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éléments de notoriété plus ou moins factices que lui avait procurés son arrivée prématurée à un grade supérieur, et il a surtout - ceci est non moins incontestable tiré une force véritable de l'intensité de ses idées fixes d'ambitieux.

C'est muni de ces armes que nous allons le voir tout à l'heure jouer à l'homme providentiel et donner l'assaut au Gouvernement en criant toujours, d'un ton doucereux : « Vive le Gouvernement! »

Nommé en 1882 directeur de l'infanterie au ministère de la guerre, il posa aussitôt les fondations de son édifice.

D'une part, il noua des relations politiques sur le compte ou sur le nombre desquelles je me garderai bien de retenir l'attention de la Haute Cour. A cet égard, les personnages qui appartiennent au monde parlementaire sont beaucoup mieux renseignés que moi-même.

Mais, d'autre part c'est là ce qui m'importe et c'est ce que les membres de la Haute Cour ne savent pas d'autre part, dis-je, Boulanger, dès cette époque où il était directeur de l'infanterie, s'assura le secours d'agents secrets, et l'on voit que je n'ai pas tardé à venir à ce qui est bien la question du procès.

Agents secrets.

Le premier agent est un sieur Buret dont la valeur morale est extrêmement relative, qui a des prétentions et qui est entré en relations avec Boulanger, lorsque celui-ci était directeur de l'infanterie au Ministère de la Guerre. Buret fut présenté en 1882 à Boulanger par le général Thibaudin :

« Je croyais, ajoute Buret, trouver en lui l'homme capable de relever l'armée française. A partir de ce moment, je me suis dévoué complètement à lui : ma présentation eut lieu par le général Thibaudin, alors ministre, de qui j'avais obtenu une audience.

« Le général Boulanger était alors directeur de l'infanterie. » Son second agent, toujours en remontant à l'époque où il était directeur de l'infanterie, fut un nommé Hentz, sur le compte duquel je n'ai pas de renseignements.

Boulanger cut, à ce moment, une préoccupation très naturelle; n'ayant point de passé, ayant besoin de prestige, il

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chercha à se rendre populaire par des moyens artificiels, et, à cet effet, il rédigea ou fit rédiger ce qui est à peu près la même chose sa première biographie légendaire, avec son portrait équestre sur la couverture. C'était « l'histoire d'un héros, destinée aux casernes et aux villages »> ; nous l'avons dans notre dossier, nous avons tout dans notre dossier. La librairie militaire Dumaine, qui envoie chaque jour des imprimés aux corps de troupes, devait être le meilleur des agents de propagande; Boulanger la sollicita donc dans ce but par l'entremise de son émissaire Hentz.

En Tunisie.

M. Boulanger est appelé en 1884 au commandement de la division d'occupation en Tunisie; il veut y jouer au vice-roi devant ses troupes, en s'efforçant par des moyens tapageurs de gagner une de ces popularités que les services militaires ne font généralement acquérir qu'après de longues années de dangers et de dévouement; comme il avait le commandement des forces militaires, il a cherché — c'était son objectif tout indiqué à faire disparaître l'autorité qui le primait, celle du résident civil, M. Cambon.

Est-ce vrai, tout cela?

Laissons la parole à M. Cambon lui-même, alors résident à Tunis, aujourd'hui ambassadeur du gouvernement français.

Il ne peut pas être suspecté. D'abord il ne peut être suspecté de rien et, en ce qui concerne Boulanger, il ne peut l'être de partialité, car la première partie de sa déposition est tout entière consacrée à un hommage rendu au général commandant le corps d'occupation de Tunisie, tant que certain ministère qui l'y avait envoyé est resté au pouvoir, période au cours de laquelle Boulanger n'a cessé de se montrer correct. Mais après lui avoir rendu cet hommage, M. Cambon ajoute Il y a eu une crise ministérielle, un changement de cabinet, l'attitude alors a complètement changé.

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Croyait-il ici je lis textuellement croyait-il à un changement de système en Tunisie? Ne se considérait-il plus comme tenu par les instructions données par l'ancien cabinet? Son ambition était-elle éveillée par l'offre du portefeuille de la guerre à l'issue de la crise du 30 mars 1885?

Je ne sais rien. Toujours est-il qu'à partir de ce moment, les moindres affaires devinrent des prétextes à réclamations et à conflits.

