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Il est possible, suivant l'orateur, que les Espagnols tentent eux-mêmes des invasions en France, et y soulèvent l'esprit révo lutionnaire; et qui peut en prévoir le résultat ?

Quant à l'extérieur, M. Duvergier de Hauranne observe que l'Angleterre a voulu inutilement empêcher la guerre, et que la guerre doit inévitablement augmenter son commerce et son influence; qu'il peut en résulter avec elle de graves difficultés dans nos rapports sur les droits de visite et de blocus. En se bornant à considérer la situation de l'Espagne, l'orateur pense que les divisions politiques du pays empêchent toute intervention d'être utile; qu'il nous faudra l'occuper militairement pendant long-temps, et que nous finirons par être odieux aux deux partis... Enfin l'orateur, conjurant les ministres d'écarter les maux qu'il prévoit, et d'éviter une guerre imprudente et impolitique, propose de substituer à la seconde partie de l'adresse l'amendement suivant:

« Une guerre imminente va peut-être altérer le bonheur dont nous jouissons. Nous savons, Sire, qu'il vous appartient d'en délibérer; et toutes les fois que la dignité de la couronne, l'honneur et la sûreté de la France seront en danger, V. M. peut compter sur notre empressement à les défendre avec elle. Mais en même temps, nous attachant à l'espoir que nous entrevoyons encore, un devoir impérieux nous commande de vous soumettre l'expression des vœux que forment vos peuples pour le maintien d'une paix dont ils ont besoin, après de si longues calamités et des charges si pesantes.

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Une inflexible nécessité pourrait seule déterminer à entreprendre une guerre, prélude peut-être d'un embrasement universel, et dont personne ne saurait prévoir les résultats. Nous mettons, Sire, notre confiance dans la sollicitude paternelle de Votre Majesté pour tout ce qui touche au bonheur des Français et à la prospérité du royaume. »

Après M. Duvergier de Hauranne, M. le général Foy présente cet autre amendement, en apparence plus restreint:

Si votre cœur paternel ne peut éparguer à votre peuple les calamités d'une guerre qui serait devenue inévitable, ce sera pour nous le motif d'une juste et profonde gratitude, de voir la volonté du Roi et le déploiement des forces nationales garantir au pays que jamais, par les chances de la guerre, ou sous le prétexte d'alliance et de secours, les troupes étrangères n'entreront sur le territoire de la France. »

« Messieurs, dit le général, mon amendement m'a été suggéré par le discours qu'a prononcé en cette séance un membre de la majorité. J'ai jugé qu'il était de mon devoir de vous le présenter, lorsque j'ai vu les assertions que renferment ce discours, implicitement confirmées dans les explications que vient de donner à la tribune M. le président du conseil des ministres.

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Ce membre de la majorité a dit, et il l'a dit sans que son parti en ait

témoigné de l'étonnement, que l'entrée des troupes étrangères en France, pour aller de là en Espagne, est une opération simple et naturelle, dout l'histoire offre à chaque pas les exemples analogues, et dont il ne faut pas s'inquieter. M. le président du conseil des ministres, tout en ayant commencé par déclarer que nous ferons la guerre nous seuls, a insinué ensuite que cette guerre ne dépendait pas uniquement de notre volonté. « Nous sommes placés « dans l'alternative, a-t-il dit (car j'ai le soin de recueillir ses paroles), nous sommes placés dans l'alternative d'attaquer la révolution espagnole - aux Pyrénées, ou d'aller la défendre sur nos frontières du nord... »

Si la France toute seule, la France livrée à elle-même, la France indépendante, était engagée dans un duel avec l'Espague, je pleurerais les calamités d'une guerre absurde, d'une guerre sans justice et sans morale, d'une guerre sans profit et sans gloire; je pleurerais ces calamités, mais j'en verrais la fin possible, et dès lors il y aurait soulagement aux maux que nous éprouvons.

