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< ou de s'approcher d'une fenêtre. Rien de plus clair, « mais rien de plus nécessaire aussi (1).

Les manuscrits imprimés, tirés à un grand nombre d'exemplaires, furent portés vers quatre ou cinq heures du matin à la Préfecture de police.

Pendant ce temps, à l'Élysée, Louis-Napoléon écrivait des lettres pour congédier ceux de ses ministres qui n'étaient pas initiés au projet. Il signa également un décret qui nommait M. de Morny ministre de l'intérieur, en remplacement de M. de Thorigny.

On raconte que vers ce moment, une certaine hésitation se serait produite chez l'une des personnes engagées dans l'entreprise, et que l'intervention énergique du commandant Fleury n'aurait pas été inutile pour faire cesser ce commencement de défaillance.

C'est probablement vers deux heures et demie que fut signé l'ordre destiné au général Magnan. Cet ordre lui parvint, selon M. Granier de Cassagnac, vers trois heures du matin. A quatre heures, le ministre de la guerre, de Saint-Arnaud, et le préfet de police, de Maupas, étaient à leurs postes respectifs. M. de Morny se disposait à aller congédier M. de Thorigny, lequel ne se doutait de rien

M. Maupas reçut bientôt les imprimés. Les afficheurs habituels de la Préfecture de police attendaient, ignorant bien entendu ce qu'ils devaient afficher; les pièces leur furent distribuées, et ils se répandirent dans toutes les directions, escortés par des sergents de ville. Il était alors six heures et demie, environ.

Il s'était déjà passé dans l'intervalle des incidents d'une grande importance. On sait que l'un des points essentiels du plan du Coup d'État était l'arrestation des représentants et des citoyens dont on redoutait l'influence. C'était la part de la tâche commune qui revenait spécialement à M. de Maupas. Le nombre des personnes à arrêter ainsi était de soixante-dix-huit, dont seize représentants du peuple, inviolables, aux termes de la Constitution.

« Les unes et les autres, dit M. Granier de Cassagnac dans « son Récit complet et authentique, etc., page 5, étaient sur« veillées et comme gardées à vue par des agents invisibles, « et pas un de ces agents ne soupçonnait le but de sa mission << réelle, ayant tous reçu des missions diverses et imaginaires. << Les huit cents sergents de ville et les brigades de sûreté << avaient été consignées à la Préfecture de police, le 1er dé«< cembre, à onze heures du soir, sous le prétexte de présence à << Paris des réfugiés de Londres. A trois heures et demie du << matin, le 2, les officiers de paix et les quarante commissaires << de police étaient convoqués à domicile. A quatre heures et << demie, tout le monde était arrivé et placé, par petits groupes, « dans des pièces séparées, afin d'éviter les questions.

« A cinq heures, tous les commissaires descendirent, un à << un, dans le cabinet du préfet, et reçurent de sa bouche la «< confidence pleine et entière de la vérité, avec les indications, << les instruments et les ordres nécessaires. Les hommes avaient « été appropriés avec un soin spécial au genre d'opération qui «<leur était confié, et tous partirent, pleins de zèle et d'ardeur, « résolus d'accomplir leur devoir à tout prix. Aucun n'a failli à << sa promesse. »

Une des choses qui surprendront certainement le plus la postérité dans les événements que nous racontons, sera, sans doute, l'unanimité des quarante com

missaires de police à s'associer aux projets dont M. de Maupas leur fit ainsi confidence. Il s'agissait de se rendre complices d'un acte que l'article 68 de la Constitution qualifiait de crime de haute trahison; il s'agissait d'arrêter des représentants inviolables, acte que la Constitution qualifiait également de crime. Aucun de ces magistrats n'ignorait la loi. Cependant pas un seul n'hésita. Le préfet de police leur remit des mandats d'arrêt, préparés à l'avance, tous uniformément motivés sur l'accusation « de complot contre la sûreté de l'État, et de détention d'armes de guerre. »

M. Mayer, qui professe pour M. de Maupas une admiration toute particulière, dit à ce sujet :

<< Il lui fallut surtout cette chaleur de cœur, cet enthou<<siasme de dévouement dont la jeunesse ne fait qu'exciter « les élans. Quelle responsabilité de signer de son nom, sans << hésitation aucune, et en temps de paix, l'ordre d'arrêter des « généraux et des représentants que l'on considérait comme les « gloires militaires et parlementaires de la France (1)! »