Tantôt l'administration des douanes, tantôt celle des travaux publics avaient à se défendre contre les réclamations peu justifiées des adminis trations militaires, et les règlements élaborés à Paris entre les différents départements ministériels étaient tenus pour non avenus. Un jour même, le général annonça l'intention de faire enlever de vive force des ballots d'étamine destinée à la fabrication des drapeaux et retenus en douane pour le payement des droits.

J'avançai personnellement la petite somme nécessaire au dédouannement, et l'incident n'eut pas de suites; mais les journaux ne manquèrent pas de dire que j'avais mis l'embargo sur le drapeau français et de représenter l'armée comme humiliée par le régime du protectorat. Le régime prudent et ménager des deniers de la France avait pour ennemis naturels les solliciteurs d'emplois et de concessions qui considèrent une colonie comme une mine à exploiter aux dépens du Gouvernement. Il se forma peu à peu à Tunis, un parti réclamant l'établissement du régime militaire et la réunion entre les mains du général Boulanger des pouvoirs de résident et de commandant en chef. Ce parti était-il indirectement encouragé par le général? Je ne saurai l'affirmer, mais il agissait comme s'il se fût senti appuyé, et l'opinion se répandait de plus en plus que le seul défenseur de l'honneur national en Tunisie était le général Boulanger.

On trouve ensuite dans la déclaration de M. Cambon un fait qui est trop connu pour que j'en parle, c'est celui d'une lutte avec le tribunal de Tunis à propos d'une condamnation correctionnelle que le général Boulanger avait considérée comme insuffisante.

Mais ce qui est intéressant à retenir dans cette déclaration, c'est le fait suivant :

A la suite de la condamnation que Boulanger ne voulait pas accepter, il rédigea un ordre du jour aux troupes, où il dénonçait le pouvoir civil et soulevait le conflit dans les conditions les plus aiguës.

M. Cambon ayant eu connaissance de cet ordre du jour, alla trouver M. Boulanger et obtint de lui qu'il ne fût pas publié ni porté à la connaissance des troupes.

M. Boulanger donna, à cet égard, sa parole, et peu d'heures après, l'ordre du jour était répandu à profusion et lu à trois appels devant les régiments de la division.

Déclaration du général de Dionne.

Telle est la déclaration de M. Cambon; voici maintenant celle de M. le général de Dionne.

Il y a eu, en effet, beaucoup de généraux entendus dans cette instruction qui semblait suspecte à certains des accusés, parce qu'ils trouvaient peut-être que l'élément civil y était prédominant. S'ils avaient voulu y venir, elle leur aurait cependant offert de bien grandes garanties: car ce dos sier est plein de dépositions faites sous la foi du serment par des généraux français, et si M. Boulanger avait été ici, c'est en face de ses pairs qui ont illustré ou honoré l'uniforme qu'il a porté lui-même que nous l'aurions placé.

Voilà donc le général de Dionne, qui commande en ce moment l'école de guerre et qui a été le successeur de Boulanger en Tunisie, qui fait la déclaration suivante :

Lorsque je suis arrivé en Tunisie, je n'y ai trouvé que des dissentiments très sérieux entre l'autorité civile et l'autorité militaire, qui tenaient surtout à l'absence complète de délimitation des attributions des uns et des autres.

Ces dissentiments avaient été mis en évidence par plusieurs faits pour lesquels M. le général Boulanger avait cru devoir recourir à la violence...

Ce n'est pas M. Cambon qui parle, c'est M. le général de Dionne.

...M. le général Boulanger avait cru devoir recourir à la violence contre des actes ordonnés par le ministre résident, afin de sauvegarder ce qu'il croyait être les intérêts du corps expéditionnaire. C'est ainsi...

Vous allez voir si les intérêts du corps expéditionnaire étaient engagés.

...

C'est ainsi qu'il fit enlever une caisse de drapeaux dans la douane de la Goulette par la force militaire pour ne pas payer les droits. Dans une autre circonstance, il fit chasser par une troupe armée les agents voyers qui voulaient procéder à la réparation d'une route.

Il est résulté de l'attitude prise par M. le général Boulanger, continue M. de Dionne, qu'il s'était acquis une très grande popularité dans toute la division d'occupation, et que lorsqu'il a été nommé ministre, on prévoyait pour lui des destinées plus élevées encore.

Et M. le général de Dionne couronne sa déposition en nous disant qu'à cet égard il a trouvé aux archives, à Tunis, la lettre d'un jeune officier général qu'il a eu la discrétion de ne pas nommer et qui faisait à Boulanger partant alors pour la France une déclaration, je ne dirai pas de loyalisme, mais de dévouement, conçue dans des termes d'un lyrisme tel

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