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On en encourageait les auteurs; ou prenait des engagemens avec eux; on ne leur permettait pas de douter que le succès de leur ouvrage ne fût la rẻcompense de leur dévouement. L'Europe sait quelle a été cette récompense. Cette constitution, rejetée d'abord avec mépris, a été réclamée il y a trois ans par une troupe sous les armes; et, comme je m'exprimerai avec la même franchise sur les peuples et sur les gouvernemens, je n'hésite point à ajouter que cette insurrection militaire était un acte de violence, et que la violence, d'une part comme de l'autre, ne saurait rien légitimer.

« Mais enfin le cri qui s'était élevé pour la constitution, aux lieux qui en furent le berceau, a été répété dans toute l'Espagne. Cette constitution a été jurée, et elle a été reconnue, ou formellement ou tacitement, par tous les princes qui ont envoyé des ambassadeurs au roi constitutionnel, ou qui ont admis les ambassadeurs espagnols.

« A cette époque, on ne mit point l'Espagne hors du droit public de l'Europe, sous prétexte que sa constitution était défectueuse dans son essence, vicieuse dans son origine, et irrégulière dans les formes de son acceptation. Et en effet, si c'est dans les anciennes institutions et dans l'histoire qu'existent, pour les peuples et pour les monarques, les titres de leurs droits imprescriptibles, les Espagnols auraient pu rappeler leurs constitutions abolies par Ferdinand V, et prouver qu'ils ne réclamaient pas même toutes les libertés dont avaient joui leurs ancêtres.

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Ici l'orateur entrait dans un parallèle des constitutions anciennes avec la constitution nouvelle. Divers membres (M. le comte de Saint-Roman, M. le marquis de Talaṛu), observent que la discussion a pour objet le projet d'adresse soumis à la Chambre, et non la constitution des cortès, et M. le président invite l'orateur à se renfermer dans la question.

M. le comte Daru la considérant alors sous un autre point de vue, demande si c'est la situation actuelle de l'Espagne, l'opposition qui s'y est manifestée, qui pourrait déterminer l'intervention armée, que l'apparition de l'acte constitutionnel n'avait décidée ni en 1812, ni en 1820.

Mais quel peut être l'objet de ce changement de politique ? le danger que cette constitution peut faire courir à d'autres états. Oui, je le sais, le principal défaut de la constitution des cortès, c'est d'avoir été adoptée par les peuples de Turin et de Naples. Comme la plus grande faute de ces peuples fut de s'enthousiasmer pour un ouvrage si imparfait, on les fit rentrer par la force dans la soumission à leurs anciennes lois, on arracha cette plante étrangère avant qu'elle eût pris racine; mais on ne le poursuivit point sur son sol natal, où elle croissait alors paisiblement. Serait-elle plus dangereuse aujourd'hui que les malheurs de l'Espagne rendent si manifeste l'instabilité d'une constitution où les pouvoirs ne sont point balancés ?

• Voulez-vous vous préserver sûrement de l'invasion de la constitution espagnole? faites jouir la France de tous les bienfaits que la Charte lui a

promis. Exécutée franchement, ce sera votre Charte qui fera des conquêtes, et notre roi aura la gloire d'être le législateur d'une partie des nations. civilisées.

. Mais quand il serait vrai que la loi des cortès fût assez séduisante pour être désirée, est-il bien certain que vous eussiez le droit de prescrire aux Espagnols d'y renoncer? Tant que l'Espagne ne vous attaque pas, votre droit se borne à vous préserver de la contagion de ses principes, à interrompre toute communication avec elle, si vous voulez; mais il ne va pas jusqu'à Ini dicter des lois, puisqu'elle est un état indépendant. Mais, chez ce peuple, il y a désordre, discorde, injustice, oppression. — Et qui vous a rendu les juges? De bonne foi, est-ce bien à vous qui, pendant vingt-cinq ans, avez repoussé l'intervention armée de l'étranger, de vouloir soumettre un peuple à la vôtre ?

