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survivant, se sont trouvés réduits, ainsi que l'acte même l'avait réglé, d'après la disposition expresse de la loi du 17 nivôse an 2; et il n'y a eu là-dessus aucune difficulté de la part du sieur Guille.

Mais le sieur Plichon, tuteur des enfans, a voulu aller plus loin : il a prétendu que l'acte du 5 brumaire an 7 ne pouvait avoir aucune espèce d'effet; que l'institution réciproque qui y était écrite, caractérisait un testament conjonctif; manière de disposer absolument prohibée par l'art. 77 de l'ordonnance de 1735; qu'ainsi, la disposition était irrégulière dans la forme, et par conséquent nulle pour le tout.

Cette prétention a été proscrite successivement par deux jugemens du tribunal civil du département du Nord, des 1er frimaire et 16 nivôse an 8, l'un par défaut, l'autre contradictoire; et sur l'appel, par un jugement du tribunal civil du département du Pas-deCalais, du 5 thermidor an 8.

Le sieur Plichon, en sa qualité, a demandé la cassation de ce dernier jugement; il l'a attaqué comme contraire aux ordonnances de 1731 et 1735, concernant les donations entre-vifs et les testamens.

L'art. 3 de l'ordonnance de 1731 porte qu'il n'y aura à l'avenir que deux formes » de disposer de ses biens à titre gratuit; » dont l'une sera celle des donations entrevifs, et l'autre celle des testamens ou des » codicilles ». Or, disait le sieur Plichon, l'acte du 5 brumaire an 7 n'a ni la forme d'une donation entre-vifs, ni celle d'un testament. L'acte du 5 brumaire an 7 est donc annulé par l'ordonnance même de 1731.

« La réponse à cet argument (ai-je dit dans mes conclusions sur cette affaire) se trouve dans l'art. 46 de la même loi: N'entendons (porte cet article) comprendre dans les dispositions de la présente ordonnance, ce qui concerne les Dons mutuels et autres donations entre mari et femme, autrement que par contrat de mariage..., à l'égard de toutes lesquelles donations il ne sera rien invoqué, jusqu'à ce qu'il y ait été autrement par nous pourvu. Il résulte bien clairement de là, que ce n'est point d'après les dispositions de l'ordonnance de 1731 que doit être apprécié l'acte du 5 brumaire an 7 ; le jugement qui a déclaré cet acte valable, n'a donc pas violé l'ordonnance de 1731.

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Quant à l'ordonnance de 1735, elle abroge l'usage des testamens conjonctifs; or, s'il en faut croire le demandeur, on trouve tous les caractères du testament conjonctif dans l'acte du 5 brumaire an 7; cet acte,

suivant le cit. Plichon, est donc radicalement nul.

» Et comment l'acte du 5 brumaire an 7 peut-il être assimilé à un testament conjonctif? C'est, dit le cit. Plichon, parcequ'il contient une institution réciproque d'héritier au profit du survivant.

>> Oui, mais c'est une institution in re certá, puisque l'effet en est limité à l'usufruit de la moitié des biens meubles et immeubles du premier mourant. Elle ne peut donc être considérée que comme un legs, ou ce qui revient au même, comme une donation à cause de mort.

» Or, l'art. 77 de l'ordonnance de 1735, tout en proscrivant les testamens conjonctifs, a cependant permis aux époux de continuer à se faire des donations mutuelles à cause de mort, dans les pays où ils étaient autorisés à se gratifier de cette manière; et cette exception (dit Pothier dans son Traité des donations testamentaires, chap. 1, art. 1) peut se rapporter aux testamens mutuels qui se font entre mari et femme, dans les coutumes où le mari et la femme peuvent s'avantager dans cette forme.

» Ainsi, veut-on considérer l'acte du 5 brumaire an 7 comme une donation mutuelle entre-vifs? L'art. 46 de l'ordonnance de 1731 en assure la validité.

