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Humiliations qu'on lui impose.

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Le grand pensionnaire.

Articles préliminaires.

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offre en vain d'abandonner son petit-fils.

« Le cours d'un règne heureux, disent les Mémoires de Torcy, n'avait été traversé, pendant une longue suite d'années, d'aucun revers de fortune. Le Roi ressentit d'autant plus vivement les calamités... C'était un terrible * sujet d'humiliation, pour un monarque accoutumé à vaincre, loué sur ses victoires, ses triomphes, sa modération lorsqu'il donnait la paix et qu'il en prescrivait les lois, que d'offrir inutilement à ses ennemis, pour l'obtenir, la restitution d'une partie de ses conquêtes, celle de « la monarchie d'Espagne, l'abandon de ses alliés, et d'être forcé de s'adresser, pour faire accepter de telles offres, à « cette même République dont il avait conquis les principales provinces en l'année 1672, et rejeté les soumissions lorsqu'elle le suppliait de lui accorder la paix à telles conditions qu'il lui plairait de dicter. Le Roi soutenait un changement si sensible avec la fermeté d'un héros et la soumission parfaite d'un chrétien aux ordres de la Providence. »

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Dans ces graves et périlleuses occurrences, Louis XIV fait appel à l'expérience et aux avis de son conseil. Il réunit, à Versailles, le Dauphin, le duc de Bourgogne, son fils, et

les cinq ministres Pontchartrain, chancelier de France, le duc de Beauvilliers, chef du cabinet des finances, Torcy, secrétaire d'État aux affaires étrangères, Chamillard, chargé de la guerre, Desmarets, contrôleur général. Ce sont, à quelques exceptions près, les mêmes hommes qui ont délibéré, en 1700, sur la grande affaire du testament '. La consultation n'est pas moins solennelle. Le vertueux précepteur des Enfants de France insiste, << en termes pathétiques et <«< touchants (Torcy), sur la pressante nécessité de la paix »; il montre « le personnage affreux que le Roi serait forcé de << faire >> s'il ne traite immédiatement avec ses ennemis. Pontchartrain partage son opinion et « enchérit encore sur «< cette cruelle peinture >>. On consulte Chamillard et Desmarets sur les ressources qu'ils ont encore à leur disposition. Leurs réponses sont évasives. Le Roi pleure avec ses ministres sur les infortunes de la France.

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Torcy se souvient des conseils qu'il a donnés jadis à son maître. C'est lui qui, le premier de tous, a demandé l'acceptation du testament de Charles II. Il est donc, en partie au moins, responsable des maux de la guerre, et rien ne lui coûtera pour y mettre fin. Il déclare qu'il est prêt à se rendre, lui-même, en Hollande avec des pouvoirs plus étendus que ceux du président Rouillé, et à se charger des négocia tions. Les difficultés et les humiliations qui l'attendent n'effrayent pas son patriotisme. Il est possible, après tout, que les ennemis tiennent compte du caractère dont il est revêtu, et qu'en traitant le ministre avec considération, ils rendent encore quelque hommage à la majesté du souverain. Pourvu que les Deux-Siciles, ou tout au moins les dépendances du royaume de Naples, soient conservées à Philippe V, Louis XIV accordera, non pas immédiatement

1 Voir l'Introduction.

et d'un seul coup, mais progressivement et à mesure que l'on pourra fléchir l'opposition des ennemis par une concession nouvelle, d'abord, l'abandon de l'Espagne et des Indes à l'Archiduc, de Tournay et de Lille à la Hollande, puis la démolition des forts de Dunkerque, l'expulsion du Prétendant, l'exécution du traité de Munster suivant l'interprétation germanique, c'est-à-dire la restitution de Strasbourg, enfin l'ajournement des satisfactions qu'il sollicite pour ses amis les deux Électeurs. Telle est la décision des conseillers du roi de France, tel est le sens des instructions que rédige son ministre des affaires étrangères et que celui-ci portera lui-même à notre représentant auprès des États-Généraux'.

Quel que fût le zèle du marquis de Torcy pour les intérêts de la France, il est certain qu'il se fût abstenu de briguer l'honneur d'une telle mission, s'il en avait pu prévoir les mortifiantes épreuves et la misérable issue. Il ne demanda qu'un jour pour faire ses préparatifs. Arrivé à Rotterdam après un pénible voyage qu'il dut faire incognito,

Ces instructions furent rédigées sous la forme d'une dépêche adressée au président Rouillé, signée Louis et contre-signée COLBERT. Cette dépêche fut lue devant le Conseil. Le Roi la fit suivre des mots suivants, écrits à la main : « J'approuve ce qui est contenu dans cette dépêche, et mon intention est que Torcy l'exécute. »

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La nouvelle du départ de ce dernier pour la Hollande fut assez mal accueillie par les courtisans. « Des gens au-dessus du commun, écrit-il dans ses Mémoires, attribuèrent au ministre des vues qu'il n'avait jamais ils essayèrent de persuader qu'une pareille démarche était aussi contraire au service qu'à la gloire du Roi; qu'il ne convenait pas qu'un de ses ministres allât demander, en suppliant, la paix à ses ennemis. » Peut-être ces gens au-dessus du commun n'avaient-ils pas grand tort; mais toutes les considérations, ajoute le neveu du grand Colbert, avaient cédé à l'espérance dont il se sentit secrètement flatté de rendre un service important au Roi, son maître, son bienfaiteur, celui de sa famille, et de contribuer, soit à quelque heureux changement des affaires, soit à pénétrer le secret des ennemis ».