Ici le noble orateur abordant la question sous le rapport de la situation personnelle du roi d'Espagne, expose que, dans une matière aussi délicate à traiter que celle de la liberté des écrits, on pourrait en abuser pour annuler leurs actes et s'immiscer dans leurs affaires.

• Quant à l'intérêt des peuples, croit-on le servir utilement, dit-il, en replongeant dans le trouble une masse de citoyens qui, étrangers à tout excès, amis de l'ordre, et rassurés par les sermens de son roi, avait juré, à son exemple, fidélité aux nouvelles institutions, et commençait à s'y accoutumer? »

Après avoir combattu les motifs de l'intervention armée, l'orateur en examine les moyens, non sous le rapport du développement et de l'emploi de nos forces militaires ( tâche qu'il laisse aux habiles capitaines qui siégent dans cette enceinte ); mais, sous le rapport des circonstances qui pourraient favoriser le succès de nos armes, il n'en aperçoit que deux, le concours d'une partie de la nation espagnole ou celui des puissances étrangères.

On nous dit qu'un parti considérable nous appelle en Espagne ; un grand parti appelait anssi Charles VIII en Italie; il trouva cette péninsule la croix à la main; et, à son retour, il trouva tous ses peuples réunis contre lui. Mais je suppose qu'une partie considérable de la population se réunisse, à l'aspect de nos drapeaux, pour les précéder ; qu'elle ne vous laisse rien à faire; qu'elle assure votre marche, vos approvisionnemens, la tranquillité de vos cantonnemens, la facilité de vos communications; que ses succès soient, prompts et décisifs, il vous restera la gloire d'avoir attisé la guerre civile; et, pour récompense, vous serez témoins des vengeances et des réactions: car vous ne vous flattez pas de trouver de la modération dans les vainqueurs. Mais si la population repousse effectivement le nouvel ordre des choses, elle a déjà reçu, par les notes politiques qui ont été publiées, et par la préAnnuaire hist. pour 1823.

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sence de votre armée d'observation sur les Pyrénées, des encouragemens qui auraient dû décider une explosion.

Et si cette explosion n'était pas aussi générale qu'on l'espère, si elle ne servait qu'à allumer la guerre civile, sans en décider le succès, l'Espagne serait plongée dans un abîme de malheurs, et la France aurait à supporter le poids de la guerre.

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Mais on s'empresse d'ajouter qu'alors des forces alliées accourraient pour le partager. Quoi! des puissances qui n'ont rien à craindre de la contagion des principes de l'Espagne, des puissances à qui les troubles de la pénin-sule sont, sinon moralement, au moins politiquement indifférens, viendront répandre l'or et le sang de leurs sujets dans cette croisade politique, déplacer leurs troupes, dont elles ont besoin ailleurs, compromettre la réputation de leurs armes, le tout pour que l'Espagne ait une autre constitution, ou des inquisiteurs ! Et si l'Europe n'était pas unanime daus ses résolutions à cet égard; si la diversité des intérêts, la succession des événemens faisaient naître des vœux contraires, l'Europe se verrait embrasée par une guerre générale, et le dépit de voir s'établir dans un pays malheureux certaines théories, bonnes ou mauvaises, aurait coûté des torrens de sang.

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Considérée relativement à la France, quel serait le résultat de cette coalition? Notre territoire serait traversé par des troupes étrangères. Hélas! nos désastres sont encore trop récens pour que les yeux des Français puissent se reposer sur des drapeaux qui rappellent des souvenirs si amers!

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Et s'il fallait nourrir ces étrangers, les payer, leur laisser occuper quelques places, la nation humiliée se croirait revenue à ces temps où, couvertes de blessures en présence de l'Europe coalisée, elle ne put conserver que la dignité du malheur.

