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suade que votre majesté est revenue des préventions qu'on lui avait données contre moi. - Oui, entièrement. -Eh bien! sire, je me dévoue à votre service; mais la place de ministre n'est plus la même qu'autrefois: sans cesser d'être le serviteur de votre majesté, je suis l'homme de la nation. Je vous parlerai toujours le langage de la liberté et de la constitution; renfermé dans mes fonctions, je ne vous ferai pas la cour; et, à cet égard, je romprai toutes les étiquettes pour vous mieux servir. Je ne travaillerai qu'avec vous, ou au conseil. Presque tout votre corps diplomatique est contre-révolutionnaire ouvertement. On me pressera de vous engager à le changer. Je contrarierai vos goûts dans les choix, je vous proposerai des sujets que vous ne connaîtrez pas du tout, d'autres qui vous déplairont. Quand votre répugnance sera trop forte et motivée, comme vous êtes le maître, j'obéirai; mais si vos choix sont suggérés par vos entours, et visiblement dans le cas de vous compromettre, alors je vous supplierai ou de me laisser le maître, ou de me donner un successeur. Pensez aux dangers terribles qui assiégent votre trône. Il faut le soutenir par la confiance publique : c'est une conquête à faire, sire, et elle dépend de vous. J'ai fait, ce matin, le plan de quatre dépêches importantes; je les apporterai au premier conseil. Elles ne ressemblent en rien, ni pour les principes ni pour le style, à celles de mes prédécesseurs, parce qu'elles doivent convenir aux circonstances: si mon travail vous agrée, je le continuerai, sinon j'aurai mes équipages tout prêts pour aller servir ma patrie et vous dans les armées; c'est mon véritable élément et l'objet de mes plus grands travaux depuis trentesix ans !

Il y avait dans ce langage simple, vigoureux et noble, quelque chose qui devait surprendre et même blesser Louis XVI; il répondit, pourtant : J'aime votre franchise; je sais que vous m'êtes attaché; je veux la constitution,

j'espère que je serai content de votre travail. On m'avait dit bien du mal contre vous!..... Le lendemain, Dumouriez se présente au conseil avec quatre dépêches pour Vienne, pour la Prusse, pour Londres, et enfin pour Madrid; le texte en était clair et précis. Le ministre parlait au nom du roi, mais dans le sens de la constitution. On loua beaucoup cette nouvelle manière d'établir des relations diplomatiques. Cahier de Gerville, Bertrand de Molleville, avaient donné leur démission; Duport du Tertre et Tarbé firent de même quelques jours plus tard. Ainsi tombait le ministère donné par les Feuillans. La gironde, qui avait fait déjà nommer Dumouriez, allait présider aux autres choix. On consulta Brissot et Condorcet, et, d'après leurs avis, le ministère fut ainsi organisé : à la marine, Lacoste, ancien commissaire ordonnateur; à la justice, Duranthon; aux contributions, Clavières; Roland à l'intérieur, Degraves à la guerre, comme nous l'avons dit, et Dumouriez aux affaires étrangères.

Ce cabinet mérite de nous une attention toute particulière; il est presque totalement composé d'hommes que nous devons faire connaître, car c'est pendant le temps qu'ils vont être au timon des affaires que les résolutions les plus graves seront prises, et que va commencer une autre guerre de trente ans auprès de laquelle la première ne paraîtra plus qu'un jeu d'enfans. Quoique les nouveaux élus du pouvoir ne fussent pas tous plébéiens, et que parmi eux le seul Dumouriez eût fréquenté la société mère, le peuple désignait leur réunion par le titre de ministère sans-culotte; les journaux aux gages de la cour et de l'aristocratie désignaient les ministres comme des bonnets rouges, parce que Dumouriez, immédiatement après sa nomiination, avait paru aux Jacobins avec cette coiffure sur la tête. Alors le bonnet rouge, auquel ne se rattachaient que de nobles souvenirs, avait été adopté pour signe de ralliement des patriotes. Pétion, à l'instigation des Girondins, écri

vit aux clubs pour leur faire sentir que cette distinction rappelait la rose rouge et la rose blanche, ainsi que les chaperons du temps du roi Jean, et pourrait avoir des résultats fâcheux en conséquence et pour quelque temps, le bonnet, qui déplaisait peut-être à la belle madame Roland, fut abandonné. Dumouriez connaissait les courtisans, leurs préventions incurables, leurs haines acharnées, leur influence sur les princes, influence d'autant plus dangereuse qu'elle est de tous les momens; il voulut donc se préserver des coups funestes que leur inimitić déclarée pourrait porter aux ministres; et pour parvenir plus sûrement à ce but, il résolut de détacher de la coalition formée contre eux dans le palais, la fière MarieAntoinette, dont le premier accueil lui avait paru froid et gêné. Quelques jours après sa présentation, introduit dans la chambre de la reine, il la trouva scule, très rouge, se promenant à grands pas avec une agitation qui présageait une explication très vive; il alla se placer au coin de la cheminée, douloureusement affecté du sort malheureux de cette princesse, et des sensations terribles qu'elle éprouvait. Elle vint à lui d'un air majestueux et irrité, et elle lui dit : « Monsieur, vous êtes tout puissant aujourd'hui; mais c'est par la faveur du peuple, qui brise bien vite ses idoles. Votre existence dépend de votre conduite on dit que vous avez beaucoup de talent, vous devez juger que ni le roi ni moi ne pouvons souffrir toutes ces nouveautés ni la constitution. Je suis désolé de la pénible confidence que vient de me faire votre majesté, répondit le ministre; je ne la trahirai point, mais je suis entre le roi et la nation, et j'appartiens à ma patric. Permettez-moi de vous représenter que le salut du roi, le vôtre, celui de vos augustes enfans, est attaché à la constitution, ainsi que le rétablissement de son autorité légitime. Je vous servirais mal et lui aussi, si je vous parlais différemment. Vous êtes tous deux entourés d'ennemis

