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par le retour chevaleresque de la noblesse espagnole, par le dévouement des populations castillanes, par la nouvelle intervention de Louis XIV qui, malgré les infortunes de la France, se laisse arracher un dernier effort. Le duc de Noailles, qui commande dans le Roussillon, est accouru à Valladolid pour obtenir enfin le consentement de Philippe à la convention qui lui doit conserver les Deux-Siciles en échange de l'Espagne et des Indes; l'habile négociateur n'a épargné ni éloquence, ni séductions, ni menaces pour gagner la princesse des Ursins et pour persuader le roi d'Espagne : Non, Sire, écrit celui-ci à son aïeul, quelque confiance << que j'aie dans le duc de Noailles, quelques raisons qu'il « m'ait fait envisager, je préférerai toujours le parti de me « soumettre à ce que Dieu voudra décider de mon sort en «< combattant '. » Désillusionnés sur le compte de Charles d'Autriche, touchés d'une compassion généreuse pour l'abandon où se trouve leur jeune Roi et reconnaissants de la confiance absolue qu'il leur témoigne, les grands, réunis à Valladolid, écrivent collectivement à Louis XIV, sur la proposition du duc de Medina-Sidonia, pour le prier de leur venir en aide et lui donner l'assurance que, « sans perdre de temps, on va former une bonne armée en Espagne. Louis s'est laissé convaincre; Noailles entrera en Catalogne avec quatorze mille hommes; le duc de Vendôme, qui vit dans la retraite depuis ses mésaventures des Pays-Bas, mais qui a toujours conservé, depuis ses victoires d'Italie, le prestige d'un grand général et dont le nom est très-populaire parmi les soldats, sera envoyé, sur les demandes instantes de Philippe, pour rallier les débris

1 Philippe V à Louis XIV, 29 septembre 1710. (Mémoires de Noailles.) 2 Stahremberg, qui redoutait la fidélité des Castillans à la cause de Philippe V, conseillait à l'archiduc de ne pas entrer à Madrid. Plus entreprenant et moins sage, Stanhope se chargea de l'y conduire.

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d'Almenara et de Saragosse, réorganiser, commander les troupes espagnoles. Cependant, l'archiduc a été reçu dans la capitale des Espagnes avec une froideur glaciale et n'a pas osé s'y établir. Il y est entré à la tête d'un nombreux cortége et en est sorti découragé, en disant : « C'est une ville déserte! » Le vieux marquis de Mancera, âgé de plus de cent ans, qui n'a pu se rendre à Valladolid à cause de ses infirmités, et qu'il a voulu rallier à sa cause par des paroles déférentes, lui répond : « Je n'ai qu'une foi et qu'un Roi, pendant la vie duquel je ne peux en connaître un « autre. >> Charles occupe depuis quelques jours, près de Madrid, le château du comte d'Aguilar, où il attend anxieusement des hommages qui ne viennent point, lorsqu'il apprend que l'armée de son rival s'est reformée sous l'impulsion de Vendôme, que le duc de Noailles a pénétré en Catalogne, que les populations de Castille sont toutes prêtes à se soulever. La prudence lui fait un devoir de ramener ses troupes en Aragon et de retourner lui-même à Barcelone. Vers la fin de l'automne, son armée s'éloigne de Madrid, suivie de près par Vendôme qui s'est élancé sur ses traces. Elle est divisée en deux corps que commandent Stanhope et Stahremberg, et remonte lentement le cours du Tage, incendiant les châteaux, pillant les villages, profanant les églises. Sur le point d'atteindre les frontières montagneuses de l'Aragon, les Anglais perdent de vue les Autrichiens; ils s'égarent et se retranchent comme ils peuvent, dans la petite ville de Brihuega', où l'armée espagnole, amenée en toute hâte par Vendôme, les attaque avec une bravoure furieuse. En vain Stanhope fait incendier les barricades qui le protégent. Ni la fumée ni les flammes n'arrêtent

1 Située sur la Tajuna, l'un des affluents du Tage, non loin de Guadalajara, et à vingt lieues nord-est de Madrid.

les intrépides soldats de Philippe V. Cerné de toutes parts, le général anglais met bas les armes avec cinq mille hommes. Stahremberg, appelé par le bruit du canon, retourne sur ses pas; Vendôme marche à sa rencontre. Les deux armées se rejoignent, le lendemain, près de Villaviciosa ', où s'engage une rude bataille qui dure tout le jour, et dont l'issue serait incertaine si le général autrichien n'avait, pendant la nuit, encloué ses canons, incendié ses bagages, s'il n'avait commencé sa retraite, le lendemain matin, à la faveur d'un épais brouillard qui dérobait la vue de ses mouvements à son adversaire. L'archiduc fait chanter le Te Deum à Barcelone; mais les affligeantes nouvelles qui lui parviennent dissipent bientôt toutes ses illusions. La retraite des Autrichiens s'est changée en déroute; nulle part ils n'ont pu faire tête, tous leurs équipages ont été pris. Le 4 janvier 1711, Philippe, accompagné de Vendôme, est rentré triomphalement à Saragosse. Trente mille hommes étaient partis de Catalogne pour la conquête de Madrid, Stahremberg n'en ramène que cinq mille à son maître. Il ne peut même pas secourir efficacement Girone, l'une des villes les plus fortifiées de la Catalogne, qui tombe, le 25 janvier, entre les mains du duc de Noailles. Le trône éphémère de Charles III s'est écroulé à Villaviciosa! La victoire, victoria redux, suivant les termes de l'inscription gravée sur les médailles commémoratives, est revenue décidément à son rival.

