Page images
PDF
EPUB

VI

TRAITÉ DE PAIX ET D'AMITIÉ ENTRE LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE ET L'EMPEREUR DU MAROC, CONCLU ET SIGNÉ A MECCANEZ (1) LE 16 SEPTEMBRE 1836 (2).

[ocr errors]

Comme le traité sarde de 1825, comme le traité autrichien de 1830, le traité américain de 1836 est avant tout un traité de navigation et de commerce. En dehors des questions maritimes et des prévisions relatives à une guerre entre les deux puissances, les principaux points visés sont les suivants :

--

Liberté et égalité commerciales avec application du traitement de la nation la plus favorisée (art. 14 et 17). Répression de la contrebande (art. 18). - Droits, prérogatives et fonctions des consuls (art. 22 et 23). Juridiction consulaire : en matière civile, le consul ne peut juger que les litiges entre citoyens ou protégés américains (art. 20); de même, en matière pénale, il résulte a contrario de l'article 21, qu'il n'est compétent que lorsque l'inculpé et la victime sont tous les deux de nationalité américaine. Mais il y a lieu de faire jouer la clause de la nation la plus favorisée inscrite dans l'article 23 (V. Introduction, v° Consulats et juridictions consulaires).

[blocks in formation]

Ceci est le texte du traité de paix conclu avec les Américains et inscrit sur ce livre, auquel nous avons apposé notre sceau, afin qu'avec l'aide de Dieu, il demeure perpétuel.

Fait à Meccanez, la ville des Olives, le 3 du mois Jamad el lahhar de l'an 1252 de l'Hégire (16 septembre 1836).

ARTICLE PREMIER. Nous déclarons que les parties contractantes ont convenu que ce traité, en 25 articles, sera inséré dans ce livre et remis à James R. Leib, représentant des États-Unis, et actuellement leur consul-résident à Tanger, qui l'a approuvé et qui est dûment autorisé à traiter avec nous sur toutes les matières y contenues.

ᎪᎡᎢ. 2. Si l'une des parties contractantes est en guerre avec quelque autre nation, l'autre partie ne pourra prendre parti pour l'ennemi ni combattre sous son pavillon.

[blocks in formation]

(1) Méquinez ou Meknès.

l'autre puissance, elles passeront librement et sans être inquiétées, sans pouvoir être prises ni retenues. ART. 4. Un signal, ou passe, sera remis à tout navire appartenant à l'une des puissances contractantes, pour se faire reconnaître en cas de rencontre en mer. Si le capitaine d'un vaisseau de guerre d'une de ces puissances escorte d'autres navires, sa déclaration suffira à exempter ces navires de la visite.

ART. 5. Si l'une des puissances est en guerre et [qu'un de ses vaisseaux] rencontre en mer un vaisseau appartenant à l'autre puissance, il est convenu qu'en cas de visite, celle-ci sera faite par l'envoi d'une embarcation portant deux ou trois hommes seulement; si un coup de canon venait à être tiré sans raison, et qu'il en résultat quelque dommage, l'agresseur devra réparation du préjudice.

ART. 6.

Au cas où un Maure amènerait des

citoyens des États-Unis, ou des biens leur appartenant, devant Sa Majesté (le Sultan), ceux-ci seraient immédiatement remis en liberté et les biens restitués. De même, au cas où un Maure, non sujet de notre Empire, s'emparerait de citoyens d'Amérique ou de biens leur appartenant et les amènerait dans l'un des ports de Sa Majesté, ils seraient immédiatement relâchés et considérés comme étant sous la protection de Sa Majesté. ART. 7.- Si un vaisseau d'une des puissances contractantes relâche dans un port de l'autre puissance,

(2) Ratifié par le président Jackson à Washington, le 13 janvier 1837. On trouvera le texte anglais de ce traité dans le Nouveau recueil des traités des Puissances et États de l'Europe, depuis 1808 jusqu'à présent (1838), par G.-F. de Martens (Gættingue, librairie de Dieterich, 1838), t. XIII, p. 685.

et qu'il ait besoin de vivres ou autres provisions, celles-ci seront fournies sans qu'il y soit mis obstacle et sans qu'il soit inquiété.

ART. 8. Si un vaisseau des États-Unis, ayant subi des avaries en mer, relâche dans un de nos ports pour se réparer, il aura toute liberté de décharger et de recharger sa cargaison, sans avoir à payer aucun droit.

Ант. 9. Si un vaisseau des États-Unis est jeté sur quelque point de nos côtes, il demeurera à la disposition de ses propriétaires, et personne ne cherchera à en approcher sans leur agrément, ledit vaisseau étant considéré comme placé spécialement sous notre protection.

