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DE

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

CHAPITRE PREMIER.

SOMMAIRE.-Portrait de Louis-Napoléon.-Son enfance.-Vive amitio que l'Empereur lui témoignait.—Exil, séjour en Suisse.-Son éducation, sa jeunesse.-Traits de courage et de bonté.-Napoléon en Italie en 1830.-Mort de son frère aîné.-Dangers qu'il court luimême.-Voyage en France, son séjour à Paris avec sa mère en 1831. -Départ pour l'Angleterre.-Retour en Suisse.-Offre des chefs de l'insurrection polonaise.-Les trois premiers ouvrages du Prince.Mort du roi de Rome, son cousin.-Lettres du Prince.-Louis-Napoléon refuse le trône de Portugal. - Nouvelles lettres.-Nouveaux écrits du Prince.-Lettre de la reine Hortense, sa mère.-Prédiction d'une somnambule.

C'est une vie d'épreuves et de combats, une vie riche d'émotions, pleine de péripéties variées, que nous entreprenons d'écrire. Exil, captivité, dangers de toutes sortes, telle a été la route par où Louis-Napoléon est parvenu au gouvernement de la France. Son oncle commença par les Tuileries, d'où il partit pour Sainte-Hélène; il a commencé, lui, par le château de Ham, pour finir par les Tuileries. Jeux étonnants de la fortune! Pendant vingt ans passés il a lutté, souffert ; mais dans l'adversité, dans ces moments où les natures les mieux trempées s'affaissent et désespèrent de leur sort, il n'a jamais du moins vu son courage l'abandonner, sa confiance défaillir; c'est qu'il portait dans l'âme ces deux puissants mobiles: la foi et l'admiration; admiration pour son oncle, et foi en son

pays. C'est qu'il avait toujours devant les yeux un grand modèle à suivre, modèle de dévouement patriotique comme de gloire et de génie ; c'est qu'il aimait la France en fils passionné, et qu'il savait que la France n'attendait, elle aussi, qu'un moment favorable pour lui prouver qu'elle l'aimait en mère; c'est enfin qu'il sentait qu'il était seul l'homme de l'avenir, l'instrument de la providence prédestiné à l'accomplissement d'une œuvre glorieusement commencée par l'Empereur, mais depuis lors fatalement interrompue.

Cœur fidèle à toutes ses amitiés, regard d'homme d'Etat pénétrant et profond, intelligence rare des besoins de son siècle, esprit indépendant qui repousse toutes les dominations et a su s'affranchir de la tutelle de tous les partis exclusifs, vie recueillie, austère et studieuse dans tous les temps, ardeur peut-être un peu impatiente dans la jeunesse, et puis dans la maturité, grâce à l'adversité dont les leçons ne sont jamais. perdues pour les âmes d'élite, énergie contenue qui, sous des dehors mélancoliques, trompa les esprits superficiels et les hommes réputés les plus habiles; volonté forte et patiente qui marcha toujours droit à son but sans s'arrêter jamais, mais en sachant choisir son jour et attendre son heure; enfin, homme d'étude et homme d'action tout à la fois, l'intrépidité du soldat et le sang-froid du diplomate, c'est-à-dire l'assemblage remarquable de qualité diverses et qui s'excluent presque toujours; tel va nous apparaitre, dans le cours du récit que nous commençons, Louis-Napoléon Bonaparte.

Charles-Louis-Napoléon Bonaparte naquit à Paris, le 20 avril 1808, au milieu des splendeurs impériales, au moment où son oncle venait d'atteindre les plus hauts sommets de la gloire et de la puissance, où il voyait l'Europe à ses genoux. Charles-Louis-Napoléon était fils de la reine Hortense, cette femme d'élite qui apporta sa grâce souriante, son exquise beauté, sa charité inépuisable, dans cette cour impériale où rayonnèrent de si mâles courages. Il eut pour père Louis

Bonaparte frere de l'Empereur, cet honnête homme couronné qui, placé à la tête de la Hollande, et forcé de choisir entre les intérêts de ses sujets et ceux de la France, aima mieux descendre volontairement du trône, que de manquer à l'un ou l'autre de ses devoirs, et d'être mauvais Français ou mauvais roi.

Depuis Hambourg jusqu'à Rome, des Pyrénées jusqu'au Danube, le canon salua la naissance du jeune prince. Un sénatus-consulte du 28 floréal an XII, confirmé par un autre du 5 frimaire an XIII, soumis à l'acceptation du peuple Français et accepté par 3,521,675 suffrages contre 2,579 opposants, l'appelait éventuellement au trône impérial ainsi que son frère aîné, Napoléon-Louis, dans le cas où Napoléon et Joseph, leurs deux oncles, mourraient sans héritiers. Inscrit le premier sur le registre de famille destiné aux enfants de la dynastie napoléonienne, et confié à la garde du Sénat, le nouveau né, Charles-Louis-Napoléon, fut baptisé au Palais de Fontainebleau, le 10 novembre 1810, par le cardinal Fesch; il eut pour parrain l'Empereur, pour marraine l'Impératrice Marie-Louise, et toutes les illustrations de cette époque contribuèrent, par leur présence, à l'éclat de cette solennité.