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Mais il n'en est pas ainsi; la guerre actuelle est placée hors de nous, hors de notre portée; l'impulsion est venue du dehors. Cette colère n'est pas française, elle est l'écho de la colère des Prussiens et des Cosaques. Nous ne sommes pas les seuls à allumer l'incendie ; qui peut nous dire si nous serons jamais les maitres de l'éteindre ? Où s'arrêtera-t-il ce fléau terrible, inexorable? C'est là, Messieurs, le point où mon amendement se dirige; voilà l'effroyable danger sur l'existence duquel je provoque les explications des ministres de S. M. Elles sont nécessaires, ces explications, à la législature et à la France. » « Les ministres se flatteraient-ils de nous faire accroire qu'ils agissent seuls, dans lears propres vues, et avec leur entière liberté? Ici les faits parlent, et ils parlent avec énergie. La guerre occulte et souterraine que notre gouverneinent faisait depuis un an à la nation espagnole, a été convertie tout à coup en éclats menaçans. Cet éclat, ces menaces, est-ce l'Espagne qui les a provoqués?... Mais la sitnation de ce pays est la même qu'en 1820 et 1821. Il s'y est fait une révolution, mais jamais révolution n'a été accompagnée de si peu d'excès... Et ce n'est pas moi qui vous le dis; c'est lord Liverpool, le vieil et constant antagoniste de la révolution française, le pilier des institutions aristocratiques de l'Angleterre... Mais ce que n'a pas dit lord Liverpool, et ce que je dois ajouter, c'est qu'il y a eu moins de jugemens pour crimes et délits politiques dans l'Espagne constitutionnelle depuis trois ans, qu'il n'y en a eu une seule anuée dans la France, après huit ans de restauration.

« M. le président du conseil des ministres vous a dit que les événemens du 7 juillet ont dû changer, et ont changé réellement les rapports de la France avec l'Espagne... Mais, postérieurement au 7 juillet, notre cabinet a vécu en bonne intelligence apparente avec le cabinet de Madrid; postérieurement au 7 jaillet, M. de Villèle a repoussé à cette tribune la proposition d'un député qui voulait que les réfugiés de l'armée de la Foi fussent compris au budget pour la même allocation que les anciens réfugiés espagnols et portugais.

- M. le président du conseil des ministres vous a dit que le gouvernement avait temporisé au mois de juillet, parce qu'il n'avait pas alors les moyens de faire la guerre, et que ces moyens n'ont été réunis que vers le 15 novembre... Mais notre armée était plus nombreuse et avait plus de vieux soldats sous les armes an mois de juillet qu'aujourd'hui ; et quant au matériel, il n'en fallait pas une grande quantité pour commencer la guerre, si la guerre eût été jugée nécessaire.

- Mais les conseillers de la couronne ne jugeaient pas alors que la guerre fût nécessaire; il faut donc chercher ailleurs le secret de leur politique. C'est de

Vérone que la guerre nous est venue. Notre intervention actuelle dans les affaires intérieures de l'Espagne n'est pas un acte qui n'appartienne qu'à nous. La triple alliance est derrière nous qui nous presse, après avoir été pressée elle-même par la turbulence de la faction qui domine notre pays. La guerre d'Espagne n'est pas une guerre isolée; elle sera bientôt une guerre européenne; vous la commencez sur les Pyrénées, vous ne savez pas où elle se transportera, vons ne savez pas où elle finira.

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Mais nous, députés de la France, nous devons avant tout assurer l'inviolabilité de notre territoire. C'est le premier besoin de la nation; c'est le vœu le plus ardent de tout ce qui a le cœur français. Mon amendement ne sera pas improductif, s'il oblige les ministres du Roi à dissiper les craintes qu'ont fait naître les discours prononcés à cette séance par eux, et par ceux qui les appuient de leurs votes. Je demande aux ministres, et ma proposition n'a rien de contraire aux droits de la prérogative royale, ni aux usages des chambres législatives, je leur demande de nous faire connaître,

« 1° Quels arrangemens ont été pris à Vérone avec les puissances étrangères relativement à notre intervention dans les affaires intérieures de l'Espagne, et si ces arrangemens sont de nature à amener l'occupation permanente ou passagère d'une portion du territoire français par les troupes de la triple alliance;

,« 2° Quelles dispositions sont prises pour empêcher cette occupation, dans le cas où les puissauces étrangères seraient conduites, par la marche des événemeus, à la juger utile à l'accomplissement de leurs projets, soit sur l'Espagne, soit sur la France.

« Dans le cas où l'indépendance nationale serait sacrifiée, ou même n'aurait pas été suffisamment garantie, ce serait un devoir rigoureux pour moi, loyal député, de demander, en séance publique, la mise en accusation des miuistres qui auraient signé ou permis l'humiliation de la couronne et la ruine du pays. »

M. le général Sébastiani, ensuite attaquant plus particulièrement la conduite ou le système du ministère dans ces circonstances, rappelle en ces termes à l'assemblée les déclarations précédentes du président du conseil.

