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ment et la sagesse ont sauvé la France depuis sept ans, tous les cœurs, tous les esprits, tous ceux qui aiment leur patrie!

« La Chambre des pairs, en nous entendant exprimer ces vœux, qu'elle forme avec nous, n'attend pas que nous y ajoutions l'exposition de nos principes. Les membres du nouveau cabinet lui sont trop bien connus pour qu'elle ait rien à en apprendre. Nous marcherons, Messieurs, dans ces voies de fermeté et de sagesse qui seules peuvent préserver le présent et assurer l'avenir. La Chambre des pairs appréciera les difficultés que nous aurons à surmonter, elle nous tiendra compte de nos efforts, et nous trouverons en elle cet appui, ce courage et ces lumières qui ont si puissamment concouru à affermir notre Gouvernement constitutionnel. »

Cette déclaration, accueillie dans une partie de la Chambre aux cris de vive le roi, ne parut pas suffisante à quelques membres (MM. de Dreux-Brézé, Villemain), qui trouvèrent qu'on la traitait avec peu d'égards, et demandaient au ministère une déclaration plus formelle sur le système qu'il entendait suivre et sur l'intention qu'il avait de retirer ou de maintenir les lois que l'ancien cabinet avait présentées à la Chambre (notamment pour le cas de non révélation), puisqu'on devait supposer que le changement du cabinet avait été amené par des dissentimens à ce sujet.

M. le président du Conseil, reprenant la parole, répondit à M. de Brézé que les explications demandées avaient été données à l'autre Chambre en ajoutant le désaveu le plus formel sur les causes que l'on venait d'assigner à la modification de l'ancien cabinet.

"Aucune dissidence de cette nature n'a existé parmi ses membres, dit M. Molé; si j'ai à regretter de m'être séparé de quelques-uns de mes anciens collègues, c'est parce que nous n'avons pu nous mettre d'accord sur les conditions et les arrangemens qu'exigeait là situation du cabinet. Mais les lois auxquelles a fait allusion M. de Brézé, n'ont pas été de nouveau mises en discussion. Nous les avions présentées en commun et d'un complet accord; depuis, il n'en a pas été question entre nous. »>

M. Villemain, ayant insisté sur l'interpellation faite par M. de Brézé, le nouveau ministre de l'intérieur (M. de Montalivet), répétant et appuyant ce que le président du Conseil avait dit dans l'autre Chambre, à l'occasion du projet de loi qu'il était chargé de lui présenter, n'hésita pas à déclarer, quant à la loi d'apanage pour le duc de Nemours, que le ca

binet la retirait, mais en en maintenant le principe, et il ajoutait :

«Mais, nous dira-t-on, d'autres lois avaient été soumises aux Chambres, par exemple, à la Chambre des pairs, la loi de non révélation.

« La Chambre me permettra de faire remarquer à l'honorable membre que ce projet de loi a été apporté dans cette enceinte par M. le garde des sceaux; qu'il a été soumis à l'examen d'une commission; commission composée des hommes les plus consciencieux et les plus savans. Je n'ai pas d'autres réponses à faire au préopinant; je le prie de vouloir bien l'accepter. (Légères rumeurs.)

« Je ne crois pas que l'honorable membre ait voulu faire allusion à d'autrès lois à celle par exemple qui a été présentée sur Alger. La discussion de cette loi sera une occasion pour le cabinet de dire son sentiment sur cette conquête nationale. A-t-il voulu parler de la loi relative à la déportation? Je n'ai pas à prendre ici la parole au nom du cabinet. Seulement si une occasion se présente de dire mon opinion sur les lois votées il y a deux ans, dans l'intérêt de l'ordre et de la conservation, je la saisirai avec empressement. Je dis hautement que ces lois m'ont paru nécessaires alors et me paraissent utiles pour l'avenir. (Très bien!) Je ne sais pas, et je ne saurais dire si, faisant partie de l'ancien cabinet, j'aurais proposé telle ou telle loi; mais je dis qu'une loi étant présentée comme conséquence d'une législation existante que je regarde comme salutaire, je croirai de mon devoir de la soutenir et non de la déserter. Je n'aurais pas voulu entrer dans d'aussi longs détails; j'y ai été en quelque sorte forcé. J'espère que la Chambre se montrera satisfaite de ces explications.

