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« Aux termes de la loi, l'armée ne délibère point; aux termes « des règlements militaires, elle doit s'abstenir de toute dé<< monstration et ne proférer aucun cri sous les armes.

« Le général en chef rappelle ces dispositions aux troupes << placées sous son commandement. »

Le général Neumayer avait été remplacé dans son commandement dès le 31 octobre.

Pendant que se passaient ces événements, une association bonapartiste, fameuse en ce temps-là, la Société du Dix Décembre, remplissait Paris du bruit de ses exploits. Les membres de la société ne se bornaient pas à manifester leur enthousiasme pour Louis-Napoléon par des cris inconstitutionnels; il leur était arrivé, maintes fois, de se ruer, à coups de gourdins, sur les citoyens qui se permettaient, soit de désapprouver leurs manifestations, soit simplement de ne pas y prendre part.

La Commission permanente de l'Assemblée eut le tort de prendre trop au sérieux la Société du Dix Décembre. Une révélation absurde, faite par un agent de police, fit croire, un instant, à un complot, formé par quelques individus de cette société, pour assassiner le général Changarnier et le Président de l'Assemblée, M. Dupin. La fable était ridicule. La preuve en fut bientôt faite, et le public en rit aux dépens de la Commission permanente. Ceci se passait peu de jours avant la reprise des travaux de l'Assemblée nationale

La session allait se rouvrir au milieu d'une situation devenue plus que délicate. Les incidents que nous venons de raconter avaient répandu dans les esprits la conviction qu'un Coup d'État du Président menaçait

l'Assemblée nationale et l'existence même de la République.

D'autre part, les visites faites par un grand nombre de membres de la majorité royaliste aux prétendants des deux branches de la famille de Bourbon faisaient redouter aux républicains quelque complot parlementaire, tendant à une restauration orléaniste ou légitimiste.

Le Message présidentiel du 12 novembre 1850, qui était attendu avec une extrême curiosité, modifia subitement la situation.

Jamais, depuis le solennel serment du 20 décembre 1848, Louis-Napoléon n'avait affirmé avec plus d'énergie, dans un langage plus empreint d'honnêteté et de franchise loyale, son immuable résolution de respecter la Constitution et de demeurer fidèle à l'engagement d'honneur qu'il avait pris.

Le lecteur en jugera par les lignes suivantes :

« J'ai souvent déclaré, disait Louis-Napoléon, lorsque l'occasion s'est offerte d'exprimer publiquement ma pensée, que je considérerais comme de grands coupables ceux qui, par ambition personnelle, compromettraient le peu de stabilité que nous garantît la Constitution. C'est ma conviction profonde; elle n'a jamais été ébranlée. Les ennemis seuls de la tranquillité publique ont pu dénaturer les plus simples démarches qui naissent de ma position.....

« La règle invariable de ma vie politique sera, dans toutes les circonstances, de faire mon devoir, rien que mon devoir.

« Il est aujourd'hui permis à tout le monde, excepté à moi, de vouloir hâter la révision de notre loi fondamentale. Si la Constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays. Moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées.

« ..... L'incertitude de l'avenir fait naître, je le sais, bien des appréhensions en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la patrie le sacrifice de ces espérances, et ne nous occupons que de ses intérêts. Si, dans cette session, vous votez la révision de la Constitution, une Constituante viendra refaire nos lois fondamentales et régler le sort du pouvoir exécutif. Si vous ne la votez pas, le peuple, en 1852, manifestera solennellement l'expression de sa volonté nouvelle. Mais, quelles que puissent être les solutions de l'ave?? afin que ce ne soit

jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d'une grande nation.....

« Ce qui me préoccupe surtout, soyez-en persuadés, ce n'est pas de savoir qui gouvernera la France en 1852, c'est d'employer le temps dont je dispose, de manière que la transition, quelle qu'elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble.

