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l'état actuel de l'Espagne, elle ne ferait que compromettre la France dans sa dignité ou dans ses intérêts, comme dans sa prudence. Avais-je donc tort de dire que nous sommes jusque-là les continuateurs du 11 octobre et du 22 février?

« Plus tard, l'opinion du dernier cabinet est modifiée. Il envoie un nouvel agent à Madrid, lui donne une mission verbale pour offrir une coopération nouvelle qu'il regarde lui-même comme en dehors des traités. C'est ici que commence avec lui notre dissidence. A ce moment, il proposait une coopération qui, dans mon opinion, faisait accepter à la France la responsabilité de la politique intérieure de l'Espagne. Je ne crois pas trop dire en affirmant que dans le cabinet même il y eut partage. Vous comprenez maintenant pourquoi il s'est retiré, et pourquoi nous l'avons remplacé. Nous sommes arrivés, parce que notre politique est d'aider le gouvernement de la reine Christine de tout le poids de notre influence et conformément aux traités, mais sans accepter la responsabilité de la politique intérieure de l'Espagne. Avant tout, Messieurs, nous sommes Français, et nous ne voulons pas engager notre pays dans une question de laquelle pourraient sortir pour lui de si grands sacrifices et de tels embarras.

« Si nous avions commencé, il faudrait finir; car il nous importé avant tout que la France ne fasse rien qui ne soit digne d'elle. Nous ne voulions donc pas l'obliger à entretenir une armée considérable en Espagne lorsque déjà il nous faut en entretenir une autre en Afrique; nous ne voulions pas demander au pays des sacrifices sans terme pour un but incertain. Nous nous souvenions de 1809 et de 1823. Voilà toute notre politique.

«L'honorable préopinant a parlé de l'alliance anglaise, et à ce sujet il m'a personnellement interpellé. Je suis heureux d'avoir l'occasion de le déclarer à cette tribune: mon opinion personnelle est que l'alliance anglaise doit être la base de notre politique (Marque d'adhésion), et qu'aujourd'hui la paix de l'Europe serait compromise si cette alliance tendait à se rompre. »>

Réformant alors les accusations dirigées contre la politique anglaise, dans la question espagnole et sur l'occupation de Saint-Sébastien, M. le président du Conseil assurait que le cabinet anglais ne pouvait avoir la pensée d'une occupation permanente, et qu'elle cesserait avec les circonstances qui

l'avaient amenée.

Quant aux critiques faites sur les événemens de Belem, il répondait qu'en Portugal, comme en Espagne, on avait voulu s'abstenir d'influer dans la politique du pays..., et il remettait à répondre sur les affaires d'Afrique alors qu'on en viendrait à la discussion du paragraphe qui y était relatif.

M. le comte Boissy-d'Anglas, inscrit pour parler contre le projet d'adresse, traitant largement du système d'alliance, n'hésitait pas à regarder celle de l'Angleterre comme la plus funeste, et celle de la Russie comme la plus avantageuse pour les intérêts commerciaux et pour la sécurité de la

France. Il rappelait, à ce sujet, que, sans l'intervention de l'empereur Alexandre, le retour de la paix était acheté, en 1814 et 1815, par l'abandon de plusieurs provinces, et que depuis, son auguste successeur avait offert au dernier gouvernement la ceinture du Rhin, tandis que l'Angleterre, incessamment appliquée à humilier, à affaiblir la France, avait élevé et voudrait toujours garder contre elle les forteresses de la Belgique : aussi repoussait-il avec conviction entière le système qui avait prévalu à des époques désastreuses, d'unir la France à l'Angleterre et à l'Autriche, système reproduit maintenant, qui nous condamnait à la nullité extérieure la plus absolue, nous mettait dans l'impossibilité de réparer nos pertes, et contre lequel il était du devoir et de l'honneur. même de la Chambre des pairs de se prononcer.