Messieurs, avant d'aborder la discussion de l'amendement qui vous est soumis, permettez-moi de vous faire apprécier les promesses et les déclarations dont n'est point avare à cette tribune M. le président du conseil des ministres. Il nons avait dit que le cordon sanitaire n'avait d'autre but que celui de pré*server la France de la contagion qui dévastait la Catalogne, et, peu de temps après, il l'a transformé en une armée d'observation, destinée à servir de point d'appui aux bandes de la foi; il vous avait donné l'assurance que la paix entre la France et l'Espagne ne serait point troublée ; et il a accordé la guerre à son parti. Il vient de vous déclarer que l'étranger ne souillera pas notre territoire, nous devons craindre que lui-même n'en sollicite bientôt à genoux les secours. «Les seuls motifs de guerre que M. le ministre ait présentés jusqu'ici sont les troubles dont la péninsule est agitée, l'armée de la foi qu'il faut protéger, la vie et l'indépendance de Ferdinand VII qu'il faut garantir, et je ne sais quelle expédition récemment faite par l'armée de Mina, dans la vallée neutre d'Andorre. Il a attaché aussi beaucoup d'importance au refus, ou plutôt à l'oubli d'un officier de la marine espagnole, qu'il accuse de n'avoir pas rendu le salut d'usage en entrant dans l'un de nos ports.

• L'armée de la foi, les troubles de l'Espagne! certes M. le président du conseil peut en parler savamment: ne sont-ils pas son ouvrage? n'ont-ils pas été soudoyés par les trésors de la France? Etrange moyen de conserver la vie et l'indépendance de Ferdinand VII, que de porter le fer et la flamme dans ses états! Pourriez-vous comparer l'expédition d'Andorre et la conduite imprudente d'un officier.qui ignore ou néglige les vaines formules d'un cérémonial futile, aux outrages que l'Espagne a soufferts avec tant de longanimité de la part du ministère français ? Pourriez-vous les comparer au refus de M. le préfet de Perpignan, qui n'a pas voulu publier l'amnistie accordée aux bandes de la foi; à l'expulsion arbitraire d'un savant respectable ( M. Llorente ); à la conduite tenue envers M. le duc de San-Lorenzo, à qui il a été envoyé des passe-ports qu'il n'avait pas demandés, et avant qu'il eût reçu de sa cour l'ordre de son rappel? Quelles sont d'ailleurs les réparations que le gouvernement espagnol vous a refusées ?

« Il faut le dire, M. le président du conseil n'a porté dans l'examen d'une question aussi grave que les sentimens et le langage de Coblentz. Le parti qui nous domine, et dont il est devenu l'organe, obéit à ses préjugés, à ses vieilles haines, et voudrait aller conquérir le pouvoir absolu en Espagne, afin de le réimporter en France. Nos armées, qui ont combattu glorieusement pendant trente ans pour la liberté et l'indépendance de la patrie, sont appelées à consommer un suicide politique?

On nous répète que Ferdinand VII, rendu à la liberté, donnera à ses peoples des institutions qui reconnaîtront et protègeront leurs droits. Avonsnous oublié le passé? N'est-ce pas ce prince qui, pour ressaisir le despotisme, a renversé la constitution de Cadix, reconnue de l'Europe? N'est-ce pas lui qui, égaré par des conseillers imprévoyans et pervers, a mutilé ces bras qui l'avaient arraché à la captivité? N'a-t-il pas jeté dans les cachots on immolé sur les échafauds ces hommes courageux qui avaient triomphé pour lui de la puissance colossale de Napoléon? Ce qu'il a fait en 1814 par l'impulsion des partisans du pouvoir absolu, ne le ferait-il plus, en 1823, après avoir obtenu les secours de l'étranger? Honneur à la sagesse de la nation espagnole qui a respecté son roi, devenu le chef suprême des institutions constitutionnelles qu'elle saura perfectionner un jour sans l'intervention du congrès de Vérone! C'est aujourd'hui que se trouve à jamais cimentée l'alliance entre le monarque et son peuple, unis pour défendre la patrie.