« ..... Je vous ai loyalement ouvert mon cœur. Vous répondrez à ma franchise par votre confiance, à mes bonnes intentions par votre concours, et Dieu fera le reste. »

Ces nobles paroles eurent un retentissement immense. Elles furent accueillies avec une confiance dont le langage des journaux du temps fait encore foi. Qui eût osé douter de la sincérité de sentiments exprimés en de pareils termes?

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Les incidents survenus pendant la prorogation furent presque oubliés. Une sorte de transaction amiable, la retraite du ministre de la guerre comme compensation du déplacement du général Neumayer, ← parut avoir mis fin à l'affaire de la revue de Satory. Jusqu'au mois de janvier 1851, la bonne harmonie sembla tout à fait rétablie entre le Président de la République et les chefs de la majorité de l'Assemblée.

Le 2 janvier, un journal napoléonien, la Patrie, publia tout à coup des extraits d'instructions, données

aux chefs de corps de l'armée de Paris, par le commandant en chef. On y lisait entre autres choses ceci :

« Ne pas écouter les représentants.

« Tout ordre qui ne provient pas du général en chef est nul. « Toute réquisition, sommation ou demande d'un fonctionnaire « civil, judiciaire ou politique, doit être rigoureusement « écartée. »

Ces instructions avaient été rédigées en 1849, dans un moment où l'on pouvait craindre une lutte armée dans les rues de Paris. Il n'en résultait pas moins des paragraphes que nous venons de citer une négation plus ou moins directe du droit qui appartenait à l'Assemblée nationale de veiller à sa propre sûreté et de requérir les troupes nécessaires à cet effet.

Dès la séance du 3, le représentant Napoléon Bonaparte, cousin du Président, proposa un vote de blâme contre le général Changarnier, auteur de ces instructions. C'était bien évidemment une manoeuvre concertée pour mettre en conflit le général et l'Assemblée nationale; mais la manœuvre était peu adroite. Le général Changarnier déclara que ces instructions avaient deux ans de date, qu'elles avaient eu pour but de maintenir l'unité de commandement pendant le combat, qu'elles lui avaient été suggérées par l'expérience des journées de Juin, mais qu'elles ne s'appliquaient nullement aux circonstances paisibles du temps présent. Il s'empressa de déclarer en outre qu'il n'avait jamais songé à contester le droit de l'Assemblée, agissant par l'intermédiaire de son bureau, de requérir directement les troupes nécessaires pour sa sûreté.

La majorité était trop bien convaincue du dévoue

ment du commandant en chef de l'armée de Paris au pouvoir parlementaire, pour s'arrêter à la proposition Napoléon Bonaparte. Elle passa à l'ordre du jour, en témoignant sa confiance au général Changarnier.

Huit jours après, le général était destitué de ses fonctions de commandant en chef de l'armée de Paris.

Louis-Napoléon venait de briser le seul obstacle qui couvrit l'Assemblée nationale contre un coup d'État militaire, si un pareil coup d'État était jamais tenté par le chef du pouvoir exécutif. Il était certain que tant que le général Changarnier conserverait le commandement en chef des troupes stationnées à Paris, le parlement n'avait rien à redouter.

La majorité sentit toute la portée du coup qui venait de la frapper. Ses méfiances se réveillèrent; son irritation fut extrême. Mais que pouvait-elle faire? La mesure prise par le Président de la République était parfaitement légale ; il n'avait agi qu'en vertu des pouvoirs réguliers qu'il tenait de la Constitution.

Un grand débat s'engagea au sein de l'Assemblée législative. C'est alors que M. Thiers prononça le fameux mot: l'Empire est fait. C'est alors encore que le même orateur s'avisa, un peu tàrd, mérites que pouvait avoir la forme républicaine et proclama la nécessité de se rattacher sincèrement à la Constitution.

des

M. Pascal Duprat avait exprimé l'opinión des républicains sur ce conflit entre la majorité et le Président, en disant, quelques jours avant, à M. Thiers lui-même, dans le dixième bureau de l'Assemblée:

« Nous n'avons pas une grande confiance dans le dévouement

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