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toires usurpés sur ses prédécesseurs. C'est ainsi qu'il se venge de Clément XI, dont la neutralité, dans les affaires de la succession d'Espagne, s'est montrée bienveillante pour Philippe V. Le Pape tient tête, un instant, à ces exigences impérieuses. Il essaye d'organiser, entre les princes italiens, une ligue de résistance, et implore l'influence de la diplomatie française. Louis XIV lui prête le concours habile de Tessé. Mais les soldats de l'Empereur seront encore plus persuasifs que l'adroite éloquence du maréchal. Délaissé de ses faibles alliés, voyant ses États envahis, pressuré, rançonné par les troupes autrichiennes, bravé, menacé dans Rome même, par l'audacieux ministre de Joseph I, le marquis de Prié', le Pontife est contraint, malgré les pressantes exhortations de l'ambassadeur français, d'accorder ce qu'on lui demande. Il s'engage à désarmer ses troupes, à livrer passage, dans les terres de l'Église, à l'armée autrichienne et reconnaît l'archiduc Roi en Espagne, trouvant encore moyen, dans sa détresse, de ménager la forme et de donner ainsi quelque satisfaction au grand Roi.

Telles furent, en Italie, les funestes conséquences de la 1708. bataille de Turin et des fautes militaires commises par Vendôme, la Feuillade et le duc d'Orléans. Il faut y ajouter, pour 1708, la perte d'Exilles et de Fenestrelles. Chargé,

1 Le marquis de Prié, exécuteur fidèle des impitoyables instructions de son maître, traita le pontife avec un dédain cruel. Bien que la convention fût exécutée fidèlement par le Saint-Siége, les troupes autrichiennes continuèrent quelque temps encore leurs exactions et leurs pillages. Innocent XI, accablé par des nécessités de toutes sortes, avait interdit à Rome les bals et les plaisirs. Prié y donna, dans son palais, une fête ma agnifique, « pour ne pas manquer de parole aux dames ». « On ne doit jamais, avait écrit Tessé au Pape, mettre la crainte à la place de la religion, de l'honneur « et de la justice. » Noble conseil, assurément, qu'il eût fallu pouvoir soutenir avec une grande armée.

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* Les forts d'Exilles, situés à quinze lieues ouest de Turin, commandaient

avec des ressources très-insuffisantes, de contenir VictorAmédée qui préparait avec ardeur une seconde invasion, Villars a sauvé la Savoie, mais n'a pu conserver ces deux forteresses.

une vallée où coule la Doire-Ripaire; ceux de Fenestrelles, au sud-est des précédents et à treize lieues ouest de Turin, protégeaient la vallée de la Clusone. Ces forts ont été démantelés en 1796.

CHAPITRE III

CAMP AGNES SUR LE RHIN ET EN ALLEMAGNE.

Opérations de 1702.

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Boufflers. Marlborough et Tallard. Catinat et le prince de Bade. — Mélac à Landau. — L'Électeur de Bavière passe à la France. Villars et le prince de Bade. Friedlingen. Hésitations et succès de l'Électeur. Kebl. Villars repasse le Rhin, puis rejoint l'Électeur. — Désastre du Tyrol. Première bataille de HochTallard, Marsin et l'Électeur contre Marlborough, Eugène et le prince de Bade. Deuxième bataille de Hochstett. La Bavière perdue. Villars à Sierk. Il force les lignes de Stolhofen, pénètre au cœur de l'Allemagne et tend la main à Charles XII. - Du Bourg et Mercy. Affaire de Rumersheim.

stett.

fut

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Sur le Rhin, sur la Moselle, en Allemagne, la guerre ne pas moins active ni moins sanglante qu'en Italie; mais elle fut moins décisive. Elle commença au mois d'avril 1702. Une semaine avant qu'elle eût été déclarée', l'ennemi envahissait l'Électorat de Cologne et bloquait Kayserwerth'. La Hollande demandait, à grands cris, qu'on la protégeât contre les entreprises des deux Électeurs et l'on s'était hâté de lui donner satisfaction. C'était au marquis de Boufflers', qui dirigeait l'armée du Nord sous les ordres du dục de Bourgogne et qui opérait dans la Gueldre espagnole contre les Hollandais, à sauver cette place importante où

1 Les déclarations de guerre, ainsi que nous l'avons dit plus haut, portent les dates des 10 et 15 mai 1702.

2 Kayserwerth, à deux lieues nord-ouest de Dusseldorf, fait actuellement partie des États prussiens; c'est une petite ville de treize cents habi

tants.

3

Louis-François, marquis de Boufflers. Voir Annexe 6.