>> Veut-on l'envisager comme une donation mutuelle à cause de mort? L'art. 77 de l'ordonnance de 1735 s'oppose à ce qu'on lui porte aucune atteinte.

>> Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de rejeter la requête en cassation, et de condamner le demandeur à l'amende ».

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» Attendu que l'art. 46 de l'ordonnance de 1731 et l'art. 77 de l'ordonnance de 1735 exceptent de leurs dispositions les Dons mutuels et autres donations entre mari et femme après leur mariage;

» Attendu que les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivòse an 2 autorisent les dispositions qui ont été faites entre Jean Guille et sa femme par l'acte du 5 brumaire an 7, et que la coutume de Valenciennes qui les régit, y est conforme ; d'où il résulte que le jugement attaqué n'a violé aucune loi ».

La question s'est encore représentée à la même section le 12 fructidor an 10, et à la section civile les 30 messidor et 25 fructidor an 11. V. les deux paragraphes suivans.

II. La deuxième question doit être résolue par le même principe que la première.

Les sieur et dame Durand s'étaient mariés sous la coutume de Normandie, et n'avaient fait, suivant l'usage observé alors dans cette contrée, qu'un contrat de mariage sous seingprivé, par lequel il paraît qu'ils avaient stipulé que le survivant demeurerait propriétaire de tous les meubles et usufruitier de tous les immeubles du prédécédé.

Ce contrat ayant été consumé dans un incendie, ils ont fait, pour le remplacer, le 18 vendémiaire an 7, une convention sous seingprivé par laquelle ils se sont donné mutuellement la propriété de tous les meubles et l'usufruit des immeubles que laisserait le premier mourant.

Le sieur Durand étant prédécédé, sa veuve a demandé aux héritiers la délivrance des biens compris dans la donation.

Ceux-ci ont prétendu que le Don mutuel était nul, parcequ'il avait été fait sous seingprivé.

« Le Don mutuel entre époux (ont-ils dit) était prohibé en Normandie par les art. 330 et 410 de la coutume. Cette prohibition a été levée par l'art. 14 de la loi du 17 nivôse an 2 ; mais cet article n'a autorisé les donations entre époux, qu'autant qu'elles seraient légalement stipulées.

» Or, le Don mutuel dont il s'agit, a-t-il été stipulé légalement? A-t-il pu être fait par un simple acte sous seing-privé? Non, et pourquoi? Parceque l'art. 46 de l'ordonnance de 1731 et l'art. 77 de celle de 1735 ont sanctionné les lois et la jurisprudence qui étaient alors en vigueur, tant sur le fond que sur la forme des Dons mutuels, et que, d'après ces lois et cette jurisprudence, les Dons mutuels devaient, à l'instar des donations entre-vifs, être passés pardevant notaires, à peine de nullité.

» En effet, Denisart, au mot Don mutuel, Duplessis, sur la coutume de Paris, Ferrière, sur l'art. 280 de cette coutume, l'auteur de l'article Don mutuel, au Répertoire de Jurisprudence, Ricard, dans son Traité des donations, part. 1, chap. 4, no 162, et Pothier, sur l'art. 281 de la coutume d'Orléans, et dans son Traité des donations, no 132, attestent tous que le Don mutuel doit, à peine de nullité, être fait par acte authentique, et ils en donnent la raison : c'est parcequ'il

était de l'essence des Dons mutuels qu'il y eût lien réciproque et irrévocabilité ».

