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tous les écrits qui racontent les grands événements du dix-huitième siècle. L'histoire des négociations qui ont abouti au traité de Rastadt et à la paix de Bade est beaucoup moins connue. Ce fut à Utrecht que s'effondra la coalition de 1701 et que se joua réellement l'acte capital du drame où avait failli sombrer notre fortune nationale. Il semble que l'on respire à l'aise, quand on vient d'en achever la lecture, et qu'on n'ait plus à s'occuper du sort de la France. Affranchie des plus redoutables périls d'une situation qui semblait désespérée, n'ayant plus à combattre que l'Empereur et l'Empire, elle ne peut manquer de vaincre. Assuré de son triomphe, on ne portera plus qu'une attention médiocre et distraite aux événements qui vont suivre. J'éprouvais, moi-même, cette impression, lorsque mes yeux sont tombés, aux archives des Affaires étrangères, sur les dernières pages des annales diplomatiques du grand règne. Elle s'est modifiée à mesure que j'étudiais ces pages de plus près. Les événements qu'elles racontent, les circonstances et les incidents qu'elles mettent en relief, les derniers épisodes des longues guerres de la succession; les mésaventures de la maison d'Autriche qui a eu la témérité de se mesurer toute seule contre nous, les déconvenues du prince Eugène, le plus audacieux, comme le plus acharné de nos ennemis, sa réconciliation politique avec le maréchal de Villars sur le perron du château de Rastadt, les efforts sincères auxquels se livrent ces deux vaillants hommes, qui viennent de se disputer la victoire sur des champs de bataille où se déci

dait le sort de l'Europe, pour donner à leurs pays une paix avantageuse et honorable; les habiletés profondes du prince de Savoie, luttant contre les finesses un peu gasconnes du maréchal de France; la chute mémorable de la princesse des Ursins; le zèle opiniâtre que déploie Philippe V, qui lui doit tant et qui peut-être éprouve des remords, pour lui obtenir une souveraineté indépendante, et le péril que ce zèle fait courir au succès des conférences; les incartades diplomatiques de Villars, ses visées ambitieuses et ses déceptions amères; les sages instructions que le bouillant ambassadeur reçoit de son souverain; les conseils froids et un peu sévères que lui donne Torcy, tout en ménageant son irascibilité et son influence; la soumission de Barcelone après une résistance véritablement héroïque; enfin la conclusion de la paix de Bade qui, confirmant, pour ainsi dire, de tous points le traité de Rastadt, règle définitivement, en Italie, dans les Pays-Bas, sur le Rhin, la querelle du Roi et de l'Empereur, de la France et de l'Empire, offrent encore, même après les grands faits qui se sont passés à Utrecht, le plus sérieux intérêt.

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J'espère qu'il me sera permis de l'invoquer pour justifier la publication de cette étude. J'ai cru qu'il pourrait être plus vif si je présentais au lecteur quelques fragments des correspondances officielles qu'il m'a été donné de parcourir. Il y trouvera le témoignage irrécusable du souci patriotique avec lequel notre diplomatie traitait, à cette époque, les affaires de la France. Les grandes leçons du marquis de Lionne n'étaient pas encore

perdues. Le Roi avait voulu que son gouvernement y restât fidèle. Ce sont elles qui inspirent les habiles dépéches que rédige le prudent Torcy, où nos agents puisent leurs instructions et qui leur tracent leurs devoirs.

Les négociations du traité de Rastadt ne sauraient être bien comprises, si le lecteur n'avait présents à la mémoire les faits importants dont elles furent la conséquence naturelle, et qui signalèrent les dernières années du grand règne. Un exposé préalable de ces faits est donc nécessaire.

Cet exposé, où le bref récit des événements militaires et politiques précédera l'analyse des clauses principales de la paix d'Utrecht, fera suite à l'Introduction qu'on vient de lire. On y verra s'accomplir, une fois de plus, les lois fatales qui suscitent et qui dénouent les coalitions des peuples.

CONTRE LA FRANCE

LIVRE PREMIER

RÉSUMÉ DES ÉVÉNEMENTS MILITAIRES

CHAPITRE PREMIER

SITUATION MILITAIRE DE LA FRANCE.

La guerre commence en 1700 et prend fin seulement en 1712. Pendant cette longue et sombre période, la France n'obtiendra pas un jour de repos. Ses armées auront à combattre, en Italie, en Allemagne, en Espagne, sur le sol national, dans les Pays-Bas, des ennemis pourvus de ressources presque inépuisables, animés, contre elle, de sentiments passionnés, forts par l'indissoluble union de leurs intérêts et de leurs haines, commandés par des généraux de génie. L'Angleterre concourra surtout au progrès de la cause commune par son or et ses vaisseaux, par l'ardeur de ses convictions politiques et religieuses, par la puissante épée de Marlborough; la Hollande par la vaillance de ses marins, les âpres convoitises de ses marchands, les impitoyables rancunes de ses hommes d'État, les froides et pro

fondes combinaisons de son Grand Pensionnaire; l'Allemagne par ses nombreux soldats, par l'expérience des chefs qui les dirigent, par les rancunes belliqueuses et l'infatigable ambition de l'Empereur, par les talents admirables du prince Eugène, le plus grand homme de cette époque; la Savoie par ses astuces et ses perfidies.

On ne peut dire, sans doute, que la France entrait, dans cette formidable lutte, impuissante et désarmée. Nous savons que Louis XIV la prévoyait et qu'il avait sagement conclu la paix de Ryswick pour s'y préparer. Mais le temps et les moyens lui avaient manqué et, d'ailleurs, les hommes lui faisaient défaut. Sans être épuisées, les forces de son royaume étaient grandement réduites. Pour ne parler que de la situation militaire, il faut reconnaitre que les aspects s'en étaient fortement assombris. Ce n'était pas le bon vouloir de l'honnête et timide Chamillard qui pouvait remplacer, sans les plus sérieux inconvénients, l'ardente activité de Louvois. Les saines traditions vivaient toujours; Chamlay', qui avait été le second du grand ministre, faisait encore des plans, donnait encore des conseils; la pénétrante intelligence qui les contrôlait et les complétait, la volonté impérieuse qui les faisait exécuter sans réplique, avaient disparu. Vainement Louis XIV tentait-il d'éclairer, de ses propres lumières, l'intelligence de son nouveau conseiller. Depuis longtemps déjà, Louvois, afin de s'assurer la direction suprême des armées, avait su « le picquer », au profit de son ambition personnelle, « de « jalousie, de gloire et d'autorité. Il lui avait persuadé « aisément de commander lui-même, de son cabinet, toutes << ses armées, de ne se rapporter point, du plan des cam« pagnes, à ceux qui les devaient commander, mais de leur

1 Le marquis de Chamlay, maréchal des logis des armées du Roi. Voir

Annexe 1.

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