Tout le monde connaît cette anecdote d'Henri IV, qu'un ambassadeur étranger surprit un jour marchant à quatre pattes sur le tapis de sa chambre à coucher, avec un de ses enfants sur le dos. Sous ce rapport comme sous d'autres, Napoléon-le-Grand ressemblait fort à Henri IV; comme tous les hommes de cœur, il aimait beaucoup les enfants, et surtout ceux de son frère Louis. Il ne cessa jamais de les chérir, même lorsque plus tard Marie-Louise l'eut rendu père et lui eut donné à lui-même un héritier direct. Il envoyait souvent chercher les deux fils du roi de Hollande: leur grâce enfantine et naïve l'intéressait, et il s'amusait volontiers de leurs jeux, au sortir de quelque grave discussion

dans le conseil d'Etat, de quelque conférence avec Cambacérès, ou d'une conversation sur les affaires extérieures avec le duc de Vicence. Il avait l'habitude de les appeler à ses ⚫ heures de repas, les seules qu'il dérobât jamais au soin des affaires publiques, à l'heure des déjeuners surtout: il les faisait alors asseoir à ses côtés dans son cabinet, à une petite table où nul autre qu'eux n'a pris place, et leur faisait réciter les fables de La Fontaine, leur en expliquait la moralité, et épiait, avec une sollicitude toute paternelle, le développement de ces jeunes intelligences.

Il les perdit de vue à l'époque de son départ pour l'île d'Elbe, et des témoins oculaires racontent qu'à son retour en France, il les revit avec un véritable transport de joie, et remarqua avec émotion leur croissance physique et les progrès de leur esprit. Hélas! à cette époque, Napoléon était séparé de son propre fils, le roi de Rome, que les Autrichiens venaient d'emmener avec eux à Vienne. Les deux fils de son frère le consolaient de l'absence du sien!

Nous voici arrivé aux désastres de Waterloo. La France est envahie découragée, fatiguée de la guerre, elle abandonne, dans un moment d'imprévoyance et de prostration, le grand homme qu'elle adorait naguère, elle s'abandonne elle-même; la trahison, l'ingratitude des hommes qui lui devaient le plus, précipitent la chute de Napoléon; non-seulement on le proscrit lui-même, mais encore tout ce qui tient à lui par les liens du sang. Tous les membres de la famille impériale, hommes, femmes, vieillards, enfants, tous vont expier dans l'exil le crime glorieux de cette parenté.

La reine Hortense partit donc pour la terre étrangère, accompagnée de ses deux fils; elle arriva à la frontière sous l'escorte d'un officier autrichien.

« J'ai dû quitter, écrivait-elle le soir de son départ, cette «ville (Paris) d'où les alliés m'expulsaient à la hâte; telle«ment redoutée, faible femme que j'étais avec mes deux en

fants, que, de distance en distance, la troupe ennemie était sous les armes pour protéger, disait-on, notre passage, mais en réalité pour assurer notre départ. » Précautions qui témoignaient de la peur qu'inspirait encore la popularité des Bonapartes, même au moment où leur chef était vaincu et désarmé. On se hâtait de les faire disparaître, dans la crainte d'un revirement d'opinion et d'un réveil en leur faveur de l'honneur national momentanément endormi, ou plutôt paralysé sous la pression de la force et du nombre.

Ici trouve sa place un détail aussi triste que touchant. Louis-Napoléon avait sept ans à peine lorsqu'il quitta la France avec sa mère. Sa douleur fut pourtant des plus vives; il ne voulait pas s'éloigner de Paris, il pleurait, il frappait la terre du pied ; il fallut enfin l'emporter presque de vive force dans la voiture, et le calmer par la promesse d'un retour très-prochain. Caprice d'enfant! dira-t-on peut-être; quant à nous, dans ce fait qui peut paraître puéril à d'autres, nous voyons poindre ce sentiment patriotique, cet amour pour la France, si persévérant, si pieux, dont le prince Louis-Napoléon, devenu homme, a donné des gages si nombreux et si éclatants. Nous ne pouvons aussi penser à cet enfantillage, sans nous rappeler, malgré nous, ces paroles de l'Empereur à SainteHélène: « Je demande que mes restes reposent un jour sur a les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que « j'ai tant aimé. » Raison chez l'un, instinct chez l'autre, cela est certain; toujours est-il que l'enfant de sept ans portait. déjà en lui le germe de ce grand sentiment qui inspira toujours son oncle, la religion de la patrie (1).

(1) La reine Hortense, dans ce triste voyage, rencontra sur sa route un sérieux danger pour elle et pour ses fils. Elle était accompagnée par un officier autrichien, M. de Wilna. A Dijon, elle fut arrêtée par un détachement de gardes du corps qui la menacèrent et l'insultèren brutalement. Un d'entre eux voulut même l'entraîner de vive force,

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