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La voici, telle qu'elle fut mise en discussion, après avoir été rectifiée par ses auteurs, MM. Baze, général Leflô et de Panat:

<< Sera promulgué comme loi, mis à l'ordre de l'armée, et affiché dans les casernes, l'art. 6 du décret du 11 mai 1848, dans les termes ci-après :

« Article unique. Le Président de l'Assemblée nationale est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée.

« A cet effet, il a le droit de requérir la force armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire.

<< Ses réquisitions peuvent être adressées directement à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires, qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement, sous les peines portées par la loi. »

Dans sa forme primitive, la proposition des questeurs renfermait, en outre, un paragraphe rappelant le droit du Président de l'Assemblée nationale de nommer le commandant en chef des troupes chargées de veiller à la sûreté de la représentation du peuple, et un article donnant au Président la faculté de déléguer son droit de réquisition aux questeurs ou à l'un d'eux.

Il est à noter que tous les écrivains bonapartistes qui parlent de la proposition des questeurs ne donnent que le texte primitif, et raisonnent sans tenir compte des modifications qui y furent introduites par la commission, d'accord avec les auteurs (1).

(1) Notamment M. Granier de Cassagnac, qui donne le texte primitif en affectant de croire que c'est sur ce texte que s'engagea la discussion au sein de l'Assemblée. Voir Histoire de la chute de Louis-Philippe. etc., 2e vol., page 306.

Quelques explications sont indispensables pour qu'on puisse apprécier la portée et le caractère réels de la proposition des questeurs.

L'article 32 de la Constitution était ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale détermine le lieu de ses séances. Elle fixe l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose. »

Le décret du 11 mai 1848, reproduit dans la proposition des questeurs, n'avait pas été abrogé par la Constitution. Sa validité avait d'ailleurs été reconnue en mai 1849 par le pouvoir exécutif lui-même. A eette époque, le droit de réquisition directe de la force armée ayant été un instant contesté à l'Assemblée nationale, le ministère s'était empressé de déclarer, au nom du Président de la République, qu'il considérait le décret du 11 mai 1848 comme étant toujours en vigueur. L'Assemblée avait ordonné, le 10 mai 1849, à la suite de cette déclaration, que les articles 6 et 7 du décret seraient « mis à l'ordre du jour de l'armée, imprimés et rendus publics par tous les chefs de corps. » Ces articles étaient restés depuis lors affichés dans les casernes de la garnison de Paris.

La parfaite légalité de la proposition des questeurs a'était donc pas contestable.

- Son opportunité seule pouvait souffrir discussion.

Les républicains y virent une intempestive riposte à la proposition présidentielle d'abroger la loi du du 31 mai. Beaucoup d'entre eux, considérèrent la proposition comme une manœuvre des partis

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royalistes de l'Assemblée, dans le but de s'assurer une force militaire, au moyen de laquelle la droite se serait débarrassée successivement du Président et de la gauche républicaine, pour établir une « dictature blanche, » prélude d'une restauration monarchique. On peut affirmer aujourd'hui que ces craintes étaient, au moins, prodigieusement exagérées.

La droite n'était ni assez nombreuse, ni surtout assez unie, pour tenter un Coup d'État parlementaire. La divergence radicale de but, qui existait entre ses chefs, ne leur permettait pas de s'entendre pour une aussi grosse entreprise.

Le vote de la proposition des questeurs n'eût pas fourni d'ailleurs de forces nouvelles à la majorité, puisque cette proposition n'avait pour résultat possible que d'affirmer plus formellement un droit de l'Assemblée qui n'avait pas encore été sérieusement contesté.

Il y a de fortes raisons de penser que les véritables intentions de la droite étaient celles-ci :

<< Mettre en accusation le Président de la République, dès que le complot du pouvoir exécutif contre l'Assemblée, complot que l'on croyait exister réellement - se serait dévoilé par quelque acte formel.

Élever aussitôt à la présidence de l'Assemblée un représentant énergique, le général Changarnier, par exemple; la pusillanimité de M. Dupin était reconnue par ceux-là même qui s'obstinaient, depuis deux ans, à investir un tel homme d'un poste pour lequel il était si peu fait en ces temps orageux.

User alors amplement du droit de réquisition directe, et entourer l'Assemblée nationale de corps de troupes de la ligne et de la garde nationale, suffisants pour faire échec à toute tentative de résistance du Président. Des généraux célèbres, tels que Bedeau ou Lamoricière, auraient été investis du commandement des forces requises pour la défenşe de l'Assemblée. On ne doutait pas que leur autorité personnelle, leur prestige sur l'armée ne produisissent un effet décisif au moment critique.

« La prépondérance de la représentation nationale étant ainsi assurée, les dangers d'usurpation du Président écartés, la majorité aurait usé de son ascendant pour maintenir vigoureusement la loi du 31 mai, accomplir les élections sous l'empire de cette loi, écraser les résistances « démagogiques, » s'il en survenait, et procéder à une révision de la Constitution, qui laissât le champ libre aux espérances des diverses fractions monarchiques de la droite. »

On se tromperait cependant en supposant que ces idées fussent passées à l'état de plan nettement formulé, fortement conçu, avec un but précis, des moyens d'exécution rigoureusement arrêtés, comme il en était du plan formé en ce moment par Louis-Napoléon. La majorité avait des tendances à adopter la ligne de conduite que nous avons indiquée, mais les idées échangées à ce sujet entre ses principaux membres étaient loin d'avoir pris corps. En aucun cas d'ailleurs la majorité ne semble avoir été disposée à sortir de la voie légale.

Pendant ce temps des résolutions irrévocables étaient prises par Louis-Napoléon.

On n'avance pas une hypothèse trop hasardée en disant que le dépôt de la proposition des questeurs dut lui causer quelque satisfaction. Bien que la proposition n'eût rien d'illégal, elle n'en était pas moins évidemment un acte de défiance contre le pouvoir exécutif, La majorité royaliste semblait prendre l'initiative de l'attaque. « Elle donnait barres » au Président, selon l'expression du général Magnan. Et la situation était d'autant meilleure, que cette majorité commettait en même temps la faute irréparable de rejeter la proposition du rétablissement intégral du suffrage universel,

Personne ne sera donc surpris d'apprendre par le récit de M. Granier de Cassagnac, que c'est « immé«diatement après le dépôt de la proposition des ques«teurs, que le Président prit son parti et ses mesures « pour une éventualité évidemment très-prochaine (1).» Ce parti était, nous le savons, pris bien longtemps avant, mais l'occasion favorable ne s'était pas encore produite.

Au moment où le Président se disposait ainsi à tenter un Coup d'Etat, l'Assemblée poursuivait ses travaux. La commission chargée d'examiner le projet de loi portant abrogation de la loi du 31 mai déposa son rapport. La majorité était ébranlée. Beaucoup de ses membres paraissaient frappés des vices intrin

(1) Récit complet et authentique des événements de décembre 1854 par M. Granier de Cassagnac, page 4.

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