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Ormond en reçoit l'avis officiel, et prend, sans retard, l'attitude que la situation lui commande. Il refuse de coopérer au siége de Landrecies ', et enjoint à tous les officiers des troupes qui agissent sous son commandement de rester dans l'inaction.

Les Hollandais se croient perdus; ils se plaignent hautement, en termes violents et amers, de cette défection si imprévue, de cette injustifiable trahison qui livre la Hollande aux Français. L'armée entretenue par l'Angleterre comprend soixante-cinq bataillons et quatre-vingt-quatorze escadrons. Privé du concours de cette force considérable, le prince Eugène n'est plus en état de tenir tête au maréchal de Villars et de défendre la cause commune. La situation si belle, si brillante, si prospère, il y a quelques jours à peine, est maintenant désespérée. Mais une déception cruelle attend Louis XIV. Eugène de Savoie fait si bien que toutes les troupes étrangères soldées par le gouvernement anglais, à l'exception de quatre escadrons de Holstein et de deux escadrons du régiment de Walef, se refusent absolument à suivre le général anglais, à moins qu'ils n'en reçoivent l'ordre formel de leurs souverains, et il manœuvre si habilement que cet ordre n'est point donné.

Le résultat de la suspension d'armes est donc insignifiant. Le généralissime autrichien commande une armée beaucoup plus nombreuse que la nôtre, et si Landrecies succombe, la route de Paris est ouverte. Les exigences des Hollandais et des Autrichiens seront certainement maintenues. Livrer Dunkerque aux Anglais, dans cette occurrence, ce serait payer trop cher une neutralité, assurément bienveillante et sincère, mais que les circonstances ont rendue, par le fait, impuissante et inféconde. Tel est le

1 Voir le récit des faits militaires.

2 Régiment de dragons levé par la ville de Liége.

langage que tient Louis XIV, irrité et découragé, au gouvernement de la Reine. Celle-ci lui répond immédiatement par de formelles assurances qui dissipent ses inquiétudes. . Si le duc d'Ormond ne peut pas se faire obéir, les plénipotentiaires anglais déclareront formellement à Utrecht que non-seulement la Reine supprimera tous ses subsides, mais encore qu'elle se considérera, en conscience, comme absolument libre de continuer la négociation, soit en Hollande, soit ailleurs, sans se mettre en peine du concours ou du refus de ses alliés. Conclure séparément un traité de paix et d'alliance avec l'Angleterre, rien ne pouvait être, dans les circonstances, plus avantageux pour les intérêts du royaume. Pleinement satisfait par ce rassurant message, Louis XIV s'empresse de reconnaitre qu'il met fin à ses objections, et, dès le lendemain, une lettre de Villars autorise d'Ormond à occuper militairement Dunkerque. Il y entre le 19 juillet, au grand déplaisir des États-Généraux qui voient avec terreur un gage de cette importance entre les mains de leurs rivaux maritimes; quelques jours plus tard, afin de les mieux tenir en bride et de peser davantage sur leurs décisions, le général anglais, d'après le conseil de Louis XIV, introduisait de fortes garnisons dans Gand et dans Bruges.

CHAPITRE VII

DENAIN.

Exigences des alliés et fermeté de Louis XIV. Hésitations de l'Angle- Denain et ses conséquences. — Mission de Bolingbroke à Paris.

terre.

Si les ministres de la reine Anne avaient sérieusement résolu de contraindre ses alliés à faire la paix, par la neutralité militaire de la Grande-Bretagne, ils n'entendaient nullement que cette neutralité eût pour conséquence l'abandon des intérêts politiques de la coalition. Ils voulaient seulement imposer aux exigences de leurs amis du continent de raisonnables limites pour qu'il fût possible à Louis XIV de les subir et de terminer enfin cette guerre cruelle, dont la continuation compromettrait fatalement l'avenir du Royaume-Uni. Saint-John et Harley avaient même pris soin, pendant qu'ils négociaient les préliminaires de Londres et qu'ils échangeaient avec Torcy les plus cordiales assurances, de calmer les inquiétudes légitimes des États-Généraux, en leur accordant, le 22 décembre 1711, une convention secrète qui renouvelait les promesses de la Reine, affirmait sa fidélité à la cause commune, consacrait le maintien des traités conclus en 1701 et 1703 avec l'Empereur. Rassurés antérieurement par cette conven