2 Il était à craindre que le secret ne fût découvert à Bruxelles. Pour

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muni d'un simple passe-port de courrier diplomatique dans lequel il n'était pas désigné par son nom, il eut recours, pour se rendre à la Haye, aux bons offices d'un honnête homme, le banquier Sincerf, sur lequel il avait des lettres de crédit et dont la droiture lui était connue. Sincerf fit mettre deux chevaux à son carrosse et le conduisit luimême à la Haye, chez Heinsius. Introduit immédiatement dans son cabinet, tandis que le ministre des affaires étrangères du roi Louis XIV faisait antichambre, il revint bientôt suivi du grand pensionnaire, entre les mains duquel, et sans autre cérémonial, Torcy déposa ses pleins pouvoirs. Les suites de la négociation ne répondirent que trop fidèlement à cet humble début.

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Heinsius, disent les Mémoires de Torcy, était conseil« ler pensionnaire de la province de Hollande, et avait été « placé dans ce poste par la protection du prince d'Orange, depuis roi d'Angleterre. Ce prince prenait en lui une con« fiance entière. Il l'avait envoyé en France pour les affaires « de la principauté d'Orange, après la paix de Nimègue, et, << dans l'exercice de cette commission, Heinsius avait essuyé « la mauvaise humeur d'un ministre plus accoutumé à par « ler durement aux officiers de guerre qu'à traiter avec les « étrangers; il n'avait pas oublié que ce ministre l'avait « menacé de le faire mettre à la Bastille. Il était consommé « dans les affaires, dont il avait une grande expérience. Inti

« en éviter le passage, il fallait prendre un chemin détourné. Les postil« lons dirent qu'il leur était défendu, sous de rigoureuses peines, de con« duire les courriers par toute autre voie que par la ville. Ce même jour, « les portes en étaient fermées par l'ordre du prince Eugène qui faisait une « revue dans l'enceinte de ses murailles. La nécessité força les gens de « la poste au détour qu'on leur aurait proposé inutilement!» Il s'en était fallu de peu qu'un parti de soldats anglais n'arrêtât le président Rouillé. Torcy, qui s'en souvenait et qui emportait avec lui les instructions du Roi, devait éviter, avant tout, qu'elles ne vinssent à être connues des ennemis.

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« mement lié avec le prince Eugène et le duc de Marlborough... il était comme l'âme de la ligue; mais le pen«sionnaire n'était accusé d'aucune vue d'intérêt personnel. << Son extérieur était simple; nul faste dans sa maison. Son domestique, composé d'un secrétaire, d'un cocher, d'un laquais, d'une servante, n'indiquait pas l'importance d'un premier ministre. Les appointements qu'il recevait de la République étaient de vingt-quatre mille florins... Son « abord était froid, il n'avait rien de rude; sa conversation " polie. Il s'échauffait rarement dans la dispute. ›

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Le pensionnaire, on l'a déjà dit, détestait la France de vieille date. Il la détestait de tout son cœur, et il entendait bien le lui prouver. Les tempéraments réfléchis et calmes ne pardonnent guère. Ils sont capables des plus dures vengeances quand ils ont des rancunes personnelles à satisfaire. La France n'avait pas de plus cruel ennemi que le premier magistrat de la Hollande. En apparence, les négociations étaient conduites, au nom des États-Généraux, par Buys et Van der Dussen; en réalité, ce fut lui qui les dirigea, et les représentants de Louis XIV eurent avec l'ancien confident de Guillaume III des entrevues fréquentes.

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« Comme il était impossible, écrit au Roi le ministre ambassadeur, sous la date du 8 mai 1709, d'engager les « Hollandais à procurer la paix, s'ils n'étaient contents sur « leurs barrières», Torcy ne se fit pas prier bien longtemps pour leur céder Tournay et Lille. Ils ne s'en montrèrent pas moins intraitables à l'égard du roi d'Espagne qu'ils entendaient dépouiller entièrement et auquel ils refusaient, avec une inflexible rigueur, toute compensation quelconque. En vain Torcy essaya-t-il de leur faire comprendre qu'il pouvait être sage de compter sur les retours de la fortune, et qu'« il arrive parfois que Dieu jette au feu les verges « dont il se sert pour châtier les nations ». Leurs ministres

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