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qui vous sacrifient à leur propre intérêt. La constitution, si une fois elle est en vigueur, bien loin de faire le malheur du roi, fera sa félicité et sa gloire. Il faut qu'il concoure à ce qu'elle s'établisse solidement et promptement. » Marie Antoinette sembla peu convaincue par l'opinion du nouveau ministre, et, s'approchant de lui avec un geste menaçant : « Prenez garde à vous! dit-elle, cela ne durera pas ! - Madame, reprit Dumouriez, j'ai plus de cinquante ans; ma vie a été traversée de bien des périls, et, en prenant le ministère, j'ai bien réfléchi que la responsabilité n'était pas le plus grand de mes dangers. Il ne manquait plus, sécria-t-elle avec douleur, que de me calomnier vous semblez croire que je suis capable de vous faire assassiner! » et des larmes coulèrent

de ses yeux

Agité autant qu'elle : « Dieu me préserve, dit-il, de vous faire une aussi cruelle injure. Le caractère de votre majesté est grand et noble; elle en a donné des preuves héroïques que j'ai admirées et qui m'ont attaché à elle. >> Alors, fâchée de son emportement, et par un de ces retours pleins de charme qui tempéraient la hauteur de son caractère et les inégalités de son humeur, Marie-Antoinette s'approcha de Dumouriez, et s'appuya sur son bras; il continua: «Croyez-moi, madame, je n'ai aucun intérêt à vous tromper ; j'abhorre autant que vous l'anarchie et les crimes. Croyez-moi, j'ai de l'expérience, je suis mieux placé que votre majesté pour juger les événemens. Ceci n'est pas un mouvement populaire momentané, comme vous semblez le croire, c'est l'insurrection presque unanime d'une grande nation contre des abus invétérés. De grandes factions attisent cet incendie, il y a dans toutes des scélérats et des fous. Je n'envisage dans la révolution que le roi et la nation entière tout ce qui tend à les séparer conduit à une ruine mutuelle; je travaille autant que je peux à les réunir, c'est à vous à m'aider: si je suis un ob

stacle à vos desseins, dites-le-moi, je porte sur-le-champ ma démission au roi, et je vais gémir dans un coin sur le sort de ma patrie et sur le vôtre.» Le ministre parut en ce moment obtenir la confiance de la reine; mais, hélas! ce n'était qu'une victoire de quelques jours seulement! Entourée de mauvais conseillers et d'amis selon son cœur, qui l'égaraient par aveuglement et par passion, elle revint bien vite aux principes et aux actions qui avaient déjà failli la perdre sans retour. Les autres ministres, sans avoir les hautes vues d'ensemble que Dumouriez fécondait encore par un travail soutenu, n'étaient point des hommes sans mérite. Presque tous se distinguaient par la droiture des intentions, les lumières de l'esprit et des talens spéciaux pour telle ou telle partie de l'administration. Roland, celui d'entre eux qui joua le plus grand rôle après Dumouriez, avait des mœurs républicaines, et prétendait les conserver dans le palais des rois. La première fois que cette espèce de Franklin parut à la cour, la simplicité de son costume, son chapeau rond, et les rubans qui nouaient ses souliers, firent l'étonnement et le scandale des valets. Le maître des cérémonies s'approcha de Dumouriez, d'un air inquiet, le sourcil froncé, la voix basse et contrainte, et montrant Roland du coin de l'œil. « Eh! monsieur, point de boucles à ses souliers! Ah! monsieur, répliqua Dumouriez avec le sang-froid le plus comique, tout est perdu. » Qu'un maître des cérémonies éprouvât cette vive inquiétude pour un objet si mince, rien d'étonnant; mais Marie-Antoinette, entourée de pareils dangers, devait-elle se montrer blessée comme elle le fut par une innovation de ce genre? Toutefois avec plus d'esprit Roland n'aurait pas ainsi débuté à la cour. Ce ministre n'avait pas reçu de la nature des dons supérieurs; son esprit était juste, éclairé; il avait une certaine aptitude pour l'administration, mais peu de connaissance des hommes, qu'il n'était pas propre à manier son caractère irascible et domi

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