Si un vaisseau des États-Unis est contraint par le mauvais temps ou par toute autre cause, à relâcher dans un de nos ports, il ne sera point tenu de débarquer son chargement, mais restera au calme jusqu'à ce que le capitaine juge opportun de poursuivre sa

route.

ART. 10. Si un vaisseau de l'une des puissances contractantes vient à être engagé avec un vaisseau d'une autre nation chrétienne, à portée de canon des forts de l'autre puissance (1), ce vaisseau sera défendu et protégé, dans la mesure du possible, jusqu'à ce qu'il soit en sûreté.

Si un vaisseau américain est jeté à la côte, sur les rivages de Wadnoon (2) ou sur les rivages avoisinants, l'équipage de ce vaisseau sera mis à l'abri et assisté jusqu'à ce que, Dieu aidant, il puisse être renvoyé dans son pays. ART. 11. Si nous sommes en guerre avec une puissance chrétienne et qu'un de nos vaisseaux mette à la voile d'un des ports des États-Unis, aucun vaisseau ne pourra le poursuivre dans les vingt-quatre heures du départ.

[ocr errors]

La même règle sera observée vis-à-vis des vaisseaux américains mettant à la voile d'un de nos ports, que l'ennemi soit Maure ou chrétien.

ART. 12. — Si un vaisseau de guerre des États-Unis relâche dans un de nos ports, il ne sera visité sous quelque prétexte que ce soit, même s'il a des esclaves fugitifs à son bord, et le gouverneur ou le commandant de la place ne pourra sous aucun prétexte exiger que ceux-ci soient débarqués, ni réclamer aucune indemnité de ce chef.

ART. 13. Si un navire de l'une des puissances contractantes relâche dans un port de l'autre puissance et qu'il salue, le fort répondra par le même nombre de coups de canon, ni plus, ni moins.

ART. 14. Le commerce avec les États-Unis sera sur le même pied que le commerce avec l'Espagne, ou que le commerce avec la nation actuellement la plus favorisée. Les citoyens de ce pays seront respectés et estimés; ils auront toute liberté d'aller et

(1) Entendez: « de l'autre puissance contractante..

de venir dans notre pays et dans nos ports sans aucun obstacle.

ART. 15. Les commerçants des deux pays emploieront à leur guise des interprètes et autres personnes pour les aider dans leurs affaires. Aucun capitaine ne sera tenu de transporter sa cargaison à bord d'un autre navire; il ne sera pas retenu dans un port au delà de sa convenance; toute personne employée au chargement, au déchargement ou à tout autre travail, sera payée au tarif courant, ni plus ni moins.

ART. 16. En cas de guerre entre les deux puissances, les prisonniers ne seront point esclaves, mais ils seront échangés tête pour tête, capitaine (pour capitaine), officier pour officier, particulier pour particulier, et, s'il y avait carence d'un côté, elle serait compensée par le paiement de mille dollars mexicains par tête. Il est convenu que cet échange sera effectué dans les douze mois de la capture par un négociant ou par toute autre personne agréée par l'une des puissances.

[ocr errors][merged small][merged small]

ART. 18. Toutes les marchandises seront pesées et contrôlées avant d'être embarquées; après quoi, et pour éviter tout retard aux navires, aucune visite n'aura plus lieu, à moins qu'il ne soit établi au préalable que des marchandises de contrebande ont été mises à bord. En ce cas, les contrebandiers seront punis suivant les us et coutumes du pays, sans qu'aucune autre personne puisse être molestée, ni que le navire ou la cargaison aient à subir aucune sanction ni préjudice.

ART. 19.

Aucun vaisseau ne sera retenu dans un port sous quelque prétexte que ce soit, ni obligé de prendre à son bord aucune marchandise contre le gré du capitaine. Celui-ci aura toute liberté pour traiter du fret des marchandises qu'il embarque.

ART. 20. Tout litige entre citoyens ou protégés des États-Unis sera jugé par le consul. Si celui-ci requiert l'assistance de notre gouvernement pour faire exécuter sa sentence, cette assistance lui sera immédiatement fournie.

ART. 21. - Si un citoyen des États-Unis tue ou blesse un Maure, ou si, à l'inverse, un Maure tue ou blesse un citoyen des États-Unis, l'on appliquera la loi locale, et justice sera faite en présence du consul. Si le coupable s'évade, le consul ne saurait être responsable pour lui en quelque façon que ce soit. ART. 22. Si un citoyen américain décède dans notre pays, sans laisser de testament, le consul prendra possession de ses biens. Là où il n'y aura pas de

-

(2) Oued-Noun sur les cartes françaises, sur la côte de l'Atlantique, dans le sud du Maroc, près d'Ifni.

consul, ceux-ci seront remis entre les mains d'une personne de confiance, jusqu'à ce qu'un ayant droit se révèle. Si l'héritier du défunt est sur les lieux, il entrera en possession sans obstacle. S'il y a un testament, sa valeur dépendra des biens laissés.