On peut dire que les guerres de la Péninsule ont pris fin, quoique l'archiduc ait encore en son pouvoir quelques bourgades de la Catalogne, quoique Barcelone lui reste obstinément fidèle par amour de ses propres priviléges et par haine des Castillans. Il ne s'agit plus, pour ainsi dire,

1 Village situé à six lieues nord-est de Guadalajara.

En espagnol Gerona. Chef-lieu de la province du même nom. Ville forte de Catalogne, située sur une colline au pied de laquelle coule le Ter.

que de pacifier ce que l'on a reconquis. En 1711 et 1712, Vendôme y emploie, dans les provinces d'Aragon et de Valence, les forces dont il dispose. Après la mort de cet intrépide général qui a risqué tant de fois sa vie sur les champs de bataille, et qui succombe, à Vinaros, des suites vulgaires d'une indigestion, les Autrichiens essayent de reprendre activement les hostilités. Vers la fin de 1712, Stahremberg bloque étroitement Girone et en pousse vivement le siége. On craint que cette forteresse importante ne retombe entre les mains de l'archiduc. Berwick arrive en grande hâte du Dauphiné. Efficacement secondé par les efforts de Bâville, intendant du Languedoc, il improvise une expédition, ravitaille abondamment la place et la sauve. En 1713, après la signature du traité d'Utrecht, Stahremberg évacuera la Catalogne. Mais la ville de Barcelone, ainsi que l'île de Majorque, refuseront obstinément de reconnaître la royauté de Philippe V et continueront à lutter pour leurs priviléges. On verra plus loin comment, l'année suivante, elles furent réduites, par le maréchal de Berwick et le chevalier d'Asfeld, à faire leur soumission. Avant la fin de 1714, il n'y aura plus dans toute l'Espagne une seule bourgade où l'on ne voie flotter le drapeau de Philippe V.

1 Vendôme mourut, au mois de juin 1712, d'une indigestion de poissons, à Vinaros, dans le royaume de Valence. Il jouissait en Espagne de la plus brillante popularité. Philippe V voulut que son corps reposât à l'Escurial, comme son aïeul avait fait ensevelir Turenne à Saint-Denis.

2

Nicolas de Lamoignon, seigneur de Bâville, conseiller d'État, inten

dant du Languedoc, né en 1648, mort en 1724. Vor Annexe 23.

CHAPITRE VI

OPÉRATIONS MARITIMES.

Exploits de Duguay-Trouin et de Forbin, sur les côtes d'Angleterre et de Portugal, dans les mers du Nord.

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Au cap Lizard.
Duguay-Trouin à Rio de Janeiro.

- Expédi

Quelques lignes sur nos opérations maritimes pendant les guerres de la succession d'Espagne achèveront le bref récit qui précède. A demi ruinée, en 1692, par la désastreuse affaire de la Hogue, dans laquelle Tourville, combattant malgré lui, avait perdu vingt navires de haut bord, contrainte de disséminer les forces qui lui restaient sur la mer Méditerranée ainsi que sur les deux Océans, pour défendre nos colonies et garder nos côtes, la marine française n'était plus en état de livrer une grande bataille aux flottes ennemies; mais, renforcée par les vaisseaux espagnols de Philippe V, commandée par des hommes entreprenants et hardis, Châteaurenaud, d'Estrées', Duguay-Trouin ', Ducasse, Forbin, nos escadres pouvaient encore protéger très-utilement nos convois, gêner, intercepter, capturer ou détruire,

Victor-Marie, duc d'Estrées, maréchal de France, vice-amiral du Ponant, président du Conseil de la marine, membre de l'Académie, né en 1660, mort en 1658. Voir Annexe 24.

2 René Duguay-Trouin, chef d'escadre et lieutenant général; né en 1673, mort en 1736. Voir Annexe 25.

3 Jean-Baptiste Ducasse, chef d'escadre et lieutenant général des armées navales; né en 1650, mort en 1715. Voir Annexe 26.

4 Claude, chevalier, puis comte de Forbin, chef d'escadre, né en 1656, mort en 1733. Voir Annexe 27.

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