- M. le ministre nous a entretenus de la puissance et des intentions des souverains alliés; il a vanté l'attitude imposante de la France au dernier congrès. Messieurs, à Vérone comme à Aix-la-Chapelle, comme à Troppau, elle a été trainée misérablement à la suite de ces mêmes puissances; on l'y traine encore; mais non! elle est aujourd'hui leur instrument. Vous avez la guerre parce que la Russie l'a voulue; et son ambassadeur nous dicte insolemment les volontés de son maître ! Vous qui vous déclarez les défenseurs exclusifs de la paix des nations et de la religion, appellerez-vous sainte cette alliance impie qui a reconnu le droit divin des Turcs et la légitimité du massacre des Grecs? Cette alliance est une dictature monstrueuse qui menace d'un entier asservissement l'indépendance de tous les gouvernemens, et à laquelle il est temps d'opposer l'alliance si naturelle, aujourd'hui si impérieusement commandée, des gouvernemens représentatifs.

Nos ministres devraient imiter la sage et prévoyante conduite des ministres anglais. C'est dans le cabinet de Saint-James que les mesures sont dictées par l'intérêt public; c'est en Angleterre que les discussions sont franches et luminenses; c'est dans le parlement britannique qu'a été repoussée unanimement

cette funeste doctrine d'intervention, destructive de la sûreté des trônes et de l'indépendance des peuples; cette doctrine d'intervention, qui livrerait tour à tour aux manœuvres de l'ambition tous les États de l'Europe.

« L'heure avancée et l'impatience que manifeste un côté de cette Chambre, ne me permettent pas d'attirer en ce moment votre attention sur les maux dont peut nous accabler une guerre qui embrasera l'Europe, et à laquelle on ne saurait assigner ni terme ni issue. Le sang français va couler: déjà nos ateliers deviennent déserts, le commerce s'écroule, l'agriculture perd les bras qui la fécondaient; le manufacturier, le négociant, le propriétaire sont menacés on déjà atteints.

Des ministres qui ont conseillé une pareille guerre se sont rendus coupables de haute trahison contre le Roi et contre la nation qui en est inséparable. J'appuie l'amendement.

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Tandis que l'opposition reprochait si amèrement au ministère de vouloir entreprendre cette guerre, il s'élevait de l'autre extrémité de la Chambre des reproches tout contraires.

C'est parce que ceux qui nous gouvernent sont sortis de nos rangs, dit M. de la Bourdonnaye, c'est parce qu'ils ont des engagemens plus sacrés avec la France royaliste, c'est parce qu'ils ne peuvent ignorer les dangers d'un système de faiblesse et d'hésitation qu'ils furent des premiers à signaler, et dont cependant ils n'ont pas le courage de sortir, que nous leur devons, que nous nous devons à nous-mêmes de ne pas garder le silence sur une conduite que nous ne saurions approuver.

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Eh quoi! Messieurs, lorsque la position géographique de ce royaume, lorsque ses relations de commerce, l'intérêt d'une mutuelle défense, et surtout des liens de famille, en faisaient l'allié naturel de la France; lorsqu'il était de notre politique de ne pas souffrir que de longues dissensions et les désordres insépa rables de l'anarchie affaiblissent uue puissance qui ne peut succomber sans que la nôtre en soit considérablement amoindrie; lorsqu'il était si facile encore de rétablir sur son trône un roi qu'une poignée de factieux retenait captif an milieu d'une population fidèle, un ininistre du roi de France n'a su que négocier !

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Lorsqu'il était impossible de ne pas voir que l'alliance des Bourbons de Frauce avec les plus implacables ennemis des Bourbons d'Espagne était tellement contre nature, qu'il fallait de toute nécessité que la révolte ou la légitimité succombât par l'effet d'un si dangereux rapprochement ! lorsqu'il était impossible de ne pas voir que l'esprit révolutionnaire, mille fois plus actif, plus uni, plus audacieux que l'esprit conservateur, devait nécessairement l'emporter dans cette lutte, un ministre du Roi de France n'a travaillé qu'à resserrer cette alliance, qu'à maintenir une paix plus funeste pour le trône que la guerre la plus désastreuse !

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Je n'entreprendrai pas, Messieurs, de relever ici les innombrables fautes qui ont été commises dans les affaires d'Espagne. Je me bornerai à signaler les deux plus capitales, parce qu'elles out entrainé toutes les autres; c'est d'avoir cru qu'on pouvait terminer une révolution armée par des négociations, et de s'être adressé aux chefs mêmes de cette révolution pour y parvenir; comme si c'était par la raison que l'on ramène la multitude après l'avoir égarée...

«Par des ménagemens que vous approuverez sans doute, Messieurs, j'évi

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