Enfin, après quelques autres explications entre lesquelles il faut relever l'observation faite par M. le comte Siméon que le rapport dont il était chargé sur la loi de non révélation était prêt, et serait soumis à la Chambre quand elle voudrait l'entendre, la discussion a fini par le tirage au sort d'une grande députation pour aller porter au roi et au duc d'Orléans les hommages et les félicitations de la Chambre sur le grand événement dont M. le président du Conseil venait de lui donner connaissance, ce à quoi la Chambre élective ne songea que le lendemain.

La reconnaissance ou l'installation du nouveau ministère faite, on y avait passé à l'ordre du jour, c'est-à-dire à l'ouverture de la discussion des crédits supplémentaires de 1830.

Un seul article de ce projet, le crédit demandé pour pourvoir aux dépenses extraordinaires occasionées par l'occupation de l'Algérie et surtout par l'expédition de Constantine, tenait depuis plusieurs mois la curiosité publique en éveil.

C'était le système suivi en Afrique, c'était l'échec essuyé par nos armes dont l'opposition voulait demander compte à l'ancien ministère et les partisans de ce ministère au maréchal Clausel; et, quoique le sujet eût perdu beaucoup de son intérêt aux yeux des partis par la recomposition du cabinet, il n'en mérite pas moins l'attention de l'histoire.

Déjà des plaintes et des accusations contradictoires avaient été portées devant le tribunal de l'opinion publique. Une pétition adressée à la Chambre des députés au nom des habitans de Tlemcen avait dénoncé le maréchal Clausel comme ayant fait lever une contribution illégale dont ils demandaient le remboursement. Une autre plus récente avait demandé sa mise en accusation. Le maréchal avait répondu à ses accusateurs par un écrit où, signalant dans un style amer l'ingratitude dont le Gouvernement avait payé ses services, il attribuait le malheur de son expédition et ceux de l'Algérie au système incertain et pusillanime du ministère. D'autres pamphlets, déplorant cette conquête comme un présent fatal légué par la Restauration à la monarchie de juillet, allaient jusqu'à en conseiller l'abandon total; et, entre l'exagération des deux partis opposés, d'autres voulaient restreindre l'occupation à quelques points du littoral.

Dès le 22 mars, la commission, chargée de donner son avis sur les crédits demandés, et nécessairement appelée à recueillir, à discuter les renseignemens, les faits et les griefs allégués, avait fait son rapport dont la crise ministerielle n'a pu faire oublier l'importance, et dont il faut rappeler quelques détails vraiment historiques pour l'intelligence de la question que la Chambre était appelée à juger.

L'article capital des crédits supplémentaires demandés par le ministre était de 5,647,000 fr., pour l'accroissement de l'effectif de l'armée en Afrique pendant l'année 1856, crédit que la commission proposait de réduire à 3,242,000 fr.

En fait, l'accroissement de l'armée d'Afrique lui eût paru peu important, si elle ne l'eût considéré que sous le rapport

financier; mais il lui semblait mériter toute l'attention de la Chambre par l'intérêt de la question politique.

que

A ce sujet, l'honorable rapporteur (M. Janvier) rappelait l'effectif des troupes pour l'Afrique porté dans le budget de 1836 à 28,945 hommes avait été réduit, d'après un amendement de la commission, adopté par le Gouvernement, à 22,920 hommes, et que la réduction devait être opérée à partir du 1er janvier au 1er juillet; que le ministère d'alors avait reconnu que toute extension par voie de conquête, tout effort du Gouvernement pour se mettre lui-même à la tête de la colonisation, seraient dangereux; que la conduite de l'administration en Afrique devait sé borner à l'occupation des points principaux de la colonie et des portions de territoire nécessaires à la sûreté de l'occupation. Ce point convenu, l'administration devait veiller à l'entretien de relations pacifiques avec les naturels du pays, de sorte que les relations commerciales pussent se développer sans efforts.

