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négligé pour tranquilliser sur ce point les imaginations les plus ombrageuses; et, après une discussion de quatre jours, elle fut adoptée (7 avril) à une forte majorité (par 185 voix contre 47). Mais elle eut le même sort que la plupart de celles qu'on discutait alors dans l'autre Chambre, elle ne subit que la moitié de l'épreuve législative.

On était arrivé, après avoir voté une loi sur l'avancement dans l'armée navale (11 avril) et quelques autres projets de moindre importance ou d'intérêt local, à la discussion d'un projet pour l'organisation des justices de paix. On venait d'adopter (séance du 14) l'art. 1er, qui fixait leur compétence à 100 fr. en dernier ressort. Les ministres ne paraissaient plus ou ne se montraient plus qu'un instant à la Chambre; l'inquiétude, l'impatience et le découragement s'y trahissaient de toutes parts. Un silence morne accueillait presque tous les discours. Chacun, les yeux fixés sur les bancs vides des ministres, semblait accuser l'absence de cette responsabilité qui fait la vie du Gouvernement représentatif. On était fatigué de voir, depuis trois semaines, un cabinet ballotté par tant de vicissitudes, sans cesse à la veille d'être remanié, renversé. On parlait de faire une adresse à la couronne, que M. Odilon Barrot paraissait vouloir soumettre à la Chambre pour håter la solution de cette crise, lorsqu'enfin l'apparition de M. Guizot à la séance du 15, où il alla reprendre son ancienne place au centre droit, tandis que trois de ses collègues, MM. Molé, Martin (du Nord) et de Rosamel, revinrent occuper le banc ministériel, donna lieu de croire à la conclusion définitive des arrangemens du cabinet.

16 avril. Le lendemain, en effet, après un mois d'attente, après tant de démarches, de conférences et de combinaisons diverses, le Moniteur publia cinq ordonnances datées du 15 avril, contresignées Molé, président du conseil d'Etat, ministre secrétaire d'Etat au département des affaires étrangères, portant nomination :

De M. Barthe, pair de France, ministre secrétaire d'Etat au département de la justice et des cultes, en remplacement de M. Persil;

De M. le comte de Montalivet, pair de France, au département de l'intérieur, en remplacement de M. de Gasparin; De M. de Salvandy, membre de la Chambre des députés, au département de l'instruction publique, en remplacement de M. Guizot;

Et de M. Lacave-Laplagne, membre de la Chambre des députés, au département des finances, en remplacement de M. Duchâtel.

A la suite de ces ordonnances on en lisait une cinquième qui rendait au ministre des travaux publics, de l'agriculture et du commerce la présentation des lois des douanes attribuée par celle du 19 septembre au ministre des finances.

Ainsi, d'après ces ordonnances, dont la rédaction sortait de la formule usitée, le changement si péniblement amené sc réduisait à la sortie de MM. Guizot, Duchâtel et Persil; il ne satisfit aucun parti. Ce n'était aux yeux de leurs amis qu'une combinaison de convenances personnelles, qu'une satisfaction mesquine, qu'un sacrifice timide fait à l'opposition, qu'un ostracisme jaloux qui écartait des affaires des hommes auxquels on ne pouvait refuser ni le talent ni l'influence nécessaires pour diriger le système politique de la majorité. Aux yeux de l'opposition de gauche, c'était un cabinet sans couleur, un insignifiant remaniement de noms, qui n'annonçait aucun changement sérieux dans le système. On observait à l'appui de cette opinion que M. de Salvandy avait été le rapporteur de la loi de disjonction, M. Lacave-Laplagne de celle de dotation pour la reine des Belges, et qu'ainsi le nouveau cabinet se présentait devant la Chambre déjà faible de l'impopularité des lois présentées par le précédent et privé de la puissance parlementaire de M. Guizot, comme aussi des talens de M. Duchâtel.

En résultat vrai, la recomposition du ministère n'annon

çait pas de révolution dans le système; mais elle mettait fin à des dissentimens qui s'aigrissaient de jour en jour ; et, quoique les ministres nouveaux eussent tenu la même ligne politique et donné à peu près les mêmes gages au nouvel ordre de choses, ils faisaient espérer quelques modifications au système dont la présence de trois ministres sortans maintenait la rigueur.