"

Non, les coeurs généreux ne se consolent pas sitôt de leurs disgraces. Le eri du citoyen sera pendant long-temps encore: «< Épargnez-nous la vue des drapeaux étrangers. Ces étrangers, nous les avons tous vaincus. Ils se sont réunis ; ils ont profité de nos divisions; ils ont foulé le sol de la patrie : qu'ils emportent notre or; mais que leur présence, que leur secours même ne vienne pas aigrir notre douleur. Si nous avons délibéré la guerre, faisons-la avec nos propres forces, sans partager l'honneur du succès, sans voir l'étranger sur notre territoire, s'il veut aussi combattre l'Espagne, qu'il aille la chercher à travers les mers. »

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Ce concert pour porter à la fois dans la Péninsule les armes de plusieurs puissances diverses ferait croire qu'au moins on est d'accord sur le but de l'invasion mais comment supposer cet accord sur des théories politiques? Ce qu'on veut unanimement, c'est le renversement de l'ordre de choses actuel... Il est bien à craindre qu'on ne fasse la guerre avant de savoir positivement ce qu'on voudra après la victoire.

« Tandis que vous prenez les armes pour repousser des principes dangereux, vous en établissez un dont les conséquences sont terribles, puisqu'elles attaquent en masse l'indépendance politique des nations. Vous légitimez votre agression contre l'Espagne sur ce qu'une nation a le droit d'intervenir dans les affaires d'une autre ; vous vous constituez les juges de vos voisins dans leurs dissensions domestiques; vous leur notifiez vos volontés avec menaces; vous invoquez le droit du plus fort; et, comme il n'est pas raisonnable d'établir un principe sans se soumettre à en subir les conséquences, vous amenez de loin le jour où l'on vous en fera l'application. Toutes les nations auront le droit d'intervenir dans vos affaires, toutes les fois qu'un intérêt, dont elles seront les juges, le leur conseillera. Ce principe

admis, il n'y a plus de paix ni d'indépendance sur la terre. Je demande quel danger est comparable à celui-là.

Après ce discours, terminé par des vœux pour le maintien de la paix, plusieurs fois interrompu par les réclamations de divers. membres, comme s'écartant de l'objet spécial de la question, ou tendant à entraîner la Chambre hors de la sphère de ses attributions, à la faire délibérer sur la paix ou sur la guerre, M. le ministre des finances, président du conseil des ministres, demanda ̧ à étre entendu, pour s'opposer aux changemens qu'on proposait d'introduire dans le projet d'adresse.

Que contient le discours du trône? et que propose-t-on d'y répondre ? dit S. Exc. Le Roi déclare qu'il a tout tenté pour garantir la sécurité de ses peuples. Il annonce que l'aveuglement avec lequel ont été repoussées ses représentations lui laisse peu d'espoir de conserver la paix, et c'est au moment où il s'afflige de perdre cet espoir, au moment où il regrette de n'avoir pu conclare le maintien de la paix avec l'honneur et la sécurité de la France, qu'on propose d'invoquer de nouveau cette paix, l'objet de tant d'efforts et de sacrifices inutiles! C'est dans une pareille situation que, par une adresse publique, on inviterait S. M. à réfléchir sur les conséquences de la guerre et sur les maux qu'elle entraîne; qu'on ne craiudrait pas même de présenter cette guerre comme pouvant compromettre l'intérêt du pays et le principe de l'indépendance nationale! Le ministre est loin de supposer que la chambre des pairs venille prendre sur elle l'effrayante responsabilité d'une telle démarche, qu'elle se détermine à émettre un vœu dont elle n'a par-devers elle aucun moyen d'apprécier la gravité... Ce vœu d'ailleurs, dans les termes où on l'exprime, contient un reproche indirect adressé au gouvernement qu'auraient dû justifier l'auteur de la nouvelle rédaction et les orateurs qui la défendent... Ils observent, à la vérité, qu'à une date peu éloignée, celle du 4 juin 1822, le Roi ne trouvait pas dans la situation intérieure de l'Espagne un motif de rompre avec elle, puisque, dans son discours prononcé à l'ouverture de la session, S. M. se plaignait que la malveillance dénaturât ses intentions, en présentant comme offensives de simples précautions sanitaires. Mais à l'époque dont il s'agit, les mesures prises par la France n'avaient pas effectivement d'autre but, Elles ont dù changer de caractère lorsque, bientôt après, les événemens du 7 juillet sont venus révéler à l'Europe toute la gravité de la situation dans laquelle se plaçait l'Espagne, non-seulement par rapport aux autres états, mais spécialement par rapport à la France. Ces événemens, dont on se garde bien de parler, furent tels, que les ambassadeurs des différentes puissances se crurent obligés de faire des démarches pour garantir la personne royale. Ces mêmes événemens allumèrent en Espagne la guerre civile qui a surtout éclaté dans le voisinage de nos frontières. Ainsi la France a vu compromettre sa sécurité, ainsi elle a vu menacer la conservation d'une dynastie dont l'alliance est nécessaire à son repos et à celui de l'Europe! C'est de ce grand, de ce commun intérêt qu'il s'agit en ce moment, non de la nature particulière de telles ou de telles institutions. Peut-on, saus connaître jusqu'où cet intérêt a été compromis, se croire plus en état que le Roi même d'apprécier la mesure qu'exige la circons