Le 17 juillet 1806, jugement du tribunal civil de Domfront, qui déclare nulle la donation stipulée par l'acte du 18 vendémiaire

an 7,

« Attendu qu'elle ne peut être considérée que comme une donation mutuelle, à cause de mort, entre époux ; que, sous ce rapport, elle participe de la donation entre - vifs; qu'une pareille donation doit essentiellement être authentique et irrévocable dans ses effets; qu'elle doit être authentique, parcequ'elle renferme la condition réciproque des contractans de faire un Don mutuel, do ut des; qu'elle doit être irrévocable, parcequ'ayant été consentic librement, il ne doit pas être au pouvoir d'une des parties, de la révoquer à son gré;

» Que la loi du 17 nivôse an 2 a bien autorisé les Dons mutuels entre époux pendant le mariage; mais qu'elle n'a pas dispensé ces donations des formalités requises par la loi pour leur validité; et que, suivant les ordonnances, les donations, quelle qu'en soit la nature, doivent être passées devant notaires; et il n'y a d'exception que pour celles qui sont faites par contrats de mariage ».

Appel; et, le 31 juillet 1807, arrêt par lequel la cour de Rouen infirme ce jugement et déclare valable le Don mutuel dont il s'agit,

<< Attendu qu'il est constant, en principe, que les stipulations matrimoniales et avanta ges réciproques entre époux, pouvaient, en Normandie, être arrêtés par acte sous signature privée, et n'étaient assajétis à aucune formalité;

» Qu'il résulte de l'acte du 12 vendémiaire an 7, que cet acte n'a été fait que pour remplacer les conventions matrimoniales perdues dans un incendie;

» Qu'il ne contient que des dispositions et avantages réciproques autorisés par les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivôse an 2; et que cet acte supplétoire n'est pas assujéti à d'autres formalités que l'acte qu'il remplace ».

Recours en cassation de la part des héritiers du sieur Durand. Mais, par arrêt du 6 juillet 1808, au rapport de M. Pajon, et sur les conclusions de M. Daniels,

« Attendu 10 que le Don mutuel entre époux était prohibé par la ci-devant coutume de Normandie, et qu'en conséquence, elle n'avait établi aucune formalité nécessaire pour la validité de cette espèce d'acte;

» Attendu 2o que les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivôse de l'an 2, en leur restituant

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Le 7 fructidor an 6, contrat de mariage entre André Bollaert et Agnes Goussen, tous deux domiciliés à Steen-Woorde, commune de la ci-devant châtellenie de Cassel, département du Nord.

Par cet acte, André Bollaert donne à sa future épouse, en cas qu'elle le survive, tous les meubles meublans de la communauté, l'usufruit de la maison qu'il habite, et celui de la moitié de ses autres immeubles.

Le 19 floréal an 8, André Bollaert et sa femme passent, devant un notaire et deux témoins, un acte par lequel ils déclarent,

« Qu'ayant pris lecture de leur contrat de mariage, et voulant profiter des dispositions de la loi du 17 nivôse an 2, ils ont jugé à propos d'y porter les changemens suivans:

» Que les biens du premier décédé seront entièrement chargés du droit du viage au profit et à la vie durante du survivant ; et si, contre toute attente, les héritiers du prédécédé ou l'un d'eux venaient à répéter à la charge de la mortuaire (communauté), des frais de procédure, ou d'autres contestations pour affaires de famille, ou autres objets qui, en vertu des jugemens et sentences arbitrales, sont anéantis, et qui pourraient encore être ouverts pardevant des tribunaux quelconques, pour lors le premier décédé donne en toute propriété et jouissance tous et généralement les biens qu'il délaissera au profit du survivant, à la charge par ce dernier, dans ce dernier cas, de payer et supporter toutes les dettes quelconques de la mor

tuaire.

» En cas que le viage ait lieu, le survivant des comparans pourra faire abattre annuellement, sans aucune indemnité, sa pro

vision de bois à brûler sur les biens du prédécédé ».

Cinq jours après, décès d'André Bollacrt: il avait alors soixante-dix ans, et sa femme n'en avait que trente-cinq. Il n'existait d'ailleurs aucun enfant de leur mariage.

Ses héritiers demandent la nullité de l'acte du 19 floréal an 8. Ils soutiennent que cet acte doit, aux termes de l'art. 268 de la coutume de Cassel, être considéré comme un radvestissement ou Don mutuel ; et ils invoquent l'art. 269 de la même coutume, suivant lequel le radvestissement devra être fait et passé en justice, un mois ou quatre semaines complètes avant le premier décès des conjoints, à peine de nullité.

