Page images
PDF
EPUB

liques ne tirent pas les mêmes conclusions que moi de statistiques sans portée ».

Pourquoi les déclare-t-il sans portée? et pourquoi tous les catholiques n'en tirent-ils pas les mêmes conclusions que moi ? C'est que ces conclusions les gêneraient et qu'ils ont l'habitude de << subordonner la vérité à ses conséquences »>, selon la formule de M. Brunetière.

On verra dans les premiers chapitres de ce livre où cette prétention a conduit l'Église.

III

Autrefois l'Église entendait que les fidèles ne reçussent que l'instruction verbale que ses prêtres donnaient au catéchisme ou dans la chaire.

Maintenant, ce qu'elle appelle « la liberté des pères de famille » et «< la liberté d'enseignement »>, c'est le droit de se servir de tous les privilèges qu'elle possède pour établir sa mainmise sur l'instruction des enfants et des jeunes gens.

Dans la discussion de l'article 14 de la loi du 1er juillet 1901, M. Aynard a reconnu que ce qui était en cause ce n'était que l'enseignement congréganiste, en disant :

On veut empêcher de se servir de cette liberté, les

seuls, ou à peu près les seuls qui, dans l'état des choses, dans les conditions de constitution de votre enseignement, puissent s'en servir!

Et un peu plus loin il précise:

C'est un combat entre deux enseignements.

M. de Mun, le député des Jésuites, a été encore plus net. Il n'a point dissimulé que, pour lui, la liberté de l'enseignement, c'était l'élimination de l'État.

Il a opposé la puissance de l'Église à la puissance de l'État, et il lui a enjoint de se soumettre; il a proclamé que l'enseignement ne pouvait être neutre, et il a demandé à l'État, à l'enseignement laïque de céder la place à l'enseignement congréganiste.

Pour attacher tant d'importance à l'enseignement, ses prélats, ses prêtres, ses moines, les Jésuites sont-ils donc possédés de la passion du savoir et sont-ils convaincus que la plus noble tâche est de répandre les connaissances humaines?

En réalité, ce qu'ils veulent, c'est, à défaut de l'ignorance absolue, maintenir l'ignorance relative. Psittacistes eux-mêmes, ils s'efforcent de bourrer de mots le cerveau de leurs élèves, et de les préserver de la méthode objective qui balaie les terreurs et les espérances surnaturelles. Le P. Du Lac

a proclamé hautement, dans son livre: Jésuites, que leur enseignement avait pour règle l'obéissance intellectuelle et morale.

Ils veulent faire des êtres à la fois soumis et subtils, toujours sous leur tutelle protectrice, qu'ils pousseront en avant par des manœuvres mystérieuses. Ainsi les Jésuites étaient arrivés à doter l'armée française d'un chef d'état-major comme le général de Boisdeffre, d'un sous-chef d'état-major comme le général Gonse, ayant l'un et l'autre le P. Du Lac pour directeur, devenu, en réalité, maître de l'avancement de tous les officiers.

Ils ont pour ambition d'assurer la prédominance de la civilisation sacerdotale et militaire sur la civilisation scientifique et industrielle.

Responsables de la guerre de 1870, les cléricaux ont voulu nous entraîner dans une double restauration, celle de Henri V et celle du pouvoir temporel du pape. Nous avons dû gaspiller des forces énormes pendant des années, pour arriver à fonder la République. Depuis leur défaite du Seize Mai, ils n'ont pas cessé de conspirer. Ils ont affirmé leur caractère factieux dans le Boulangisme et dans la crise qui porte le nom d'AFFAIRE DREYFUS.

Nous avons vu alors se produire des survivances qui nous ramenaient au bon vieux temps de la Ligue du XVIe siècle. Nous en avons triomphé; mais non complètement.

a

L'arrêt du conseil de guerre de Rennes reste une tache noire sur la France.

Mais nous sommes debout, nous pouvons proclamer que nous avons défendu la justice et la vérité, tandis qu'ils sont devenus solidaires de crimes de faux, de faux témoignages, de meurtres, comme celui de Lemercier-Picard, et de tentatives de meurtre comme celle dont a été victime Labori et qui restera unique dans l'histoire du barreau. Ils ont fait une banqueroute morale et leurs entreprises ont abouti à la loi du 1er juillet 1901.

Ces hommes, qui se prétendaient et qui se sont peut-être crus les maîtres de la France, ont pu savourer l'indifférence avec laquelle l'opinion publique a accueilli leurs appels et leurs fureurs.

Si nous jetons un coup d'œil sur le monde, partout nous voyons un formidable effort des nations catholiques pour rejeter la domination romaine. Loin qu'elle s'étende, elle recule.

Au milieu des fanfares triomphales que sonnent quelques-uns des collaborateurs de Monsignor Péchenard, M. Georges Fonsegrive, dans son article Les luttes de l'Église, dit:

Deux grands faits dominent l'évolution idéale du monde moderne, et tous les deux s'opposent à la doctrine de la vérité catholique: c'est d'abord la coexistence de plusieurs religions dans des pays également

civilisés et ensuite la proclamation de l'indépendance de la pensée philosophique (p. 772).

Or, l'indépendance de la pensée philosophique. s'affirme chaque jour, et nul pays ne rétablira le monopole que l'Église a perdu même en Espagne et à peu près dans toute les républiques de l'Amérique du centre et du sud.

Il en résulte que M. Georges Fonsegrive luimême, dans un ouvrage sur la première page duquel se trouve la signature du Pape, proclame que l'Église ne peut supporter la concurrence.

Si, parmi les écrivains enrôlés pour célébrer la grandeur et le triomphe de l'Église, il y en a qui ont cette opinion; si cette opinion paraît tellement juste que « le comité présidé par Monsignor Péchenard » la laisse publier, je les félicite, au nom de la vérité, de reconnaître comme une nécessité inéluctable la décadence de l'Église, si tristes que les conséquences en soient pour eux.

Je me réjouis que l'évidence des faits les contraigne à cet aveu; car toute extension de l'influence de l'Église romaine est un arrêt de développement pour l'humanité, tout recul de l'Église romaine est la preuve d'un progrès.

Les pages qui suivent le démontrent.

YVES GUYOT.

10 novembre 1901.

« PreviousContinue »