ART. 23. Les consuls des États-Unis d'Amérique résideront dans les ports de nos États à leur convenance; ils seront respectés et jouiront des mêmes privilèges que les consuls des autres nations. Si un citoyen des États-Unis contracte une dette ou une obligation, le consul n'en sera pas responsable, à moins qu'il n'en ait garanti par écrit le paiement ou l'exécution, faute de quoi il ne peut être recherché en aucune façon.

[blocks in formation]

| jusqu'à ce qu'une démarche intervienne en vue d'un règlement amiable. Tant que cette démarche n'aura pas échoué, il ne sera pas fait appel aux armes. Si une guerre éclatait entre les deux puissances, il sera accordé à leurs sujets un délai de neuf mois pour se défaire de leurs biens et pour se retirer avec leur fortune.

Il est en outre déclaré que toute faveur, en matière de commerce ou autre, qui viendrait à être accordée à une autre puissance chrétienne s'appliquera également aux citoyens des États-Unis.

ART. 25. Le présent traité sera en vigueur, Dieu aidant, pendant cinquante ans; à l'expiration de ce délai, il continuera d'obliger les deux puissances jusqu'à ce que l'une d'elles ait notifié son intention de s'en départir par un préavis de douze mois, auquel cas les effets en cesseront à l'expiration des douze mois.

VII

CONVENTION CONCLUE A TANGER LE 10 SEPTEMBRE 1844 POUR RÉGLER ET TERMINER
LES DIFFÉRENDS SURVENUS ENTRE LA FRANCE ET LE MAROC

Rappelons les conditions dans lesquelles est intervenu cet accord.

Après la prise de sa smala par le duc d'Aumale, le 16 mai 1844, l'émir Abd-el-Kader, en qui s'incarnaît la résistance algérienne, s'était réfugié en territoire marocain. Le Sultan Abd-er-Rhaman, qui jusqu'alors avait observé la neutralité, changea soudain d'attitude et souleva des difficultés à propos de la mise en défense par nos troupes, du poste de Lalla-Marnia, situé en territoire algérien. Le 30 mai 1844, les forces du général de Lamoricière étaient attaquées à Sidi-Aziz par un corps de cavalerie marocaine, vivement repoussé. Une nouvelle agression, aux environs de Lalla-Marnia, déterminait le bombardement de Tanger et de Mogador (6-15 août) par les vaisseaux du prince de Joinville. Sur terre, le maréchal Bugeaud, débarqué le 5 août, après s'être emparé d'Oudjda, battait les troupes marocaines sur l'Isly (14 août). Les négociations qui suivirent cette victoire aboutirent au traité du 10 septembre, qui ne donnait à la France d'autre satisfaction qu'une promesse pour l'avenir : l'attitude de l'Angleterre et la politique de ménagement du ministère Guizot à l'égard de cette puissance expliquent, si elles ne la justifient, la faiblesse de cet accord.

La clause de l'article 7, qui attribue à la France le bénéfice « en toute chose et en toute occasion » du traitement de la nation la plus favorisée, ne fait que confirmer les stipulations contenues sur ce point dans le traité de 1767 (art. 5) et dans l'article additionnel du 28 mai 1825.

S. M. l'Empereur des Français, d'une part, et S. M. l'Empereur du Maroc, Roi de Fez et de Suz, de l'autre part, désirant régler et terminer les différends survenus entre la France et le Maroc et rétablir, conformément aux anciens traités, les rapports de bonne entente qui ont été un instant suspendus entre les deux Empires, ont nommé et désigné pour leurs plénipotentiaires :

S. M. l'Empereur des Français, le sieur Antoine-MarieDaniel Doré de Nion, officier de la Légion d'honneur, chevalier de l'ordre royal d'Isabelle la Catholique, chevalier de première classe de l'ordre Grand-ducal de Louis de Hesse, son consul général et chargé d'affaires près S. M. l'Empereur du Maroc, et le sieur Louis-Charles-Élie Decazes, comte Decazes, duc de Glücksberg, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre royal de Danebrog et de l'ordre royal de Charles III d'Espagne, chambellan de S. M. Danoise, chargé d'affaires de S. M. l'Empereur des Français près S. M. l'Empereur du Maroc;

Et S. M. l'Empereur du Maroc, Roi de Fez et de Suz, l'agent de la Cour très élevée par Dieu, Sid-Bon-SelamBen-Ali, lesquels ont arrêté les stipulations suivantes :

ARTICLE PREMIER. Les troupes marocaines réunies extraordinairement sur la frontière des deux Empires, ou dans le voisinage de ladite frontière, seront licen

(1) Oudjda.

ciées. S. M. l'Empereur du Maroc s'engage à empêcher désormais tout rassemblement de cette nature. Il restera seulement, sous le commandement du caïd de Oueschda (1), un corps dont la force ne pourra excéder habituellement deux mille (2.000) hommes. Ce nombre pourra toutefois être augmenté si des circonstances extraordinaires et reconnues telles par les deux gouvernements le rendent nécessaire dans l'intérêt

commun.