La discussion qui se perdait en généralité fut ramenée, par M. le duc de Noailles, après une digression fort étendue sur les événemens passés en Espagne, depuis la mort de Ferdinand VII. L'honorable orateur suivant les phases diverses et les désordres de la révolution qui s'en était suivie, n'hésitait pas à regarder le testament de Ferdinand VII, la destruction de la loi salique en Espagne, comme un événement funeste aux intérêts de la France. Il comprenait comment le ministère avait été amené à y donner son assentiment et comment il avait été entraîné de cet assentiment à la conclusion de la quadruple alliance; de là, peut-être, à la coopération. Mais quoique l'alliance anglaise eût pu être dans les commencemens du Gouvernement actuel une nécessité pour lui, cette politique (dans l'opinion de M. de Noailles) avait engagé la France dans un système où ses intérêts pouvaient être gravement compromis.

D'ailleurs, les événemens survenus depuis quelque temps en Espagne, la proclamation de la constitution de 1812, la situation même de la reine à Madrid, avaient changé la face des choses, et avaient détruit virtuellement le traité de la quadruple alliance.....- La gravité de ces circonstances, le dé

sordre qu'elles pouvaient produire en Europe, l'importance qu'elles avaient pour nous, à raison de la proximité, nous donnaient parfaitement le droit d'appeler l'Angleterre ellemême à de nouvelles délibérations, de lui faire sentir combien les changemens survenus dans l'état des choses doivent changer les dispositions prises, et dès lors de prendre le parti ou d'abandonner entièrement l'Espagne à elle-même, ou bien de chercher, d'accord avec toutes les puissances et avec l'autorité d'un tel accord, le moyen de concilier tous les intérêts.....

En résumé, le discours de M. de Noailles tendait, à travers d'ingénieux ménagemens, à blâmer le système et la conduite de tous les ministères précédens, à l'égard de l'Espagne. Aussi, M. le duc de Broglie, président du 11 octobre, crut-il y devoir faire une réponse immédiate sur tous les points. Quant à la reconnaissance de la reine Isabelle, en vertu du testament de Ferdinand VII, il rappela que la loi salique, celle qui exclut les femmes du trône, n'avait jamais existé en Espagne, et que le changement introduit, en 1712, par la Pragmatique de Philippe V, n'avait aucun rapport avec cetto institution; que l'abolition de cette Pragmatique elle-même, prononcée par un acte des Cortès, datait de 1789. Quoique tenu secret à cette époque, cet acte n'en existait pas moins, et lorsqu'en 1830, antérieurement à la révolution de juillet, Ferdinand VII conçut la pensée de rendre sa fille héritière de son trône, il ne fit que valider cet acte dans une nouvelle réunion des Cortès, qui prêtèrent serment à sa fille. Ainsi le Gouvernement français, à la mort de Ferdinand VII, avait honoré le Gouvernement de droit et de fait dans la reine Isabelle. Il avait dû le reconnaître, il avait fait ce qui dépendait de lui pour prévenir la guerre civile, et la conséquence d'une guerre civile qui est une révolution.

Quant au reproche fait au Gouvernement français d'avoir poussé l'Espagne dans des voies révolutionnaires, M. le duc de Broglie le repoussait pour son administration et pour cha

cune des deux qui lui avaient succédé, et il affirmait que le traité de la quadruple alliance n'avait été conclu que dans des vues d'ordre et de pacification, pour éloigner les deux prétendans des trônes de Portugal et d'Espagne par des engagemens et des moyens variés, en raison de la position des parties contractantes et de l'intérêt qu'on avait au but final...

Le traité avait été un moyen pris pour affranchir les deux Gouvernemens qu'il intéressait plus particulièrement de la nécessité de se jeter entre les bras des partis, pour éviter, autant que possible, les conséquences révolutionnaires d'une situation que le Gouvernement français n'avait pas faite...

Il venait d'être proposé un moyen de mettre fin aux troubles de l'Espagne, c'était de convoquer un nouveau congrès de Vérone.... Mais si le Gouvernement se prêtait à de pareils conseils, disait M. de Broglie, il pourrait mériter alors le reproche qu'on lui adresse très injustement aujourd'hui, de rentrer dans les voies de la Restauration.... Et, dans tous les cas, si ce traité devait subir un changement quelconque, ce changement devait être fait par ceux qui l'ont signé et non pas d'autres.

