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jour, plus menaçante pour la paix européenne, la France, l'Angleterre et la Hollande signent à la Haye, en 1698, un premier traité de partage qui donne au Dauphin de France le royaume de Naples, les ports de Toscane, le marquisat de Final, le Guipuscoa, et au Prince électoral tout le reste de la monarchie espagnole. Il y est dit que si l'Autriche et la Bavière refusent leur adhésion, elle sera exigée par les armes. Charles II proteste, contre ce démembrement anticipé de ses États, par un second testament qui en assure l'entière possession au prince de Bavière. Mais ce dernier meurt l'année suivante, et tout est remis en question. Alors intervient le second traité de partage. Il est conclu, les 13 et 25 mars 1700, à Londres et à la Haye, par les trois puissances signataires du premier. Il stipule qu'a décès du roi d'Espagne, le Dauphin aura les DeuxSiciles, les ports de Toscane, Final, le Guipuscoa et la Lorraine, dont le souverain dépossédé recevra, en échange, le duché de Milan, que tous les autres États de Charles II appartiendront à l'archiduc Charles, et que, ce dernier venant à mourir, l'Empereur pourra lui substituer un prince ou une princesse de sa maison, à l'exception, toutefois, de son fils aîné Joseph, roi des Romains, les trois alliés ne voulant pas que la formidable puissance de Charles-Quint puisse revivre.

En obtenant, de ses deux pires ennemis, la Hollande et l'Angleterre, par les négociations dont il a pris l'adroite initiative, la signature et la garantie du second traité de partage qui attribue au Dauphin de

France, sans exiger sa renonciation au trône de ses pères, la Lorraine, le royaume de Naples, la Toscane maritime, Final, le Guipuscoa; qui diminue, d'autant, l'héritage espagnol des princes d'Autriche, et qui stipule que cet héritage ne passera pas à l'héritier direct de l'Empereur; qui confirme ainsi les rêves ambitieux de Charles VIII, et favorise les vues profondes de Richelieu; qui recule et fortifie nos frontières nationales à l'est et au nord; qui agrandit, en un mot, le territoire français et embellit magnifiquement les perspectives politiques de la dynastie des Bourbons, sous les yeux mêmes de la maison d'Autriche humiliée et affaiblie, Louis XIV fait certainement un coup de maître, si l'exécution de ce traité est possible. Mais il y faut, de toute nécessité, le consentement de l'Empereur; or, Villars, dont la valeur militaire est estimée de Léopold et dont la finesse diplomatique s'est avantageusement révélée à Vienne et à Munich (1783-1789), a été envoyé pour l'obtenir, et la mission de Villars a échoué complétement.

C'est que la mort du Prince électoral, en supprimant un des trois concurrents, a simplifié, de beaucoup, la situation, et surexcité, au plus haut point, les espérances de l'Empereur. Mécontent, à juste titre, de la méfiance et de l'abandon de ses alliés, délivré, désormais, des scrupules que suscitaient, dans son entourage, les droits de son petit-fils, le prince de Bavière, et des obstacles qui en pouvaient naître, sûr maintenant des sympathies de tous les siens, disposant, à Madrid,

d'influences qu'il considère comme irrésistibles, il ne doute plus qu'elles n'obtiennent, pour l'Archiduc, son fils, la succession de toute la monarchie d'Espagne.

Alors s'engage autour de Charles II, entre les amis de la France et de l'Autriche, une lutte implacable de pressions et d'intrigues. Au milieu de ses perplexités douloureuses, le faible esprit du monarque mourant a