Jugement du tribunal civil de l'arrondissement d'Hazebroucq, du 18 germinal an 9, qui déboute les héritiers Bollaert de leur demande en nullité, et ordonne l'exécution de l'acte.

Les héritiers Bollaert en appellent.

Le 11 thermidor de la même année, arrêt de la cour d'appel de Douai, qui,

«< Attendu que, suivant les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivôse an 2, les avantages singuliers ou réciproques entre époux peuvent avoir lieu tant après qu'avant le mariage; et qu'il n'y a d'exception à la liberté illimitée, que dans le cas où ils auraient des enfans; » Déclare qu'il a été bien jugé et mal appelé......».

Les héritiers Bollaert ne se rebutent pas; ils se pourvoient en cassation.

<< Il n'y a (ai-je dit à l'audience de la section des requêtes, le 12 fructidor an 10), il n'y a qu'un mot à dire sur les deux moyens qu'ils prétendent faire résulter, et du défaut de signature parfaite de l'acte du 19 floréal an 8, et de ce que l'un des témoins employés dans cet acte, était clerc du notaire qui l'a

reçu.

» C'est que les faits qui servent de base à ces deux moyens, n'ont pas même été articulés; c'est que les actes par lesquels on prétend prouver ces faits, n'ont pas même été produits devant le tribunal dont on attaque le jugement.

>> Quant aux deux moyens que l'on puise dans les dispositions de la coutume de Cassel, et qui consistent à dire que l'acte du 19 floréal an 8 devait être déclaré nul, soit parcequ'il n'avait pas été passé en justice, soit parcequ'il ne l'avait été que cinq jours avant la mort d'André Bollaert, une observation extrêmement simple suffira pour nous les faire apprécier.

>> La coutume de Cassel était du nombre de

celles qui, avant la loi du 17 nivôse an 2, prohibaient les avantages entre mari et femme. Elle leur permettait bien de se donner par radvestissement l'usufruit de leurs immeubles respectifs; mais c'était par exception à la défense générale qu'elle leur faisait de s'avantager.

» L'art. 268 ne laisse là-dessus aucun doute L'homme et la femme ne peuvent s'avantager l'un l'autre, ni inter vivos pendant le mariage, ni par dernière volonté, s'il n'était autrement convenu par le traité de mariage, ou si ce n'était par contrat mutuel et réciproque, lequel on appelle ravestisse

MENT.

Quel est, d'après cela, le but de l'art. 269, lorsqu'il soumet le ravestissement à deux conditions indispensables : l'une, qu'il soit fait et passé en justice; l'autre, qu'il pré. cède au moins d'un mois ou quatre semaines complètes, le premier décès des conjoints? Son but est évidemment de rendre les ravestissemens plus difficiles et par conséquent plus rares, d'entraver l'exercice de l'exception que l'art. 268 met, en les autorisant, à la prohibition générale de tout avantage entre époux ; et par une suite nécessaire, de donner le moins de latitude possible à cette exception.

>> Ces deux conditions dérivent donc de la prohibition générale des avantages entre époux; elles dépendent donc de cette prohibition, comme de leur cause; elles en dépendent donc, comme l'accessoire dépend du principal.

» Or, cette prohibition n'existe plus; les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivôse an 2 l'ont abolie. Eh! Comment, d'après cela, les deux conditions dont il s'agit, subsisteraient-elles encore? Elles ne peuvent pas survivre à un ordre de choses pour lequel seulement elles ont été faites, et sans lequel elles n'ont plus d'objet : cùm principalis causa non subsistit, nec ea quæ sequuntur locum habent.

