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à chacune de leur extrémité un peloton de garde républicaine à pied, et à dix pas en arrière un autre peloton de la garde à cheval, ayant tous le sabre au poing et le mousqueton en bandoulière; tous étaient prêts à venger leurs camarades si horriblement assassinés sur la place de l'Hôtel-de-Ville le 24 février 1848, tout désarmés qu'ils fussent et tout garantis qu'ils eussent dû l'être par la capitulation consentie par eux avant de céder la Préfecture de police aux délégués officieux du peuple et de la garde nationale.

Mais les émeutiers ne se hasardèrent pas à leur offrir cette revanche; bien leur en prit !...

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Le général en chef ayant, à minuit, fait rentrer toutes les troupes et tous les postes, Paris se trouva livré aux frères et amis de la montagne et des sociétés secrètes. Les professeurs de barricades eurent donc le champ libre pour en parcourir sans danger tous les repaires et tous les carrefours, et, la canne blanche à la main, d'ordonner les dispositions du combat.

Les quelques barricades enlevées et détruites de huit à dix heures du soir par les patrouilles des généraux Bourgon et Herbillon, dans les rues de Rambuteau, Beaubourg, Transnonain, Aumaire, du Temple, Saint-Martin et Saint-Denis furent reconstruites en l'absence des troupes et des sergents de ville qui, eux aussi, avaient

reçu l'ordre de rentrer soit à la Préfecture de police, soit à leurs quartiers généraux respectifs.

Le plan du général en chef était de laisser l'armée rouge établir ses lignes de bataille pour voir enfin de face tous ces fiers socialistes dont les menaces anticipées faisaient trembler l'Europe entière.

De huit à dix heures du matin, le centre de l'armée rouge était établi dans ses positions et s'y croyait assez fortement retranché pour pousser ses grand'gardes jusqu'aux débouchés des boulevarts et des quais.

Les portes Saint-Denis et Saint-Martin, ces deux citadelles de toutes les insurrections parisiennes ne tardèrent pas à être enveloppées par une nuée de gamins de seize à vingt ans et d'hommes à figures sinistres, au milieu desquels se faisaient cependant remarquer quelques individus à tournure plus relevée et paraissant avoir une certaine puissance d'autorité sur ces groupes, car ils distribuaient à chacun d'eux leurs rôles et les points à occuper.

La porte Saint-Denis se trouva bientôt enfermée dans un carré parfait de barricades; la rue Saint-Denis fut barrée par une parisienne que l'on renversa après en avoir dételé et renvoyé les chevaux.

Les bases de ces barricades se composèrent toutes de voitures et d'omnibus renversés pêle-mêle et consolidés entre eux par les matériaux que l'on pouvait avoir sous la main, pendant que d'autres soulevaient les pavés et les jetaient au milieu de ces véhicules amoncelés.

A midi, tout le boulevart Saint-Denis et Saint-Mar

tin etait barricadé ainsi que les débouchés de leurs faubourgs ou de leurs rues, telles que les rues de Bondy, Meslay, de Cléry, de la Lune.

A midi cinq minutes, l'on vit s'établir le poste avancé de l'armée rouge sur le boulevart Bonne-Nouvelle et prendre position, la droite appuyée à la rue Mazagran et la gauche à l'angle extrême de la rue de la Lune; c'était la tête de pont de l'insurrection que devaient garder une centaine d'hommes armés de fusils, pendant qu'une centaine d'autres, non armés encore, éleveraient le retranchement.

Une multitude de curieux de tout âge et de tout sexe, assistaient à ce spectacle, soit sur le boulevart même, soit de leurs balcons, et pas un cri désapprobateur, pas un geste ne s'opposaient à ces préparatifs de guerre civile. C'est toujours ainsi qu'agit le bourgeois de Paris en semblables conjonctures; il se croise les bras, regarde et rit de ces désordres, lorsqu'il ne lui prend pas la fantaisie de jeter son cigare et de se mêler aux dépaveurs pour håter le drame, dont il sera peut-être la première victime juste récompense de son imbécilité politique.

Près de deux heures furent laissées à cet avant-poste pour s'établir; neuf voitures de déménagement ou omnibus furent les premiers éléments de ce redan.

Le bureau de l'inspecteur des fiacres, situé à quelques pas fut enlevé et renversé; les colonnes vespasiennes, les bancs, l'escalier qui mène à la rue de la Lune. furent démolis, et les matériaux amoncelés au pied des

voitures. Cent cinquante bras vigoureux se cramponnent à la rampe, la secouent, et finissent par l'arracher au risque de se voir écraser sous une montagne de pierres de taille ou de gravois.

Pendant ce temps, un monsieur très-bien vêtu était monté sur l'échafaudage de la maison en construction au coin de la rue Mazagran, et là, le cigare à la bouche, il s'AMUSAIT, avec toute l'impassibilité d'un philosophe, à couper toutes les cordes qui liaient entre elles, depuis le sol jusqu'au sommet, toutes les parties de cet échafaudage; en quelques minutes tout s'écroula, et l'entrée du boulevart sur ce point se trouva en un clin d'œil barricadée que l'on dise encore que le citadin de : Paris n'a pas le génie du désordre, et l'amour de la destruction!...

Une lunette fut établie à la hauteur du poste BonneNouvelle, et observait la rue Hauteville et les boulevarts Montmartre et Poissonnière; elle fut construite également avec des voitures et des débris de vespasiennes et de persiennes arrachées de leurs gonds, où depuis vingt-quatre heures à peine elles avaient été placées.

A deux heures, cette partie du boulevart était prête à recevoir le choc de l'armée.

Le drapeau du poste évacué fut planté sur la barricade principale, et solidement attaché au sommet qu'il dominait à la hauteur de 12 à 15 pieds; il n'y avait plus qu'à le défendre, c'est ce que je dirai bientôt.

Parmi les défenseurs se faisait remarquer une femme

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