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portai sur les qualités rares dont la nature l'avait doté, et que semblent développer les obstacles ainsi que chaque crise qu'il provoque. N'en avons-nous pas en ce moment sous nos yeux les plus éclatants témoignages?

L'une des qualités dominantes chez le prince est la persévérance que favorisent si éminemment le calme le plus imperturbable, une profondeur, un mystérieux à la Louis XI.

Ces qualités si précieuses et si peu ordinaires, quand elles se concentrent dans un cœur fortement trempé, font bouillonner le cerveau, inspirent de grandes choses, font mépriser les dangers, affronter les tempêtes.

En 1840, je me reposais de mes fatigues de conjuré de Henri V, dans l'une des plus gracieuses villas du bois de Boulogne. Je m'y livrais aux douces jouissances de famille si souvent troublées depuis lors, car ma tâche politique et OFFICIELLE n'était point encore remplie. J'assistais, en voisin de charmilles, aux tendres épanchements de l'un des ministres les plus austères du roi dont je sapais le piedestal depuis dix ans. J'assistais aux roucoulements de ce tourtereau de cinquante-huit ans avec une tourterelle de soixante, et déjà célèbre en Europe; je souriais du milieu d'une touffe épaisse de lilas, aux agaceries amoureuses de ce puritain génevois. J'étudiais, à la faveur d'une lampe merveilleuse dont le reflet frappait d'aplomb sur le visage de la belle étrangère, j'étudiais, dis-je, à la faveur de l'astre des amants, en ce moment dans toute sa splendeur, les émotions de cet intermède amoureux, lorsque je m'entendis appeler

dans le jardin. Il était neuf heures du soir et je ne saurais dire ce qui se passa après le baiser dont je fus le témoin...

HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE!

Je rentrai chez moi et y trouvai le comte d'A...., l'un de mes anciens camarades de la garde royale, chargé de me demander un rendez-vous de la part d'un émissaire du prince Louis-Napoléon, alors à Londres, où il projetait une revanche de la tentative infructueuse de Strasbourg.

C'était le 20 juin 1840, c'est-à-dire six semaines avant la réalisation de cette tentative nouvelle.

Ce rapprochement avec mes conversations de Thoun, cinq semaines avant celle de Strasbourg, me frappa; j'assignai donc à l'ambassadeur du prétendant napoléonien un rendez-vous pour le lendemain dans le jardin des Tuileries, et, sous l'ombrage de ses maronniers séculaires, en quelque sorte sous les yeux de Louis-Philippe, eut lieu l'entretien dont je vais révéler, également pour la première fois, les curieux mystères. Je trouvai, en effet, à l'heure indiquée, dans la grande allée des Orangers, M. de dont le frère avait été mon camarade dans la ligne.

***

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-«Monsieur de Mauduit, me dit l'ambassadeur du prince Louis, en m'abordant affectueusement, je suis chargé de la part du prince, d'avoir avec vous un entretien au sujet d'une communication importante, et

je vous remercie, en son nom, de votre empressement à me l'accorder.

<«< J'ai conçu de l'affection pour le jeune prince, répondis-je à M. de ***, depuis qu'un heureux hasard me le fit rencontrer à Thoun en 1836; je me rends donc avec plaisir à votre invitation, et je serais heureux d'être agréable au prince, si toutefois la chose est en mon pouvoir.

-<< Rien ne vous est plus facile, reprit M. de *** cela ne dépend que de vous. »

***

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M. de me rappelant alors mes entretiens avec le prince Louis, à Thoun, et l'estime qu'il en avait conservée pour mon caractère, entra immédiatement dans le sujet de la mission toute spéciale dont il se dit chargé près de moi.

« Le prince Louis, me dit en débutant son ambassadeur, connaît votre action sur les masses de l'armée, par ce dévoûment inébranlable que vous déployez pour leurs intérêts et leurs droits.

<< Il sait également toutes vos antipathies personnelles pour Louis-Philippe et son gouvernement, ainsi que vos efforts pour arriver à les culbuter.

« Le prince, vous le savez, est aussi son ennemi naturel, puisque, par sa naissance, il se croit des droits au trône, et qu'il persiste à les revendiquer malgré son premier échec de Strasbourg; il m'a donc confié la mission toute spéciale de vous voir et de réclamer votre concours à sa prochaine tentative.

- « Je suis touché, monsieur, de ce nouveau té

et

moignage de la haute confiance du prince Louis, répondrai en franc et loyal soldat à ses confidences, alors même que je ne croirais pas plus devoir m'associer à ses projets futurs que je ne crus pouvoir participer à ceux de Strasbourg, auxquels il me convia. << Les circonstances ne sont plus les mêmes, reprit M. de ***; les chances d'aujourd'hui sont plus favorables que les premières; encore furent-elles au moment d'obtenir un succès complet.

«Je le sais, monsieur, et il n'est pas douteux qu'avec un peu plus de résolution et d'intelligence que n'en montrèrent les conjurés du prince, le mouvement de Strasbourg eût pu réussir et renouveler le 20 mars, parce que, sur ce point, se trouvaient une population sympathique, une armée nombreuse et favorablement disposée; mais telles ne sont pas les conditions d'une tentative sur les côtes de la Manche.

- « C'est vrai, monsieur de Mauduit; mais aussi le prince a-t-il complété, par d'autres éléments, ce qui lui manquait à Strasbourg; je vais vous en donner la preuve. >>

- «Le prince ne se fait-il pas encore des illusions, monsieur, sur ses chances; car, aux yeux de bien des gens, un premier échec doit inspirer de la défiance, ou tout au moins une réserve fâcheuse en pareilles conjonctures, où il faut tant de zèle, tant de foi et tant d'audace? »

M. de

<< Le gouvernement de Louis-Philippe, reprit *, a commis bien des fautes depuis 1836, semé

***

plus d'un germe de mécontentement et de désaffection dans le public comme dans l'armée; et pour ce qui concerne celle-ci, vous en développez chaque jour, avec une grande habileté, toutes les conséquences; c'est cette tactique, qui n'a point échappé à l'attention du prince, votre fidèle abonné, qui m'a fait détacher auprès de

vous. >>>

- « Le prince connaît en effet, monsieur, mon but aussi bien que mes sentiments politiques. Je préférerais, sans nul doute, voir aux Tuileries un neveu de l'Empereur qu'un fourbe comme Louis-Philippe; mais ayant engagé ma foi au principe de l'hérédité monarchique, je ne puis consciencieusement et tant que je ne me croirai pas dégagé de mon serment, agir dans l'intérêt d'un prétendant autre que Henri V, quels que puissent être d'ailleurs mes souvenirs et mes affections antérieurs. >>

-« Je sais, monsieur de Mauduit, que tous vos efforts comme tous vos sacrifices tendent au rétablissement de la monarchie légitime; moi aussi je fus pendant longtemps l'un des plus fervents apôtres de ce principe, mais je le crois bien loin des sympathies des masses, qui ne verraient, dans sa résurrection, que le retour à la dime. aux droits féodaux, au despotisme du clergé et de la noblesse de cour. »

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<< Ah! monsieur de ***, vous avez trop d'élévation dans les sentiments et trop d'intelligence pour croire sérieusement à de pareilles billevesées politiques!... >>

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