D'après la reconnaissance du système qui fut alors vivement contredit par M. le maréchal Clausel, partisan d'une vaste colonisation au moyen d'émigrations européennes, la commission s'étonnait de voir que cette discussion eût été presque aussitôt suivie de la nomination du maréchal aux fonctions de gouverneur général des possessions françaises en Afrique.... Mais le ministère avait sans doute pensé que sa renommée et sa capacité militaires pouvaient seules balancer l'influence qu'acquérait de jour en jour Abd-el-Kader, et ce choix ne semblait plus, en effet, offrir d'inconvéniens dès que le nouveau gouverneur acceptait les instructions qui lai furent alors données par le ministre de la guerre.

« Dans une lettre du 17 juillet 1835, disait l'honorable rapporteur, le ministre déclarait au maréchal que, pour consolider, selon l'intérêt national, notre établissement en Afrique, deux conditions étaient également indispensables:

«L'une, d'entretenir avec les habitans du pays des relations propres à les convaincre à la fois de la perpétuité de notre établissement, et des avantages qu'ils devaient eux-mêmes en recevoir;

« L'autre, de n'imposer à la France aucuns sacrifices prématurés ni hors

de proportion avec les bénéfices qu'elle en retirait déjà ou qu'elle pouvait raisonnablement en espérer.

« C'est pourquoi on recommandait expressément de ne rien faire qui donnât lieu de croire à un système d'extension par la voie de la conquête et de la victoire. On devait avoir pour but principal de faire comprendre aux tribus que nous ne voulions entretenir avec elles que des relations pacifiques et bienveillantes, et que si de leur côté elles ne les troublaient pas, nous ne nous appliquerions qu'à les faire jouir elles-mêmes des bienfaits du commerce et de la paix. Toute expédition contre les tribus de l'intérieur était interdite, à moins qu'elle ne fût commandée par une nécessité évidente. Enfin, les plans de colonisation qui avaient été énoncés à la tribune étaient repoussés par le Gouvernement, qui ne voulait pas, en encourageant directement des essais prématurés et aventureux, contracter l'obligation morale d'imposer à la France des charges sans compensation assurée.

« La commission n'a pu qu'applaudir à l'esprit de prudence et de justice qui dicta ces instructions; cependant elle a regretté qu'elles n'eussent pas été plus précisées sur la nature et la portée de l'autorité française dans les diverses parties de la régence; mais les instructions eussent été suffisantes si le Gouvernement en eût surveillé l'exécution; il crut voir dans la proclamation d'avénement du nouveau gouverneur, une atteinte au système qui avait servi de base au budget de 1856, et à la lettre du 17 juillet; pourquoi dès ce premier moment avoir montré cette mollesse de volonté, dont par la suite il devait être donné plus d'une preuve ?

« Un Gouvernement qui veut être obéi, doit réprimer les écarts de ses agens, si élevés qu'ils soient. Nous avons reconnu avec un regret profond que ce devoir, à aucune époque depuis sept années, n'avait pas été rempli, autant qu'il aurait dû l'être, à l'égard de l'Afrique. Le Gouverment ne s'est pas assez inquiété de tout ce qui s'y passait au mépris de ses instructions; il a laissé s'introduire l'indiscipline à tous les degrés d'hiérarchie.

Venant aux détails des expéditions de Mascara, de la Tafna et de Tlemcen, le rapporteur de la commission observait qu'à toutes ces époques, M. le maréchal faisait regarder ces entreprises comme la dernière tentative à faire pour détruire la puissance d'Abd-el-Kader, et qu'à toutes ses demandes de renforts d'hommes ou d'argent, le ministère le rappelait à l'observation de ses premières instructions et à la nécessité de ne pas dépasser l'effectif des troupes qui lui avait 'été assigné; que, même après le succès de l'expédition de Tlemcen que le maréchal croyait impossible d'abandonner, le ministère n'hésitait pas à la désapprouver comme étant en opposition formelle avec les instructions données et le systeme tracé dans la discussion du budget de 1830.

<«< Ainsi, disait M. lerapporteur, la Chambre peut apprécier quelle est la part du ministre et du maréchal dans la dévia★‹tion du système de l'occupation restreinte. »>

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