquillité des États du nord, acheta la sienne par diverses cessions de territoire à l'Angleterre, à la Prusse, au Danemarck, à la Russie : l'intégrité de la Pologne fut garantie par un traité solennel de l'empereur de Russie avec la porte Ottomane: toute l'Europe fut en paix, et l'on convint que l'équilibre était cette fois invariablement établi.

De 1720 à 1740.

Le repos dont les peuples jouirent pendant la plus grande partie de cette seconde période et qu'ils avaient si chèrement acheté, ne fut point le résultat d'un système général de modération, mais bien plutôt celui d'un égal épuisement de ressources chez les grandes puissances continentales, et de l'immense avantage que trouvaient les grandes puissances maritimes, la Hollande et surtout l'Angleterre, à accroître leur commerce et leur richesse, en profitant de la stagnation de l'industrie en France, en Espagne et en Allemagne. Les intrigues de la cour du régent de France,

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