Parmi les représentants à arrêter se trouvaient quatre généraux, des plus illustres que la France possédât, MM. Bedeau, Cavaignac, Changarnier, Lamoricière; deux autres officiers supérieurs d'une haute distinction, le général Leflô et le lieutenant-colonel Charras; une des gloires de la tribune française, M. Thiers. Les autres représentants désignés par les mandats d'arrêt, la plupart républicains, tous hommes de cœur et de fortes convictions, étaient MM. Baze, questeur de l'Assemblée, Beaune, capitaine Cholat,

(1 Histoire du 2 décembre, par P. Mayer, page 55.

Greppo, Lagrange, Miot, Nadaud, Roger (du Nord) et le lieutenant Valentin.

Mais avant de raconter les détails de ces arrestations, nous devons dire comment s'accomplissait l'une des mesures les plus épineuses du plan du Coup d'État, l'occupation du palais de l'Assemblée nationale. La garde de l'Assemblée se composait d'un bataillon d'infanterie de ligne, qu'on changeait tous les jours, et d'une batterie d'artillerie. Ces troupes étaient casernées dans les dépendances du palais. Elles obéissaient au lieutenant-colonel Niol, commandant militaire de l'Assemblée, lequel ne dépendait que de l'Assemblée nationale elle-même. Le chef du bataillon de garde et le capitaine commandant de la batterie ne prenaient leur consigne que du lieutenant-colonel Niol. On ne songea pas à gagner le commandant militaire de l'Assemblée; son caractère bien connu ne permettait pas qu'on lui proposât un acte qu'il eût considéré comme une trahison.

L'occupation du palais était cependant essentielle pour la réussite du plan du Coup d'État.

On savait bien à quoi s'en tenir sur la fermeté du Président de l'Assemblée nationale, Dupin, et l'on s'en souciait peu; mais on redoutait l'énergie des deux questeurs, MM. Baze et le général Leflô, qui étaient, comme M. Dupin, logés dans le palais. Si l'on ne s'emparait d'eux par surprise, ainsi que du lieutenantcolonel Niol, ils pouvaient fermer les grilles du palais, s'y fortifier; les troupes de garde maintenues par ces deux officiers supérieurs pouvaient résister, et le succès du Coup d'Etat était pius que compromis.

Un colonel d'infanterie, initié au projet du Coup d'État, M. Espinasse, commandant alors le 42o de ligne, se chargea d'exécuter la surprise du palais. Un bataillon de son régiment avait été désigné pour prendre la garde de l'Assemblée, le 1er décembre. Le commandant de ce bataillon ne fut informé de rien; il prit comme à l'ordinaire sa consigne du lieutenant-colonel Niol. Vers minuit, le général Leflô rentra dans ses appartements, après s'être assuré, ainsi qu'il le faisait depuis quelque temps, que les postes et les factionnaires étaient placés conformément aux prescriptions habituelles. A deux heures du matin, le chef du bataillon de garde, en faisant sa ronde, remarqua quelques allées et venues. Le capitaine adjudant-major avait été mandé hors du palais par le colonel Espinasse, sans raison plausible. Le chef de bataillon inquiet chercha à pénétrer jusqu'au commandant militaire; il ne put trouver son logement. De nouveaux indices l'ayant encore alarmé, vers cinq heures et demie du matin, il se remit à la recherche du lieutenantcolonel Niol, le trouva enfin, et lui. fit part de ses inquiétudes. Le commandant militaire se leva à la hâte. Il était trop tard. Le capitaine adjudant-major avait ouvert la porte de la rue de l'Université au colonel Espinasse, qui avait déjà pénétré dans le palais avec les deux autres bataillons de son régiment.

Le chef de bataillon de garde, sortant de chez M. Niol, aperçoit son colonel, à la tête des soldats, dans l'allée qui conduit à l'hôtel de la présidence. Il court vers lui, et s'écrie « Mon colonel, que ve

<< nez-vous faire ici? Prendre le commandement et

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