pu saisir une idée et s'y est fixé irrévocablement. Il ne veut pas le démembrement de la Monarchie, et la fierté espagnole l'encourage dans cette résolution vraiment nationale. A Madrid, il n'est plus question de partage. Il s'agit simplement de savoir qui l'emportera : de Léopold ou de Louis XIV, et si le successeur de Charles sera Autrichien ou Français. L'amour que le Roi porte à sa maison, l'indignation que lui inspirent les traités conclus à l'instigation de la diplomatie française, les hautes influences dont disposent, à la cour, la Reine mère et la Reine, toutes deux princesses autrichiennes, l'audacieuse habileté du comte d'Harrach, le représentant de l'Empereur, la crainte qu'éprouvent les Espagnols de voir leur souverain résider et régner à Paris, combattent en faveur de l'Autriche. La France a pour les affinités de race, de caractère, d'intérêts qui l'unissent à l'Espagne, l'antipathie de cette nation pour les Allemands, les sympathies intéressées du Saint-Siége et le confesseur du Roi. Celui-ci est l'instrument du cardinal Porto - Carrero, archevêque de Tolède, tout dévoué lui-même à Louis XIV. Il persuade à Charles, que ses irrésolutions torturent, de consulter le Pape. Le duc

elle

d'Uzeda' en est chargé; dès lors la solution n'est plus douteuse. Les vieilles passions qui ont allumé les haines des Guelfes et des Gibelins ne sont pas mortes. On sait, de longue date, à Rome que la main des rois est moins lourde, pour l'Italie, que celle des empereurs. Un homme habile, le cardinal Janson, représente, auprès du Saint-Siége, les intérêts de la France. Il saura le rappeler à propos. Effrayé de la sabilité périlleuse que fait peser sur lui la confiance absolue de Charles II, le vieil Innocent XII hésite un instant; mais il demande avis à son conseil, et se prononce en faveur d'un Fils de France.

respon

La décision du Pape a vaincu les cruelles anxiétés du Roi, triomphé de sa tendresse pour les princes de sa famille et de son bon zèle pour la gloire de sa maison. Pourquoi Charles II hésiterait-il? Il y va du salut de son âme. Quelques jours avant sa mort, le cœur brisé, les yeux mouillés de larmes, il signe cet acte célèbre dont les néfastes conséquences conduiront la Monarchie française au seuil même du tombeau et porteront, pendant douze années, des coups si terribles à la paix de l'Europe. En déposant la plume fatale, il murmure d'une voix défaillante : « O Dieu, ô Dieu éternel, c'est vous, vous seul qui donnez et qui ôtez les empires! » Lorsqu'elle exigeait, par le traité des Pyrénées, les renonciations d'Anne d'Autriche et de Marie-Thérèse, l'Espagne voulait éviter la réunion des deux couronnes;

1 Ambassadeur d'Espagne à Rome.

du moment qu'il est expressément stipulé que cette réunion ne peut avoir lieu, il n'y a plus aucun motif pour Charles II de méconnaître les droits de ses héritiers les plus proches. Les lois nationales lui font un devoir de les maintenir. En conséquence, « il appelle le duc d'Anjou à la succession de tous ses royaumes et domaines sans exception et ordonne, à tous ses sujets et vassaux, de lui en donner la possession sans délai après qu'il aura juré de faire observer les lois, priviléges et coutumes de ses peuples. Comme il importe à la paix de la chrétienté les deux monarchies restent séparées à jamais, la que couronne d'Espagne passera au duc de Berry, frère du duc d'Anjou, si celui-ci meurt ou monte sur le trône de France; en cas de mort ou d'avénement au trône du duc de Berry, elle appartiendra à l'archiduc Charles; si celui-ci disparaît à son tour ou devient empereur, elle sera transmise au duc de Savoie, les États d'Espagne ne devant être, en aucune manière, ni séparés, ni amoindris. » Telles furent les dispositions essentielles du testament de Charles II. Les populations espagnoles y applaudirent sans réserve. L'Italie s'en montra satisfaite. Il frappa d'étonnement le reste de l'Europe et y ranima, de toutes parts, les méfiances, les jalousies, les rancunes qui se taisaient depuis le traité de Ryswyk; il excita, au plus haut point, les colères et le ressentiment de l'Empereur qui vit, en un seul jour, tous ses plans ruinés, toutes ses espérances déçues.

Charles II était mort le 1er novembre 1700. Le 9 entrait, à Fontainebleau, le courrier que la junte espa

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