tance? On ne veut, dit-on, qu'exprimer un sentiment d'humanité, un vœu pour le maintien de la paix; mais ce vou, ce sentiment, ne sont-ils pas exprimés dans le discours du trône? L'Espagne, ajoutent les défenseurs de l'amendement, s'est donné, en 1812, les institutions dont on s'alarme aujourd'hui ; pourquoi à cette époque ont-elles été reconnues par les souverains? c'est qu'elles présentaient en l'absence du roi un moyen énergique de résistance à l'oppression; mais quand le roi reparut, il fat aisé de s'apercevoir que sa place y avait été oubliée. C'est à réparer cet oubli, à rendre au roi d'Espagne la liberté et l'autorité dont le privent des institutions imposées par la force, que tendent les vœux et les efforts de la France. Ce but clairement indiqué semble avoir échappé aux divers orateurs... Ils craignent, disent-ils, de revoir en France les étrangers; mais le plus sûr moyen d'empêcher leur retour, n'est-ce pas de rétablir l'ordre en Espagne? Croit-on, si la révolution espagnole continue à menacer les trônes, qu'il ne sera plus aucun moyen pour en arrêter les progrès ? Et n'est-ce pas en s'armant elle-même que la France écartera la possibilité de voir ses provinces traversées par des troupes étrangères? La question est plus grave que ne paraissent le supposer les opinans qui l'ont élevée. Le Roi et son gouvernement en ont senti l'importance, et n'ont épargné pour conserver la paix aucun sacrifice, hors celui de l'honneur et de la sécurité. Mais l'état actuel de l'Espagne compromet l'un et l'autre, et la France, pour le faire cesser, doit prendre les mesures qui lui restent. Est-ce dans une telle situation qu'il paraîtrait convenable d'insister auprès du Roi sur les dangers de la guerre, sur les calamités qu'elle peut entraîner à sa suite? Une pareille réponse offrirait-elle à S. M. l'accord qu'elle s'est flattée de trouver dans les membres des denx Chambres pour la défense de nos plus chers intérêts? Cet accord, la Chambre ne peut le montrer dans la discussion actuelle qu'en rejetant les amendemens qui lui sont proposés. ›

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Ici se termina par la clôture la discussion de l'amendement originaire(de M. de Barante ); mais M. le comte de Ségur, qui avait proposé de le restreindre à sa première partie, obtint encore la parole. Dans son opinion, il ne s'agissait plus que d'exprimer le vœu de la Chambre pour le maintien de la paix; la prérogative royale n'en pouvait pas être blessée. Les pairs de France n'étaientils pas les conseillers nés de la couronne ? et, renfermée dans ces limites, l'expression de ce vœu ne pouvait porter atteinte au principe fondamental de la distinction des pouvoirs...

Ce sous-amendement fut combattu par M. le vicomte de Châteaubriant, ministre des affaires étrangères.

« Au premier coup-d'œil, dit S. Exc., il semble qu'an sous-amendement qui n'exprime que nos vœux unanimes pour la paix, ne paraît pas devoir être repoussé; mais, en y regardant de plus près, on voit que la malveillance pourrait en tirer parti au dehors, en la représentant comme un blâme indirect des mesures énoncées dans le discours de la couronne. Et si la guerre est inévitable, tout ce qui tenterait à jeter de l'incertitude dans les

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