Lundi 17 avril. Dans l'impatience où l'on était de voir et d'entendre les nouveaux ministres, la Chambre des députés s'était réunie le 17, plus nombreuse et plus tôt qu'à l'ordinare; et, en attendant leur arrivée, elle avait repris la discussion de la loi sur l'organisation de la justice de paix, qui fut votée, article par article, et ensuite dans son ensemble, au milieu d'un tumulte et d'une inattention que la circonstance expliquait, mais qu'elle ne justifiait pas. Comme il n'y avait plus rien à l'ordre du jour, on fixa au lendemain la discussion des crédits supplémentaires, c'est-à-dire des affaires d'Afrique; et à quatre heures et demie, aucun des ministres n'ayant paru, le président leva la séance, au grand désappointement de la Chambre et des tribunes, et non sans quelques murmures.

Au fait, les ministres ne s'étant réunis que le dimanche, après la formation du nouveau cabinet, n'avaient pas encoro arrêté la forme des communications à faire aux deux Chambres. Leur délibération s'étant prolongée, ils n'avaient pu se rendre que fort tard à la Chambre des pairs, et la séance des députés étant levée lorsqu'ils s'y présentèrent, force leur fut de remettre leurs communications au lendemain.

18 avril. Cette communication, attendue avec tant d'intérêt, fut faite d'abord à la Chambre élective par M. le président du Conseil, dont le discours mérite d'être recueilli et médité pour l'intelligence des événemens, du système et de la situation du cabinet nouveau.

«Messieurs, dit M. le comte Molé, le roi nous a chargés de vous communiquer un événement également heureux pour l'Etat et pour sa famille. Notre

nationale dynastie repose dans le présent sur de jeunes et brillans soutiens; pour l'affermissement de nos institutions et de notre repos,'il lui fallait de l'avenir. La Chambre n'apprendra pas sans une satisfaction toute patriotique, que le roi a conclu le traité de mariage du prince royal son fils avec madame la duchesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Cette princesse, digne de la haute destinée qui l'attend par son rang, l'illustration de son origine, l'est bien plus encore par cette élévation d'esprit et de sentiment, par toutes les qualités qui constituent le bonheur privé et assurent aux princes qui les possèdent, le respect universel et l'affection de tous les cœurs.

«Elle se confondra, Messieurs, parmi les membres de notre maison royale par ces nobles goûts, ces simples vertus qui, de tout temps, ont fait l'ornement des trônes et aujourd'hui en font la force. Cette alliance, douce et chère au cœur du prince dont la France s'enorgueillit à juste titre, sera un lien de plus entre le trône et le pays, un nouveau gage de perpétuité et de repos.

Dés ce moment, il y a lieu de pourvoir à l'établissement de l'héritier de la couronne. La jeune princesse dont la France va devenir la patrie doit y trouver une situation digne du rang qui lui est assigné auprès du trône. Ce sera le vœu des Chambres; c'est celui de la loi.

Cependant, Messieurs, un projet de loi vous avait été déjà soumis, qui constituait l'apanage du second des fils majeurs du roi C'était là aussi une disposition conforme à tous les principes de notre monarchie constitutionnelle. Elle était réclamée par un grand intérêt national, la dignité du trône; elle l'était par les règles de notre droit public de tous les temps. L'hérédité de la couronne, en créant pour les princes du sang royal des droits et des devoirs à part, entraîne aussi pour eux la nécessité d'un établissement permanent, comme leur rang et leurs honneurs.

« Le roi, Messieurs, n'a pas voulu que les Chambres eussent à pourvoir en même temps à la dotation de ses deux fils. (Ecoutez! écoutez!) M. le duc de Nemours lui-même s'était hâté de supplier son auguste père de fixer uniquement aujourd'hui la sollicitude de son gouvernement et la vôtre, sur des intérêts à ses yeux plus pressans; S. M. a décidé que la demande présentée pour le prince son second fils serait ajournée.

Voix de la gauche : « Ainsi, c'est un ajournement et non pas un retrait ! » (Agitation.)

