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soit à l'aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, et assurer à l'Etat l'usage exclusif du télégraphe, sous peine contre les infracteurs d'un emprisonnement d'un mois à un an, d'une amende de 1,000 à 10,000 fr. et de la destruction des postes, machines ou moyens de transmission.

Un seul amendement y fut proposé tendant à donner des indemnités à ceux qui, dans le silence de la loi, avaient cru pouvoir établir des lignes télégraphiques, dont la loi nouvelle allait faire opérer la destruction. Mais il fut écarté, et la loi passa, sans autre opposition, dans les deux Chambres.

14-29 mars. Un projet plus important, repris de l'année dernière, et qui occupa encore pendant douze séances la Chambre des députés, mériterait d'être développé, s'il avait obtenu la sanction législative. C'est celui qui devait servir de complément à la loi du 28 juin 1855 sur l'instruction primaire et réglementer l'instruction secondaire. Mais il nous suffit de faire remarquer l'esprit du projet et les points capitaux de la discussion.

Le projet ministériel, amendé par la commission, avait pour objet, en consacrant le principe de la liberté de l'enseignement, de prescrire les conditions auxquelles on pourrait former un établissement d'instruction secondaire, et de déterminer les règles à suivre pour les colléges royaux ou communaux et les petits séminaires considérés comme établissemens mixtes, et il les soumettait tous également à la surveillance de l'Université.

Dans l'opinion de M. de Tracy qui ouvrit la discussion générale, le projet de loi portait atteinte à la liberté de l'enseignement, promise par la Charte (art. 69, § 8). Il consacrait l'établissement de l'Université, ressuscitée par Napoléon avec ses vieilles méthodes, ses traditions bizarres et jusqu'à ses costumes gothiques. En résumé, M. de Tracy pensait qu'il faudrait moins favoriser l'enseignement du grec et du latin et les études dites classiques, afin de donner plus de temps à la culture des sciences et des notions véritablement utiles.

M. de Sade, moins absolu dans ses idées, trouvait que le projet était incomplet, qu'il ne sanctionnait pas assez franchement la liberté de l'enseignement; mais il défendait l'Université des injustes préventions soulevées contre elle. Elle n'avait à ses yeux que le tort de porter un nom qui rappelait trop le moyen-âge... C'était d'ailleurs un inconvénient que son chef fût membre du cabinet, sujet à toutes les vicissitudes. politiques. Quant aux études, M. de Sade, en approuvant qu'on fit marcher de front les lettres et les sciences, ne croyait pas qu'on pût en étendre démesurément le cercle. L'étude des langues anciennes lui paraissait la plus utile et la plus nécessaire au développement des facultés de l'esprit; mais il était loin d'exclure celle des langues modernes ou des sciences, dont le goût et le besoin se faisaient si généralement sentir dans la société actuelle; et, comme le projet lui paraissait réunir les conditions d'une sage liberté, il y donnait son assentiment.

15 mars. Telle n'était pas l'opinion de M. Salverte, qui le trouvait insuffisant, trop restrictif de la liberté d'enseignement dans certains cas et pas assez dans d'autres, en arrière des lumières et de l'esprit du siècle; ni de M. Isambert, qui, signalant surtout l'envahissement du clergé dans l'enseignement par l'établissement des petits séminaires et la faveur qui leur était accordée, se plaignait de ce qu'on semblait vouloir les soustraire, dans la loi nouvelle, à l'autorité même et à la surveillance de l'Université.

Sur la question de la liberté de l'enseignement, les uns trouvaient la loi proposée illibérale, insuffisante pour garantir cette liberté promise par la Charte; d'autres, la trouvant trop facile, craignaient que, par cette facilité même, elle ne fût dangereuse, et que la liberté, ainsi introduite dans l'enseignement, n'entraînât pour l'Etat des conséquences funestes.

M. le ministre de l'instruction publique (M. Guizot), résumant et réfutant l'une après l'autre ces objections, démontrait que la loi était tout ce qu'elle pouvait être dans l'état actuel de Ann. hist. pour 1837.

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la société, dans la faiblesse des mœurs domestiques et de la puissance paternelle elle-même, qui, en matière d'éducation, a besoin d'être avertie, soutenue, dirigée par la puissance publique plus éclairée et plus ferme....

Quant aux attaques portées contre l'Université, M. Guizot n'hésitait pas à défendre son rétablissement par Napoléon comme un immense service rendu au pays; il le regardait comme une de ces grandes œuvres que l'Europe nous enviait, et dont il était possible de concilier la surveillance et l'autorité même avec la liberté de l'enseignement.

Quelques précautions pouvaient paraitre nécessaires à prendre à l'égard de certains établissemens privés, laïcs ou ecclésiastques: le ministre annonçait l'intention d'accueillir les amendemens qui pourraient être présentés, et il terminait son discours par une péroraison qu'on peut regarder.comme la dernière profession de foi du cabinet du 6 septembre.

« J'ai déjà eu occasion de le dire dans cette enceinte, pour un peuple, pour un gouvernement, le progrés, le véritable progrès consiste à acquérir ce qui lui manque, à avancer dans les voies dans lesquelles il est arrivé, voilà le progrès véritable. Eh bien! aujourd'hui, en fait de droits politiques, de liberté politique, je crois que la grande majorité de la Chambre pense avec moi que la France a acquis et possède tout ce dont elle a besoin, pour un espace de temps que je serais hors d'état de mesurer.