« Ce qui importe au Gouvernement français dans cette situation, dit en terminant M. de Broglie, c'est de continuer la politique qui a été suivie jusqu'ici, c'est-à-dire de faire ce qui dépend de lui pour l'affermissement du Gouvernement établi dans la Péninsule. Tout ce qu'il pourra dans ce but, tout, dis-je, excepté ce qui compromettrait ses intérêts essentiels, ce qui le priverait de toute liberté d'action en Europe, ce qui aurait, sinon pour tendance directe, du moins pour résultat, de placer la France à la discrétion de l'Espagne, le Gouvernement français dans la dépendance du Gouvernement espagnol, de rendre la France solidaire et le Gouvernement français responsable des événemens de la Péninsule; c'est là, à mon avis, ce que le Gouvernement français ne doit jamais faire. Il lui importe, dans sa situation en Europe, d'avoir liberté d'action et d'avoir constamment la disponibilité de toutes ses forces, de toutes ses ressources. Cependant, je ne suis pas absolu; je n'entends pas poser ici des principes généraux; je ne crois pas qu'un Gouvernement sensé doive dire: Jamais. Je crois seulement que, en ce moment, nous ne sommes pas dans un de ces cas exceptionnels où l'intervention à venir serait justifiée par le droit des gens; mais je conçois une foule d'hypothèses dans lesquelles nous pourrions nous y trouver.

« Dans ce moment elle aurait de graves dangers, et elle n'aurait pas les avantages qu'on s'en promet; mais je conçois une foule d'hypothèses dans lesquelles ce serait le contraire, et dans lesquelles le Gouvernement français doit s'engager sur des principes et non pour ou contre des mesures; mais je

Ann. hist. pour 1837.

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pense qu'en faites faire ce qui n'aurait pas été fait jusqu'ici. jusqu'ici, et à ne

actuellement, il doit continuer à faire ce qui a été fait

« C'est là mon opinion personnelle, c'est l'opinion que j'ai emportée des affaires, quand je m'en suis retiré. Je n'ai rien vu depuis qui m'ait déterminé à en changer. Je crois donc que le remède proposé par le préopinant, qui consisterait à rassembler l'Europe en congrés et à charger la France d'exécuter les arrêts de ce congrès, doit être évité à tout prix, à toujours et à jamais. want

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Après ces explications importantes à recueillir comme éclaircissemens sur le système du ministère du 11 octobre, à l'égard de l'Espagne, vinrent d'autres justifications sur la conduite du ministère du 22 février, présentées par M. Cousin. Il commençait par établir que la politique du cabinet dü 11 octobre et du 22 février, hautement consacrée par l'adhésion formelle et les suffrages des deux Chambres, n'avait jamais rejeté absolument la légitimité et l'utilité d'une intervention....

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«Jamais, dit M. Consiti, les cabinets précédens n'ont déclaré en principe qu'ils n'interviendraient à aucun prix et dans aucun temps; mais en fait ils n'ont pas cru devoir intervenir..... Mais à la place de cette intervention ne jugeaient ils ont pratiqué le système connu sous le

qu'ils coopération, Messieurs, c'est l'intervention sous

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nom de le drapeau français, c'est l'intervention officielle, cette intervention qui compromet, qui peut sauver et qui peut perdre aussi, et qui attache la France avec l'Angleterre à la destinée de l'Espagne. La coopération, c'est un secours efficace, plus ou moins considérable, selon les circonstances, donné à un allié, sans engagement direct, ultérieur, sans l'argent et surtout sans le drapeau de la France..... >>

Ici M. Cousin, en preuve que le ministère du 11 octobre avait hautement pratiqué le système de la coopération avec le sang de la France, mais sans le drapeau de la France, rappelait l'autorisation donnée au duc de Frias, et publiée dans le Moniteur, d'enrôler jusqu'à 15,000 hommes pour le service de l'Espagne, et la cession de la légion d'Alger à la reine d'Espagne, légion composée de 6 à 7,000 hommes, et dans laquelle il y avait près de 5,000 Français, et il observait que le cabinet du 22 février, arrivant aux affaires, n'avait fait et voulu faire, que ce qu'avait fait et voulu celui du 11 octobre, qu'il s'était borné à coopérer, mais sur une plus grande échelle. Il avait décidé qu'au lieu d'autoriser seulement les

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