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Bandes irrégulières.

J'ai dit plus haut que, lorsque la révolution avait éclaté, les Grecs avaient été obligés d'adopter genre de guerre des montagnards.

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Le palikare, qui n'a aucune idée d'organisation sociale, ne voit dans la guerre qu'une occasion de licence. Il se regarde comme parfaitement libre de toutes ses actions, ne fait que ce qu'il veut, et ne connaît d'autre guide que ses caprices ou son intérêt. Il ne dépend de qui que ce soit, et s'il veut bien prendre un chef, il ne lui reste attaché que comme et autant que cela lui plaît. Il s'en passerait volontiers, s'il ne sentait, pour son intérêt et pour sa propre conservation, la nécessité d'appartenir à une réunion d'hommes. Mais il la choisit et la quitte suivant les circonstances, ou suivant son humeur. Le seul bien qui puisse la maintenir est la perspective de l'argent ou du pillage, celle du danger l'aura bientôt dissoute. Nous en avons eu mille exemples dans la guerre actuelle. On annonçait pompeusement une expédition militaire, une armée formidable. L'instant d'après, on était tout étonné d'apprendre qu'elle n'existait déjà plus; on aurait pu croire qu'une bataille l'avait anéantie. Cette désertion provenait tout simplement du caprice des soldats, de l'attrait du pillage, enfin de mille raisons dont aucune ne tenait à la guerre. Cependant les

Grecs, qui savent fort bien tout ce qu'on peut faire avec des bulletins, n'en retraçaient pas moins à l'Europe une longue série de victoires. L'armée grecque avait conquis une province, c'est-à-dire qu'elle parcourait les montagnes, lorsque les Turcs étaient loin de là, ou se tenaient dans leurs villes; elle était entrée d'assaut dans une forteresse imposante, c'est-à-dire que les Turcs, réduits par la faim, avaient abandonné une bicoque; elle avait enlevé une position inexpugnable, sous un feu terrible, c'est-à-dire qu'elle avait mis des jours entiers pour forcer un méchant poste; les Grecs avaient opéré un mouvement de concentration, c'est-àdire qu'ils se sauvaient; ils avaient pris des cantonnemens, c'est-à-dire qu'ils s'étaient dispersés pour piller. C'est sans aucune exagération que je donne ici le dictionnaire des bulletins grecs, et l'événement a toujours prouvé que c'était ainsi qu'il fallait les entendre. Je pourrais en citer une foule d'exemples. Parlerai-je de ce qu'a fait l'année dernière l'armée du prince Ypsilanti? Elle est entrée en Roumélie, au commencement de novembre 1828, au nombre de 6,000 hommes; elle s'est bien gardé de se porter sur Athènes, défendue par 2,700 Musulmans, Athènes dont la possession est si importante pour la Grèce; loin de là, elle s'est étendue dans les montagnes du Parnasse où il n'y avait pas un seul ennemi. Une cinquantaine de Turcs qui étaient à Salone, mauvaise bicoque tout ouverte, se sont repliés sur Livadie; de suite un bulletin pompeux où on annonce la prise de cette forteresse, dans

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laquelle on a trouvé des canons, des munitions, etc. Cependant 4 ou 500 Turcs sont encore aux environs de Livadie et de Thèbes; ils ont suffi nir jusqu'à présent toute l'armée grecque en échec, et quoiqu'ils ne puissent recevoir leurs vivres que de Négrepont, celle-ci n'a pu encore leur couper cette communication. J'entends dire aujourd'hui qu'il est fort à regretter que les Thermopyles n'aient pu être occupées. C'était cependant le plan qu'on avait tracé aux Grecs. Le but était d'empêcher l'arrivage des convois de la Thessalie dans l'Attique. Les Grecs n'y sont point parvenus, et ce sont les 500 Turcs de Livadie, qui ne peuvent avoir l'appui d'aucune place, qui les en ont empêchés jusqu'à présent.