ART. 2. Un châtiment exemplaire sera infligé aux Chefs marocains qui ont dirigé ou toléré les actes d'agression commis en temps de paix sur le territoire de l'Algérie contre les troupes de Sa Majesté l'Empereur des Français.

Le Gouvernement marocain fera connaître au Gouvernement français les mesures qui auront été prises pour l'exécution de la présente clause.

ART. 3. S. M. l'Empereur du Maroc s'engage de nouveau de la manière la plus formelle et la plus absolue à ne donner, ni permettre qu'il soit donné, dans ses États, ni assistance ni secours en argent, munitions ou objets quelconques de guerre à aucun sujet rebelle ou à aucun ennemi de la France.

ART. 4. Hadj-Abd-el-Kader est mis hors la loi

dans toute l'étendue de l'empire du Maroc, aussi bien qu'en Algérie. Il sera, en conséquence, poursuivi à main armée par les Français sur le territoire de l'Algérie, et par les Marocains sur leur territoire, jusqu'à ce qu'il en soit expulsé ou qu'il soit tombé au pouvoir de l'une ou l'autre nation. Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes françaises, le gouvernement de S. M. l'Empereur des Français s'engage à le traiter avec égard et générosité (1). Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes marocaines, S. M. l'Empereur du Maroc s'engage à l'interner dans une des villes du littoral ouest de l'Empire, jusqu'à ce que les deux gouvernements aient adopté de concert les mesures indispensables pour qu'Abd-el-Kader ne puisse, en aucun cas, reprendre les armes et troubler de nouveau la tranquillité de l'Algérie et du Maroc.

ART. 5. La délimitation des frontières entre les possessions de S. M. l'Empereur des Français et celles de S. M. l'Empereur du Maroc reste fixée et convenue conformément à l'état de choses reconnu par le Gouvernement marocain à l'époque de la domination des Turcs en Algérie. L'exécution complète et régulière de la présente clause fera l'objet d'une convention spéciale négociée et conclue sur les lieux entre les plénipotentiaires désignés à cet effet par S. M. l'Empereur des Français et un délégué du Gouvernement marocain. S. M. l'Empereur du Maroc s'engage à prendre sans délai, dans ce but, les mesures convenables et à en informer le Gouvernement français.

ART. 6. Aussitôt après la signature de la présente convention, les hostilités cesseront de part et d'autre.

Dès que les stipulations comprises dans les articles 1er, 2, 4 et 5 auront été exécutées à la satisfaction du Gouvernement français, les troupes françaises évacueront l'île de Mogador ainsi que la ville de Oueschda, et tous les prisonniers faits de part et d'autre seront remis immédiatement à la disposition des deux nations respectives.

ART. 7. Les deux Hautes Parties contractantes s'engagent à procéder de bon accord, et le plus promptement possible à la conclusion d'un nouveau traité qui, basé sur les traités actuellement en vigueur, aura pour but de les consolider et de les compléter, dans l'intérêt des relations politiques et commerciales des deux Empires. En attendant, les anciens traités seront scrupuleusement respectés et observés dans toutes leurs clauses et la France jouira, en toute chose et en toute occasion, du traitement de la nation la plus favorisée. ART. 8. La présente convention sera ratifiée et les ratifications en seront échangées dans un délai de deux mois ou plus tôt si faire se peut.

[ocr errors]

Cejourd'hui, le 18 septembre de l'an de grâce 1844 (correspondant au 25 du mois de Chaaban de l'an de l'Hégyre 1260), les plénipotentiaires ci-dessus désignés de leurs Majestés les Empereurs des Français et du Maroc ont signé la présente convention et y ont apposé leurs sceaux respectifs.

Ant. M. O. DORÉ DE NION, DECAZES, duc DE GLUCKSBERG.

Place du cachet du plénipotentiaire marocain.

(1) Cette clause a été observée par le gouvernement français qui, après la soumission d'Abd-el-Kader, l'interna à Amboise, puis l'autorisa à résider en Syrie, avec une pension annuelle de 100.000 francs.

« PreviousContinue »