» Voyez d'ailleurs à quelle absurdité vous conduirait le système contraire! Deux époux ne pourraient, dans la coutume de Cassel, se radvestir réciproquement de l'usufruit de leurs immeubles, que par un acte, non seulement passé en justice, mais encore antérieur d'un mois au décès du premier mourant; et ils pourraient, sans être soumis à aucune de ces conditions, ils pourraient, par un simple testament, par une simple donation entrevifs ou à cause de mort, ils pourraient, en vertu de la seule loi du 17 nivôse an 2, se donner la pleine propriété de to tous leurs biens

quelconques! Il faut en convenir, se serait là une discordance bien révoltante.

» Enfin, ce qui tranche toute difficulté, ce qui, au besoin, rendrait absolument inapplicables à notre espèce les deux conditions prescrites par l'art. 269 de la coutume, c'est qu'André Bollaert et sa femme n'ont point fait un radvertisssment tel que la coutume de Cassel le caractérise; mais simplement une convention supplémentaire à leur contrat de mariage. Le mot radvestissement n'est même pas dans l'acte du 19 floréal an 8 ; et ce qui prouve invinciblement que la chose n'y est pas plus que le mot, c'est que Bollaert et sa femme ne se sont pas bornés à se donner l'usufruit de leurs immeubles respectifs, mais qu'ils y ont ajouté deux clauses incompatibles avec le radvestissement : l'une qui doit, dans un cas donné, rendre le survivant propriétaire incommutable de tous les biens du prédécédé; l'autre qui, dans toutes les hypothèses, lui assure le droit d'abattre chaque année les arbres nécessaires à son chauffage. » Nous disons que ces deux clauses sont incompatibles avec le radvestissement; et c'est ce que prouve l'art. 269 de la coutume, qui ne permet de donner par cette voie que l'usufruit des immeubles réels et des rentes, qui même défend d'y comprendre l'usufruit des effets et droits mobiliers.

» N'est-il donc pas bien étrange de voir les demandeurs attaquer comme radvestissement, un acte qui n'en a ni le nom ni le caractère? N'est-il pas étrange surtout de les voir attaquer cet acte par des moyens qui seraient encore sans effet, quand même il pourrait être considéré comme radvestissement?

» Et vainement les demandeurs invoquent ils l'art. 24 du tit. 1 de la loi du 13-20 avril 1791.

cès

» Sans doute, avant la loi du 17 nivôse an 2, cet article pouvait être invoqué avec sucpour faire annuler les radvestissemens qui n'avaient pas été passés en justice, même depuis le mois d'avril 1791; car ce n'était pas pour la réalisation des radvestissemens, ce n'était pas pour leur faire opérer déshéritance et adhéritance, que la coutume de Cassel voulait qu'ils fussent passés en justice. Si telle eût été son intention, elle n'aurait pas exigé simplement qu'ils fussent passés en justice, elle aurait voulu qu'ils le fussent dans chacune des justices des lieux où étaient situés les biens dont l'usufruit devait entrer dans les radvestissemens. Son unique but était de prévenir les séductions et les violences que l'un des époux aurait pu employer envers l'autre, pour le déterminer à un acte

qui eût répugné à sa volonté libre et éclairée. C'était dans la même vue que les coutumes de Tournay, d'Arras, de Bapaume et du pays de Lallou voulaient qu'en se radvestissant, le mari et la femme s'embrassassent l'un l'autre en présence des échevins, afin, disait la première de ces coutumes, de montrer publiquement qu'ils faisaient le radvestissement de leur franche et libre volonté et sans aucune contrainte.

» Et voilà pourquoi les radvestissemens n'étaient pas compris dans la partie de l'art. 24 du tit. I de la loi du 13-20 avril 1791, par laquelle sont abolies toutes les lois et coutumes qui, pour la validité même intrinsèque des testamens et des donations, les soumettent à la nécessité d'être ou passés, ou recordés, ou reconnus, ou réalisés, soit avant, soit dans un certain délai après la mort des donateurs ou testateurs, en présence d'échevins, hommes de fief, jurés de Cattel ou autres officiers seigneuriaux.

