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Quelques secondes après, trois autres détonations également précipitées frappèrent mon oreille.

<< Ah! me dis-je; c'est le général Leflô qui exécute son plan, celui d'appeler la population de Paris au secours de l'Assemblée, contre laquelle marche le prince Napoléon, à la tête des troupes, qui veulent en finir avec cette réunion de bavards et d'intrigants de toutes les couleurs!...

Je me levai brusquement et courus à ma croisée, en interpellant mon voisin, comme moi, vieux soldat de la garde impériale, et, comme moi aussi, naufragé de Waterloo.

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<< En effet, me dit mon ancien frère d'armes, ce n'est pas ainsi que s'exécutent ordinairement de simples exercices à feu au Champ-de-Mars. Il y a là quelque chose d'extraordinaire ; je vais courir aux nouvelles et viendrai vous les transmettre. >>

Aux détonations de l'artillerie, succédèrent bientôt les fusillades de l'infanterie, qui de minutes en minutes étaient accompagnées par des obusiers ou des canons.

Ce feu roulant, image vraie d'un combat sérieux, dura ainsi pendant près d'une heure, et cessa tout à coup.

- « La bataille est gagnée, me dis-je : pourvu que le général Leflô ne se trouve pas au nombre des morts, car certes il a du être le dernier à quitter son poste. >>

J'étais plongé dans ces tristes préoccupations, lorsque mon voisin vint m'annoncer, en toute hâte, que c'était la brigade du général Marulaz qui manœuvrait au

Champ-de-Mars, et qu'elle avait passé sur le quai de la rive droite, à 9 heures. Cette nouvelle me rassura sur le compte de mon cousin le général Leflô, mais ne changea en rien mon opinion sur la prochaine déroute de l'Assemblée dite nationale.

LIVRE SIXIÈME.

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Coup d'Etat du 2 Décembre, anniversaire d'Austerlitz. Ses préludes et son exécution; mes prédictions au général Leflô; ses illusions et ses déceptions. La vérité sur son arrestation. Proclamations. Décrets. Arrestations. Attitude de l'armée. Scènes parlementaires. Courage civique du président Dupin. Physionomie de Paris pendant la journée du 2 Décembre. Provocations fanfaronnes de la fashion omnicolore. Adhésion et calme de l'ouvrier. - Une étrange rencontre. Amour fraternel de deux jeunes femmes. giques. Rentrée de chacun chez soi.

cieux.

· Velléités démagoParis redevenu silen

CHAPITRE XIV.

Lundi 1er Décembre.

La journée du dimanche, consacrée à l'élection du représentant qui devait remplacer le général Magnan, s'était passée au milieu du calme le plus profond; aucune manifestation n'avait eu lieu à l'occasion du scrutin, les partisans du suffrage universel avaient borné

leur opposition à la loi du 31 mai, à une simple abstention, et le tiers seul des électeurs avaient retiré leurs cartes, ce qui laissait du doute sur la validité de l'élection de M. Devinck, candidat qui, seul, paraissait devoir réunir le nombre de voix voulu.

La matinée du lendemain, 1er décembre, se fit également remarquer par l'indifférence la plus complète de la part de la population parisienne, au sujet de cette élection; mais, vers une heure de l'après-midi, une certaine émotion se fit sentir sur les boulevarts à la vue d'un nombre extraordinaire d'ordonnances de lanciers, galopant, et souvent par groupes de deux et trois.

On s'interrogeait sur les causes de ce mouvement inusité, mais personne ne pouvait s'en rendre compte; et, vers 3 heures, la foule était nombreuse et avide de connaître le mot de l'énigme. C'était, dit-on, le moyen mis en usage par l'Elysée pour avoir plus promptement le résultat du scrutin, qui, sans doute devait servir de ligne de conduite au Président de la République pour ses projets ultérieurs.

M. Devinck ayant réuni environ cinquante mille voix, son élection était validée.

Il y eut soirée à l'Elysée, comme à l'ordinaire, et rien n'y transpira de ce qui devait se passer quelques heures plus tard; la physionomie du prince Napoléon avait conservé tout son calme, toute son impassibilité habituels, et cependant que de choses devaient agiter, en ce moment, son esprit et son cœur, et qu'il faut savoir être maître de soi, pour ne rien laisser transpirer en pareilles

conjonctures!... Jouer sa tête, sur un coup de dé, et ne rien laisser apercevoir de l'agitation de son âme, annonce une force de volonté qui doit assurer le succès à qui en est doué.

A minuit chacun se retira, bien loin de s'attendre au réveil qui lui était réservé.

Le palais du Président de la République était silencieux; il ne restait plus d'éclairé que ce qui doit l'être, toute la nuit, pour le service des rondes; l'on n'entendait plus que le pas cadencé des patrouilles et les qui vive des factionnaires appelant au mot de ralliement les chefs de ces patrouilles. Tout le quartier dormait du sommeil le plus profond, quatre hommes seulement ne dormaient pas :

Le prince Napoléon,

Le général de Saint-Arnaud,

M. de Morny,

Et le préfet de police, M. de Maupas.

Quel moment solennel pour le Prince et pour ses trois confidents!..... Et l'on ne sait-ce que l'on doit le plus admirer de l'audace du projet ou de l'habileté de son exécution.

La plus légère maladresse, une parole indiscrète pouvait tout compromettre. Il y allait pour tous quatre de la vie ou de la mort, car la roche Tarpéienne est près du Capitole alea jacta est!.....

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A cinq heures du matin, les troupes dormaient en

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