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A Bruxelles, la propriété est frappée de contributions égales à plus de 25 % du revenu que la loi lui reconnaît. Et nous ne parlons que des contributions directes imposées par l'État, les provinces et la commune.

Peut-on aller au delà?

D'autre part, l'abolition des octrois a profondément modifié la situation financière des grandes communes du pays, en supprimant une source de revenus qui, chaque jour, prenait une importance plus grande. Outre leur accroissement normal, ces ressources pouvaient encore être augmentées, d'abord par la majoration du taux des droits, ensuite par l'imposition de matières de choses non imposées.

Nous avons vu que la part de certaines villes dans la répartition du fonds communal est restée à peu près stationnaire; Bruxelles est de ce nombre. Quelle était la progression du produit de l'octroi?

Le produit des octrois de Bruxelles s'est élevé à 2,469,069 francs en 1855; la recette progresse à 2,613,615 francs en 1856, à 2,794,600 francs en 1857 et à 2,973,630 francs en 1858. Donc en trois ans 504,561 francs d'augmentation, plus de 20%; et cette augmentation a été obtenue sans augmentation du taux des taxes, par la seule prospérité de la cité.

Quelle somme l'octroi rapporterait-il aujourd'hui? Prenant la progression établie plus haut, nous obtenons une augmentation annuelle de 170,000 fr. Or, en admettant une augmentation non de 170,000 francs, mais de 50,000 francs seulement, on eût pu porter au budget de 1882 une prévision de recette supérieure à 4,175,000 francs.

Cette ressource a été remplacée par une part dans le fonds communal; cette part, qui a été de 2,847,322 francs en 1861, est restée à peu près stationnaire jusqu'en 1874. Elle s'est élevée à 3,016,391 francs en 1875 et n'a plus guère progressé, puisqu'elle a été de 3,067,823 francs en 1880. En dix-neuf ans, nous constatons une augmentation de 220,501 francs, 712% seulement. Augmentation annuelle 11,553 francs, moins de 0.45 %. Ainsi, d'une part, en trois ans, augmentation de 20 % et, d'autre part, en dix-neuf ans augmentation de 7 1/2 %.

Que de millions perdus pour la caisse communale!

Il est évident que des recettes qui progressaient chaque année ont été

remplacées par des ressources qui sont restées stationnaires. N'est-ce pas là la cause de la gêne dans laquelle se trouvent presque toutes les grandes communes du pays et principalement Bruxelles?

Si le Gouvernement refusait de faciliter à la commune la perception de ces impôts indirects, le conseil communal ne serait-il pas en droit de dire au pouvoir : « Vous nous avez imposé la loi abolissant les octrois, loi utile, loi d'un principe admirable, c'est vrai, mais qui a porté la perturbation dans nos finances; que voulez-vous que nous fassions? » Nous avons imposé à nos immeubles un droit égal à celui que vous percevez, nous avons imposé tout ce qui est imposable; nous vendons notre gaz, nos eaux, à un prix très élevé et ces ressources peuvent nous échapper du jour au lendemain. Si nous augmentons les droits de place sur nos marchés, les droits de quais, les droits de navigation; nos marchés, nos quais, notre canal seront abandonnés.

Pouvons-nous écraser davantage nos propriétaires, nos locataires, nos négociants, nos industriels? Non, car la capitale serait bientôt désertée. Eh bien, indiquez-nous, vous État, de nouvelles bases d'impôts, metteznous à même de répartir plus équitablement nos charges, permettez-nous de demander à tous les habitants une part proportionnelle de leur avoir, à leurs revenus.

Nous croyons que le système financier de Bruxelles et des grandes communes du pays doit être modifié.

Les règles qui étaient appliquées au budget bourgeois du Bruxelles de 1850 peuvent-elles encore régir les besoins du budget principier du Bruxelles de 1880?

En 1850, budget de 4,989,000 francs. On demande 217,000 francs à la contribution directe.

En 1880, budget de 32,785,000 francs. En 1881, on réclame plus de 3,500,000 francs aux immeubles, patentes, etc., etc.

La contribution directe de 1850, 217,000 francs, mise en regard de celle de 1881, 3,500,000 francs, ne prouve-t-elle pas mieux que tous les arguments qu'une modification s'impose?

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

Le système financier de l'État, des provinces, des communes, frappe principalement la propriété foncière, le commerce, l'industrie. Le capital, le revenu mobilier ne participent que pour une part infime dans les dépenses générales.

Et cependant, aide, protection leur sont données; eux surtout ont bénéficié des grands travaux d'utilité publique que le produit de l'impôt a permis d'exécuter.

Ils récoltent ce que d'autres ont semé; ils jouissent de leur récolte, non seulement sans trouble, mais aussi sans charge; « ils profitent de la prime que d'autres ont toujours acquittée ».

«< Bien que l'impôt soit le payement de la dette contractée par quiconque participe aux avantages que donne la vie sociale, bien que ce soit par les ressources procurées par l'impôt que l'État assure la paix publique, la paisible jouissance des biens acquis», les uns considéreront toujours l'impôt comme une charge sans compensation, les autres comme un mal nécessaire, tous comme une obligation onéreuse.