» Voilà pourquoi les radvestissemens se trouvaient, au contraire, assujétis à la partie du même article qui maintient l'exécution du statut delphinal ou autres lois semblables, concernant les formalités des donations entrevifs pour lesquelles le juge de paix est subrogé à l'officier seigneurial.

» Mais, depuis le 17 nivôse an 2, cette dernière disposition de la loi est devenue sans effet pour les radvestissemens; et c'est une vérité facile à saisir d'après les observations que nous avons précédemment faites sur la nature de ces actes.

» Ce n'est pas que la loi du 17 nivôse an 2 ait abrogé, soit le statut delphinal, soit les autres statuts semblables, qui, dans quelques contrées, pour garantir les donations entre-vifs de toutes suggestions, exigent qu'elles soient passées en justice.

» Mais la loi du 17 nivôse an 2 a levé, à l'égard des époux, toutes les prohibitions d'avantages qui existaient avant elle dans différentes coutumes, et par cela seul, elle a fait cesser les craintes que ces coutumes pouvaient avoir que les époux n'employassent respectivement des moyens illicites pour éluder ces prohibitions; elle a par conséquent rendu inutile la précaution que ces craintes avaient dictées à ces coutumes d'assujétir les radvestissemens à la nécessité d'être faits en justice.

» Au surplus, nous l'avons déjà dit, il n'est pas ici question d'un radvestissement proprement dit l'acte du 19 floréal an 8 ne l'est ni de nom ni d'effet; et encore une fois, cela tranche toute difficulté.

:

» Peut-être objectera-t-on que du moins l'acte du 19 floréal an 8 doit être déclaré nul, parcequ'il n'est revêtu ni des formalités des donations entre-vifs, ni des formalités des testamens.

» Mais cette objection est à l'avance réfutée par l'art. 46 de l'ordonnance de 1731, et par l'art. 77 de l'ordonnance de 1735; elle l'est aussi par un jugement que vous avez rendu sur un acte semblable, le 1er ventôse an 9... (1).

>> On ne dira pas sans doute que ce jugement eût prononcé d'une autre manière, si la question se fût présentée hors de la coutume de Valenciennes; car l'art. 17 de cette coutume, qui y est cité, ne porte rien autre chose, sinon que deux conjoints par mariage peuvent librement donner l'un à l'autre à cause de mort; et certainement, ce n'est point là une disposition particulière à la coutume de Valenciennes : elle était, avant le 17 nivôse, commune à tous les pays de droit écrit et à un grand nombre de coutumes; et depuis le 17 nivôse, elle fait loi dans tout le territoire français.

>> Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de rejeter la requête en cassation, et de condamner les demandeurs à

l'amende de 150 francs ».

Sur ces conclusions, arrêt du 12 fructidor an 10, au rapport de M. Gardon, par lequel,

« Le tribunal, considérant que le radvestissement autorisé par la coutume de Cassel, est soumis à certaines formes et à certaines conditions, était une exception à la défense faite par cette coutume aux époux de se faire des avantages pendant le mariage; que l'exception et les conditions qui lui étaient imposées, ne subsistent plus et n'ont pu subsister depuis la loi du 17 nivôse an 2, qui a supprimé la défense, et qui a autorisé les époux à s'avantager de toute manière, sauf la réduction en cas d'existence d'enfans;

» Que, dans le fait, l'acte du 19 floréal an 8 n'a aucun des caractères qui constituaient le radvestissement; que les époux Bollaert y ont énoncé qu'ils entendaient disposer en vertu de la loi du 17 nivôse an 2, et qu'ils ont réellement fait des dispositions inconciliables avec le radvestissement;

» Considérant encore que les demandeurs n'ont élevé, soit dans le tribunal de première instance, soit dans le tribunal d'appel, aucune des critiques qu'ils ont dirigées contre la forme de l'acte du 19 floréal an 8; en sorte

(1) L'espèce en est rapportée dans le §. précédent.

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