1702.

commandait Blainville. Insuffisamment secourue, elle se rendit, le 13 juin, avec tous les honneurs de la guerre, après une belle résistance de cinquante-huit jours qui avait coûté plus de neuf mille hommes aux alliés. Ce fut, dans ces régions, leur premier succès contre la France.

Il s'agissait de garantir le Brabant et d'empêcher Marlborough d'investir la ville de Liége. Boufflers crut y parvenir en se maintenant lui-même dans cette province et en dirigeant vers la Moselle une expédition qui, appelant, de ce côté, l'attention du général en chef, le détournerait sans doute de son entreprise. Cette diversion, ainsi qu'on le verra plus loin, ne sauva pas Liége, mais elle fut brillamment conduite par Tallart ', qui soumit Trèves, Trarbach, mit à contribution Mayence, le Palatinat et obtint, du duc de Lorraine, l'autorisation tacite d'occuper Nancy, afin de couvrir la Moselle et la Sarre.

Rappelé d'Italie sur sa demande et rentré en grâce auprès de Louis XIV, qui lui avait enfin pardonné de n'avoir pas su vaincre le prince Eugène, Catinat avait reçu le commandement de l'armée du Rhin. Ses forces étaient insuffisantes. L'armée ennemie, qui agissait sous les ordres du prince de Bade, comptait cinquante mille hommes. Il en avait à peine vingt et un mille et devait se borner à la défensive. Les Impériaux passèrent le Rhin à Spire' et à Germersheim*.

1 Camille d'Hostun, comte de Tallart, maréchal de France. Voir Annexe 7. 2 Louis-Guillaume, margrave de Baden-Baden, l'un des plus illustres généraux de l'Empire, servit d'abord sous les ordres de Montecuculli contre la France, se couvrit de gloire dans les guerres des Autrichiens contre les Turcs, qu'il battit en 1691, à Salankenem, après avoir aidé Sobieski, en 1683, à faire lever le siége de Vienne, s'empara de Landau en 1703, mais fut battu par Villars à Friedlingen et à Hochstett; mourut en 1707; a laissé des Mémoires.

3 Ville de Bavière, sur la rive gauche du Rhin, à quarante lieues est de

Metz.

4 A deux lieues sud de Spire.

y

Le roi des Romains était à leur tête. Il s'avança, sans résistance, par la vallée de la Lauter et mit le siége, le 13 juin, devant Landau ', l'un des boulevards de l'Alsace. Mélac fit, pendant quatre-vingts jours, une résistance superbe et ne capitula qu'avec tous les honneurs de la guerre. Il était absolument à bout de ressources. Joseph combla de louanges ce brave officier; il le reçut à sa table et voulut qu'il fût traité, dans son camp, comme un feld-maréchal, honorant ainsi, par cet éclatant témoignage, la défense et le défenseur'.

Pour renforcer Catinat, pour sauver Landau, Louis XIV avait détaché, de l'armée des Pays-Bas, douze bataillons et seize escadrons, dont il avait remis la direction au marquis de Villars. Il était bon, sans doute, de conserver la Gueldre à Philippe V, mais il valait encore mieux maintenir l'intégrité de la monarchie. Villars arrivait de Vienne, où il s'était tiré, avec honneur, d'une mission pleine de périls. On le savait entreprenant, audacieux, homme d'expédients et d'exécution. C'était le lieutenant qu'il fallait à Catinat, découragé par les revers de ses dernières campagnes, devenu timide et irrésolu à force de prudence et de sagesse.

1 Ville de la Bavière rhénane, sur la Queich, à cinq lieues sud-ouest de Spire, fortifiée par Vauban, prise et reprise plusieurs fois par la France, enlevée à la France par les traités de 1815.

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Louis XIV fit à Mélac le plus sympathique accueil; il lui conserva ses appointements de gouverneur de Landau et lui accorda une pension de 15,000 livres. Brigadier de cavalerie dès 1686, Mélac avait été nommé maréchal de camp en 1690, gouverneur de Landau, puis lieutenant général en 1693, et avait servi très-honorablement dans les armées du Rhin. C'était, dit Saint-Simon, un gentilhomme de Guyenne, de beaucoup d'esprit, même fort orné, de beaucoup d'imagination et dont le trop de feu nuisait quelquefois à ses talents pour la guerre et souvent à sa con* duite particulière, bon partisan, hardi dans ses projets et concerté dans leur exécution, surtout fort désintéressé. Il n'avait de patrie que l'armée ■ et les frontières, et toute sa vie avait fait la guerre, été et hiver, presque toujours en Allemagne. Il mourut à quatre-vingts ans, en 1704.

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