Aussi, pour le rendre moins rigoureux, pour le faire accepter avec moins d'amertume, doit-on rechercher les ressources les moins vexatoires, doit-on s'efforcer de faire en sorte que la part réclamée à chaque habitant soit proportionnée à son avoir, à ses revenus, aux services qui lui sont rendus. Le législateur a donc le devoir de répartir l'impôt avec équité en établissant, entre tous, une proportionnalité aussi juste que possible.

Dans cet ordre d'idées, nous demandons la révision non interrompue des évaluations qui servent de base à la contribution sur la valeur locative et à l'impôt foncier, la suppression de l'impôt sur les portes et fenêtres, le dégrè

vement des droits de douane et d'accises qui frappent les objets de consommation populaire et surtout une diminution des droits sur la bière indigène, en tenant compte des observations que nous avons présentées et en imposant, non plus la contenance de la cuve-matière, mais le rendement.

Nous réclamons instamment la majoration des droits de succession et l'établissement d'un droit de succession en ligne directe, sur tout ce qui est recueilli. Le taux des droits de succession est de beaucoup trop peu élevé. Et encore si le droit s'exerçait sur tout ce qui est recueilli. Mais ne sait-on pas que la plupart du temps les valeurs de portefeuille disparaissent, que le mobilier est déclaré pour une somme infime? Frauder, voler l'État, n'est pas voler; ne sont-ils pas devenus un principe?

Pourquoi, en ligne directe, ne réclamer qu'un droit de mutation aux immeubles seuls? Est-ce de la justice distributive? Y a-t-il proportionnalité dans la répartition des charges? Non, absolument non. Un malheureux recueille un bien d'une valeur de mille francs, il doit acquitter un droit. L'héritier d'un opulent capitaliste possédant une colossale fortune en valeurs mobilières est indemne de toute contribution. Et, chose remarquable, ce sont précisément les valeurs qui n'ont jamais participé aux dépenses publiques qui sont encore favorisées.

Le droit de succession sur tout ce qui est recueilli est le plus équitable des impôts. Il ne réclame une contribution qu'à ceux qui possèdent réellement, il proportionne exactement le sacrifice à la quotité recueillie.

Nous réclamons aussi la révision des tarifs douaniers et le remaniement complet de la loi sur les patentes dans le sens des observations que nous avons présentées. Il est absolument certain que les patentés, rangés dans les classes inférieures et moyennes, supportent la plus grande partie de la contribution.

Nous souhaitons le rétablissement de l'impôt sur les foyers, car cet impôt, véritablement progressif, atteignait surtout les classes aisées; le rétablissement de ces droits ne pourrait plus, même avec notre système électoral, vicier le recrutement des électeurs, si la création de nouvelles bases d'impôts, l'augmentation de certaines autres étaient décrétées.

Nous voudrions voir rétablir les taxes qui frappaient les débits de bois

sons alcooliques. Nous souhaiterions ardemment un impôt sur le revenu, impôt d'une incontestable justice, si l'application n'en était si difficile, et souvent si arbitraire, si injuste. Nous demanderions l'établissement immédiat d'un droit, si on nous indiquait une formule, même quelque peu défectueuse, mais présentant certaines garanties.

Peut-on se dissimuler la difficulté d'atteindre le revenu représenté par ce que l'on appelle les valeurs en portefeuille? Elles échappent, pour ainsi dire, à toute recherche par leur nature même, par leur mobilité, par les mutations incessantes qu'elles subissent.

Comment fixer les profits de certaines professions: avocats, notaires, médecins, ingénieurs? Comment déterminer les bénéfices des négociants?

Sur quels indices baser la médiocrité, l'aisance, le luxe? En réglant, en essayant de préciser ces degrés de la fortune des citoyens, n'établirionsnous pas une espèce d'impôt somptuaire, ne créerions-nous pas l'impôt progressif poussé à l'extrême?

Or, qui voudrait voir vivre l'un avec tous ses principes, qui voudrait voir établir l'autre avec toutes ses conséquences?

Que de vexations, que de fausses déclarations, que de dénonciations ne verrions-nous pas se produire!

Oh! nous savons que la théorie de l'impôt sur le revenu est très séduisante, très démocratique, absolument juste; mais l'application? mais la formule?

Écoutons John Stuart: « Sur quelque principe d'équité que soit établi l'impôt sur le revenu, il est toujours inégal dans l'application, et de la pire façon, en ce sens qu'il pèse d'un poids d'autant plus lourd que le contribuable est plus consciencieux »>.

Nous pensons avec ce savant économiste que cet impôt doit être réservé comme ressource extraordinaire, destinée aux grands besoins nationaux, en présence desquels la nécessité de trouver des ressources nouvelles domine toutes les objections.

Il est cependant hors de doute que l'impôt sur le revenu devrait être une des principales ressources, si pas la principale de l'État, des provinces,

des communes.

TOME XLVI.

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