Je vois des bulletins nous annoncer que les Grecs ont enlevé une position inexpugnable; qu'à la vérité il ne s'y trouvait point d'ennemis, mais que la valeur des troupes n'en est pas moins digne d'éloges. Une autre fois je vois qu'ils ont combattu pendant quatre heures, sous le feu le plus terrible; le résultat de cette bataille sanglante est un blessé.

Parlerai-je de la prise de Napoli de Romanie en 1823, qui a retenti dans toute l'Europe? Les Turcs, pris au dépourvu, avaient été réduits par la faim à de telles extrémités, que neuf hommes étaient restés seuls pour défendre la Palamide. Des milliers de Grecs n'en attendaient pas moins patiemment dans la plaine que la mort du dernier Turc vînt leur ouvrir les portes de la citadelle. Une vieille

femme s'en échappa, et vint annoncer aux Grecs le point où en était la garnison. C'est alors seulement qu'ils se hasardent à tenter une escalade de nuit. Les neuf malheureux, qui pouvaient à peine se mouvoir, sont égorgés sans se défendre, et l'intrépidité des Grecs ne tarde pas à être célébrée dans tous les journaux de l'Europe. Je tiens le fait que je raconte ici des Grecs eux-mêmes.

Parlerai-je encore de la célèbre bataille des Moulins, où une poignée de Grecs a arrêté toute l'armée d'Ibrahim? Les assaillans étaient un bataillon égyptien envoyé en reconnaissance. Les Grecs prirent position derrière les nombreuses coupures que présente la position resserrée des Moulins, pendant que leurs chaloupes canonnières les protégeaient de leur feu. Quelques coups de fusils furent échangés de part et d'autre, et en si petit nombre, que le seul blessé du côté des Grecs eut la main percée d'une balle; un des tirailleurs égyptiens fut tué, et leur bataillon ne continua pas plus loin sa reconnaissance. C'est le tort qu'il eut, car s'il avait poussé la moindre pointe, il est hors de doute que les Grecs eussent été culbutés. Dans la soirée, ils se retirèrent à Napoli par la mer, et ne manquèrent pas de faire les plus beaux récits de leur résistance héroïque. Comment l'Europe n'y aurait-elle pas été trompée? L'agent qu'un des principaux comités philhelléniques entretenait à Napoli en rédigea un rapport magnifique, qu'il montra à un officier français qui avait aussi été témoin de l'affaire. Ce dernier crut d'abord que c'était une mystification,

mais il fut bientôt détrompé : l'agent lui avoua ingénument qu'il savait bien que son rapport contenait tout autre chose que la vérité, mais que s'il la disait, on lui en saurait peu de gré, et de gré, et qu'il préférait n'annoncer à ses commettans que ce qu'ils aimeraient apprendre.

Enfin, rappellerai-je tout ce qu'on a dit en Europe au sujet du fameux siége de Missolonghi ? J'ai déjà raconté par quel motif la flotte avait abandonné sa croisière, et avait laissé tomber entre les mains des assiégeans tous les convois qu'on y envoyait ; comment ceux qui commandaient dans la place avaient vendu aux Turcs ses approvisionnemens, et leur avaient ainsi fourni les moyens de continuer le siége. Néanmoins les soldats tenaient bon et se défendaient avec vigueur; il est vrai qu'ils s'entendent assez bien à la défense des retranchemens, et que c'est dans ces seules occasions qu'ils montrent de la fermeté. Mais le défaut de vivres les obligea bientôt de céder. Ils formèrent alors deux colonnes: la première, composée de tous les hommes valides, fit, de nuit, une trouée à travers le camp des Turcs, et gagna les montagnes sans avoir perdu un seul homme; l'autre, composée des femmes, des enfans, des vieillards, des blessés, s'efforça de suivre la première, mais elle était abandonnée à elle-même; personne ne songea à protéger sa retraite, et elle tomba entre les mains des Turcs. Cependant quels beaux traits d'héroïsme n'avons-nous pas vus dans les journaux! Pour peu qu'il y eût alors vraiment de l'héroïsme,

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