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1 Voir l'Introduction. Le traité du 7 septembre 1701, conclu, à la Haye, entre l'Empereur, l'Angleterre et la Hollande, est la base même de la grande alliance. Il stipule que les trois puissances réuniront leurs efforts pour donner pleine satisfaction à l'Empereur, en raison de ses droits sur la monarchie d'Espagne; qu'elles réuniront leurs efforts pour s'emparer

tion que Buys avait signée au moment de quitter Londres, n'avant plus aucune inquiétude sur les conséquences matérielles de la suspension d'armes, puisqu'elle n'avait pas sensiblement diminué l'effectif des armées de la coalition, encouragés par la prise récente du Quesnoy, qui venait de tomber entre les mains du prince Eugène, et par le siége de Landrecies, notre dernier boulevard, les plénipotentiaires de la Hollande, de l'Empereur, de la Savoie, de la Prusse, du Portugal, des princes allemands qui s'étaient fait représenter à Utrecht, ne désarmaient pas, malgré la sage et conciliante attitude des ambassadeurs britanniques. On sait que les propositions de Louis XIV, dont nous avons donné plus haut l'analyse ', avaient paru suffisantes au ministère anglais. Elles ne satisfaisaient ni la haine impitoyable de Heinsius, ni les rancunes du prince Eugène, ni les calculs ambitieux du comte de Zinzendorf. Ils désiraient tous trois ardemment la continuation de la guerre dans l'espoir que la reine Anne, malade depuis quelques mois, venant à disparaitre, l'avénement de l'Électeur du Hanovre, vers

des Pays-Bas et de l'Italie; qu'elles ne feront la paix que d'un commun accord, après avoir assuré la satisfaction de l'Empereur, ainsi que la sûreté des Hollandais, et sous la condition formelle que les royaumes d'Espagne et de France ne pourront jamais être réunis. Les conventions de 1703 confirmèrent, étendirent ces premiers engagements et fixèrent les contingents respectifs des alliés.

1 Satisfactions accordées aux Hollandais pour leur commerce et leurs barrières, sous la condition qu'ils concourussent au rétablissement de la paix ; entier rétablissement de l'électeur de Bavière, ou cession à ce prince des Pays-Bas à la condition que son fils épouserait la fille aînée de l'empereur Joseph; - Dunkerque provisoirement occupé par les Anglais, son port comblé, ses fortifications démolies; Lille et Tournay rendues à la France; le duc de Savoie reconnu roi de Lombardie et restituant Exilles ainsi que Fénestrelles; le margrave de Brandebourg reconnu roi de Prusse et le duc de Brunswick-Lunebourg Électeur de Hanovre ; Kehl rendu à l'Empire; démolition des forts de Strasbourg et des défenses élevées sur la rive gauche du Rhin, en face de Huningue; l'Empereur remis en possession de Brisach s'il consentait au rétablissement des Electeurs; Landau conservé par

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la France.

lequel les whigs tendaient impatiemment leurs bras, donnerait à la Ligue une force nouvelle et irrésistible qui achèverait d'écraser la France. Les représentants de Louis XIV et de la Reine à Utrecht n'étaient nullement pressés de conclure tant que la question de l'armistice restait pendante. C'était à Londres et à Versailles, ainsi que le soupçonnaient non sans raison leurs collègues, que se tenaient réellement et efficacement les conférences effectives. Maintenant que cette grave question était résolue, l'Autriche, la Hollande et l'Allemagne se montraient froides, hésitantes, leurs plénipotentiaires chicanaient, ergotaient sur tous les points à débattre; c'était à leur tour de traîner systématiquement la négociation en longueur et de ne faire aucune concession.

Aussi bien, Louis XIV, assuré de l'appui moral et des sympathies intéressées de l'Angleterre, ne pouvait-il, moins que jamais, souscrire à leurs exigences. L'Autriche voulait, pour elle, toute la monarchie espagnole sans aucune compensation quelconque en faveur de Philippe V et, pour l'Empire, la pleine restitution des villes et territoires que les traités de Westphalie, de Nimègue, de Ryswyk avaient cédés à la France'; —le Portugal, ami intéressé de l'Autriche, appuyait cette exorbitante prétention de toutes ses forces et se contentait de quelques bribes du territoire ibérique; - le souverain de la Prusse demandait, outre la reconnaissance formelle de sa nouvelle royauté, la HauteGueldre', les biens patrimoniaux de la maison d'Orange, Neufchâtel et le Valengin3, ainsi que les territoires de la

1 A savoir la haute et basse Alsace, Béfort, Brisach, Haguenau, la Franche-Comté, Strasbourg, Valenciennes, Bouchain, Condé, Cambrai, Aire, Saint-Omer, Ypres, Cassel, Maubeuge, Charlemont et d'autres places de moindre importance, dépendant des Flandres espagnoles.

2 C'est-à-dire la ville de Gueldre et les territoires environnants, qui confinent au pays de Clèves.

3 Frédéric-Guillaume les réclamait à titre d'héritier, par sa mère, Louise

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