M. Molé : « En nous conformant à cette volonté, Messieurs, il nous serait resté un regret amer, celui de ne pouvoir, dans une discussion publique, éclairer enfin l'opinion que tant de coupables efforts ont voulu pervertir. Mais des délibérations prochaines nous permettront de remplir ce devoir que nous avons envers le pays, bien plus encore qu'envers la couronne.

« La liste civile plie sous le poids de ses charges et de ses sacrifices à la splendeur de ses monumens, aux progrès de l'industrie et des arts. C'est pour le roi la consolation des chagrins et des périls qui montent vers le trône en retour de la paix et de la sécurité qui en descendent, d'unir ses efforts à la pensée qui vous a fait voter à vous-mêmes tant de vastes travaux. En présence de tels faits, les passions sont impuissantes: la vérité défend le roi contre les coups des calomniateurs, comme une protection divine l'a couvert contre ceux des assassins.

« Nous avons l'honneur de vous proposer, Messieurs, un projet de loi qui a pour but de régler le supplément de dotation pour le prince royal, prévu par l'art. 20 de la loi du 2 mars 1852. Le roi ne nous a pas permis d'écrire le chiffre. Les Chambres, organes du sentiment national, le détermineront. L'art. 2 du projet fixe, en cas de prédécès du prince royal, le douaire de la princesse son épouse, tel qu'il résulte des conventions matrimoniales. « Vous vous associerez, Messieurs, à tous les sentimens que le roi éprouve

comme roi et comme père. Cette union s'accomplit à une époque qui perinet d'espérer que la patrie est arrivée au terme de ses longues épreuves La France a marché avec une admirable constance, depuis un demi-siècle, à un noble but, l'accord de la monarchic et de la liberté. En vain ce grand résultat nous a-t-il été disputé par les restes ranimés de nos vieux partis; la sagesse du trône, la vôtre, les lois salutaires que vous avez votées nous ont conservé toutes nos conquêtes, elles nous sont désormais acquises: les maintenir et leur faire produire tout le bien que s'en promet la France, telle est la tâche à laquelle nous nous sommes dévoués.

« Fidèles à cette politique ferme et modérée qui, depuis sept ans, a sauvé la France, et que les collègues pour lesquels nous avons besoin d'exprimer ici nos regrets, ont glorieusement concouru à soutenir, nous obtiendrons votre appui; votre justice appréciera les difficultés, le but de nos efforts. Nous ne sommes point des hommes nouveaux ; tous nous avons participé à la lutte. Vous savez qui nous sommes, et notre passé vous est un gage de notre avenir. Nous ne vous présenterons pas d'autre programme (légers sourires à l'extrême gauche), nos actes vous témoigneront assez de nos intentions. (Rumeurs diverses.)

« Puisse un événement heureux et dynastique, puisse le mariage du prince appelé un jour à régner sur nous, rallier tous les partis qui nous divisent encore, autour de ce trône constitutionnel que la révolution de juillet a fondé Tel est notre vœu le plus ardent, le but vers lequel nous tendrons avec constance et fermeté. C'est à vous, Messieurs, c'est dans les Chambres que nous plaçons notre confiance et notre force.

« Nous croyons nous sentir trop en harmonie avec elles pour que leur appui puisse nous manquer. »

Ce discours prononcé au milieu d'une agitation curieuse du côté gauche et d'un silence inquiet au centre de l'assemblée, M. le président du Conseil déposa sur le bureau le projet de loi concernant la dotation du prince, dont le chiffre était en blanc, mais où le douaire de la princesse était fixé à 300,000 franes, en cas d'extinction de la dotation du prince royal avant son avénement à la couronne, et ensuite l'ordonnance qui retirait le projet de loi présenté le 24 janvier dernier, relatif à l'apanage de M. le duc de Nemours, et se rendit immédiatement avec trois de ses collègues à la Chambre des pairs. Ici la communication ministérielle se bornait à l'information du mariage, à l'expression des vœux et des sentimens qu'il devait inspirer et à une courte annonce du changement du cabinet.

« Vous vous associerez, Messieurs, disait M. le président du Conseil, à toute la joie que le roi éprouve et comme roi et comme père. Puisse le mariage du prince royal, en assurant la perpétuité de la dynastie, décourager les criminels efforts des partis qui voudraient en vain ébranler notre confiance dans l'avenir! Puisse-t-il rallier autour du monarque, dont le dévoue

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