« Qu'est-ce qui manque à la France? Ce qui lui manque, c'est d'abord des garanties de durée, des garanties de stabilité pour toutes choses, pour ses institutions de liberté, comme pour toutes les autres; il lui manque de la richesse, du bien-être; il lui manque des lumières; la France a besoin d'être consolidée, d'être enrichie, d'être éclairée, voilà dans quel sens doit se faire le progrès, voilá dons quel sens son gouvernement doit la diriger. L'augmentation du bien-être général et matériel, l'augmentation du bienêtre moral et intellectuel, et la consolidation de tous ces biens acquis et garantis par nos institutions, voilà les véritables besoins du pays, voilà ce que nous lui devons, voilà les lois qu'il faut rendre pour répondre aux besoins actuels, aux besoins pressans de notre société.

«Eh bien! Messieurs, les lois que vous avez votées ces jours-ci, qui se rattachent à l'ordre matériel, et la loi actuelle, qui se rattache tout entière à l'ordre intellectuel, voilà les lois que la France attend, et qui lui font faire des progrès vrais et vraiment salutaires, des progrès que nous nous empresserons, que nous nous honorerons toujours de seconder.»>

La discussion des articles souleva des questions délicates. Elle mit en présence deux classes d'adversaires, les uns qui ́réclamaient un développement plus large et plus complet de

la liberté d'enseignement, les autres qui étaient plus préoccupés des inconvéniens et des écarts possibles de cette liberté.... Entre ces deux opinions opposées, le ministre de l'instruction publique et le rapporteur de la commission (M. de Saint-Marc-Girardin) eut souvent besoin d'intervenir pour exposer les principes et l'économie de la loi nouvelle. Le Gouvernement avait voulu remplir une promesse de la Charte, fonder la liberté de l'enseignement, mais sous les conditions et avec les garanties réclamées par l'intérêt d'une bonne et sage éducation. Il voulait le principe et l'exercice légitime du droit ; mais il voulait aussi la répression efficace et sévère de l'abus. Ainsi, au nombre des conditions imposées aux directeurs des établissemens particuliers d'éducation, il mettait celle d'envoyer leurs réglemens et programmes d'étude au recteur de l'académie de leur ressort. On proposait (M. Vatout) d'y ajouter que ces réglemens seraient soumis à l'approbation du conseil académique : la proposition fut écartée; mais on y suppléa par deux amendemens, l'un portant que nul ne pourrait ouvrir un établissement d'éducation sans avoir prêté le serment prescrit par la loi d'août 1830, l'autre que le candidat serait tenu de déclarer qu'il n'appartient à aucune congrégation ou corporation non autorisée par les lois. Les deux amendemens, il est aisé de le voir, avaient pour objet de préserver l'enseignement de l'invasion des sociétés religieuses et spécialement des jésuites, et de conjurer une espèce de fléau qui, dans toute cette discussion, sembla planer comme un fantôme devant quelques imaginations alarmées. On se disputa encore beaucoup sur la délivrance des certificats de capacité, sur la composition des jurys d'examen, sur la définition de l'enseignement secondaire et les limites qui devaient le séparer de l'enseignement primaire et de l'enseignement supérieur, sur la question fort grave en elle-même de savoir si les colléges communaux suivraient une méthode commune, uniforme d'enseignement, ou s'il serait loisible à chaque conseil municipal de déterminer, selon

ses lumières, sa fantaisie et ses passions, la nature de cet enseignement; là et à cette occasion, se reproduisit une question déjà soulevée par M. de Tracy, celle de savoir en quelle mesure devait être donné l'enseignement classique ou scientifique, c'est-à-dire des lettres ou des sciences, question qui fut éloquemment traitée dans la séance du 23 mars par MM. Arago et Lamartine; par le premier, en faveur des sciences; par le second, en faveur des lettres, et par tous deux sans esprit d'exclusion, avec une supériorité digne de leur talent... De cette lutte académique qui ne termina rien, mais qui fit une noble diversion aux arides détails de la loi, la discussion retomba dans des digressions mesquines sur le régime intérieur des colléges royaux, auxquels une partie de l'opposition (M. de Tracy) voulait ôter la faculté d'avoir des pensionnats. Un amendement proposé pour les colléges communaux, où les élèves ne doivent recevoir qu'une partie de l'instruction donnée dans les colléges royaux, tendait à laisser aux conseils municipaux le soin de déterminer la nature et le plan des études qui devraient être suivies dans les colléges communaux. Mais la Chambre sentit, sur les observations faites par le ministre de l'instruction publique, que l'éducation étant d'un intérêt général et social, il était juste et nécessaire que les colléges communaux restassent soumis au contrôle et à la tutelle de l'autorité centrale.

De vives discussions eurent lieu sur l'établissement des bourses dans les colléges royaux, considérées par les uns comme un sacrifice utile, un encouragement à l'étude des lettres, un moyen de fortune et de distinction ouvert aux classes pauvres; par d'autres, comme une institution arbitraire, inconstitutionnelle, onéreuse pour les communes, et funeste même aux classes qu'elle semblait favoriser en les arrachant à des professions modestes où elles auraient trouvé l'aisance et le repos, pour les pousser au hasard dans les rangs plus élevés de l'ordre social, où elles se consument dans l'inquiétude, l'agitation, l'impuissance et le désespoir.

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