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« Je demanderai à tous les hommes de bonae foi, à tous ceux qui connaissent la valeur des actes du pouvoir, sous quelque forme qu'il se mani-feste, ce qu'ils auraient pensé à ma place, en recevant la nouvelle que le Gouvernement apprenait avec satisfaction que j'entreprenais l'expédition de Constantine, et qu'un fils du roi partait pour l'Afrique. M. le duc de Nemours venait-il seulement en Afrique pour visiter une ville secondaire ? Messieurs, je ne devais pas le croire, je ne l'ai point cru; et j'ai vu, au contraire, dans le voyage du prince, l'approbation la plus formelle de la décision que j'avais prise. »

Quant aux résultats de cette expédition, M. le maréchal en voyait un utile dans la possession du poste de Ghelma qui devait servir de point de départ à une seconde expédition, et diminuer ainsi les obstacles qui avaient complété le succès de la première.

D'ailleurs il ne prétendait atténuer ni la portée de nos pertes ni les justes regrets qu'elles excitent; mais, en abordant les causes auxquelles on voulait attribuer le non succès de l'expédition :

Elles sont de trois sortes, disait M. le maréchal Clausel :

1° La faiblesse numérique des troupes;

2o Le choix de la saison;

3o L'insuffisance des moyens de transport et des approvisionnemens de toutes espèces.

« Quoique j'eusse demandé des forces supérieures à celles qui m'ont été accordées, les forces que j'avais étaient suffisantes pour aller à Constantine. Mais, en opérant sur d'autres points, un plus grand nombre de soldats auraient, préservé de tout danger et de toute inquiétude les provinces d'Oran et d'Alger. Avec quelques milliers d'hommes de plus, ont eut mis tout mon systéme à exécution, on eût fortement occupé Guelma, et alors il est probable que, sans attendre nos attaques, Constantine nous eût ouvert ses portes.

« La saison n'était pas trop avancée pour entreprendre l'expédition. N'avons-nous pas eu, à notre retour de Constantine, une série de beaux jours qui à duré plus d'un mois? J'ai rencontré en Afrique les froids et les neiges de la Russie, et s'il était permis à un général de ne pas les prévoir, c'était assurément dans ce pays.

« Quelle est donc la véritable cause de notre non succès? Le mauvais état et l'insuffisance du matériel. Voilà ce qui a retardé notre marche et fait arriver l'armée devant Constantine, dépourvue, par la séparation de ses équipages, des subsistances qu'ils portaient et qui lui eussent permis de rester quelques jours de plus devant cette place.

«La principale cause du non succès de l'expédition de Constantine a été une circonstance indépendante de toute prévoyance humaine. Et cependant on s'est armé de cet accident pour exécuter contre moi une machination ourdie depuis quelques années. On m'a destitué pour ne pas avoir été plus fort que les élémens et ne m'ètre point emparé de Constantine.

« Cependant, Messieurs, j'ai la présomption de penser que tout autre

général, mis à la tête du même nombre d'hommes, placé dans les mêmes circonstances et réduit aux mêmes moyens, n'aurait peut-être pas obtenu de plus heureux résultats que moi.

« Non, l'expédition de Constantine n'a point été un désastre, quoiqu'on se soit empressé de le qualifier ainsi par un sentiment que je crois peu français. Non, l'armée n'a pas péri dans cette expédition; il n'y a eu ni défaite ni échec, il y a eu non succès occasioné par l'inclémence du temps et le mauvais état du matériel mis à ma disposition.

« L'armée, je l'ai ramenée à Bone au milieu des difficultés qui n'étaient pas du fait de l'ennemi, et des obstacles qu'on m'avait suscités dans son sein pour contrarier mes efforts. Je l'ai ramenée à Bone pour la conduire de nouveau à Constantine. Cette mission m'a été enlevée.

«Quoi qu'il en soit, l'expédition de Constantine a donné lieu à des procédés d'une gravité bien nouvelle. Rentré en France, j'ai trouvé ma correspondance livrée à tous les commentaires par le ministre qui, ayant approuvé ma conduite hors de cette Chambre, devait, ce me semble, la défendre devant elle.

« Absent, j'ai été traduit à votre barre (de toutes parts: Non! non!), et, contrairement à tous les usages reçus, mes actes y ont été attaqués, incriminés sans qu'il me fût possible de me défendre. Enfin, sans m'entendre, et ne s'éclairant que des allégations de mes adversaires, une commission s'est portée juge de mes opérations comme général en chef, en dehors peut-être de tous droits.

« Tous ces précédens sont sans exemple, en France, depuis que nous sommes placés dans l'ordre du gouvernement représentatif.

« Quant au fond de la question, seul point de ce débat qui soit véritablement digne des sollicitudes du pays, permettez-moi de le répéter avant de quitter cette tribune arrêtez une fois pour toutes le but que vous voulez atteindre; sachez bien si vous voulez conserver ou abandonner Alger, et surtout osez ayouer votre pensée.

« Mais, de grâce, ne mêlez point à ce grand intérêt si net, si positif, si appréciable, les petites ambitions ministérielles et les déplorables oscillations de la politique intérieure. S'il est une question qui se refuse au système de bascule, c'est la question d'Alger.

« Dans l'hypothèse de l'abandon, je n'ai rien à dire : l'opinion du pays est connue, et tout le monde sait le jugement qu'il en porterait.

<«< Mais, si vous voulez conserver Alger, mettez-vous franchement en face de toutes les nécessités de la conservation, et ne reculez devant aucune.

« C'est en allant droit aux choses, en les étudiant sous tous les aspects, qu'un précédent chef du cabinet a été si rapidement et si complétement convaincu.

Mais qu'ai-je besoin de plaider ici la cause de nos possessions d'Afrique? Ce procés, gagné devant vous l'année dernière, ne peut plus y être perdu ; et si un doute existait encore dans votre conscience, il suffirait, pour les dissiper, qu'un éloquent orateur se répétât, et que vous, Messieurs, vous vous rappelassiez votre vote de 1856.

« Ce qui, pour vous, était vrai et nécessaire il y a un an ne saurait être faux et superflu aujourd'hui.

« Les grands intérêts de la politique ne changent point ainsi de nature en un clin-d'œil.

« Je ne puis le dire et le répéter trop haut, Messieurs pour l'occupation et la pacification de l'Afrique, vous avez un moyen plus puissant que les sacrifices d'hommes et d'argent, c'est de déclarer en face du monde que l'Algérie est réunic à la France; qu'elle fait partie de notre territoire, et est mise comme telle sous la sauvegarde de notre volonté et de notre honneur ! >>

A ce discours, que nous avons dû, en y retranchant quelques personnalités, opposer comme une réponse de l'honorable maréchal aux attaques de la commission, succéda une improvisation spirituelle de M. Jaubert, dont l'objet était de prouver que le ministère avait manqué dans les affaires d'Afrique de système. La nomination du gouverneur-général était à ses yeux une faute immense du ministère, parce qu'il était pris dans l'opposition la plus avancée, et parce qu'il s'était montré sur la question particulière d'Alger le contradicteur absolu des idées du ministère.

L'orateur, suivant la série des événemens, y voyait dans la conduite du maréchal une opposition constante aux intentions du Gouvernement, qu'il éludait, violait ou bien outrepassait ouvertement, surtout et au sujet de la contribution de Tlemcen. Une enquête parlementaire lui paraissait nécessaire.

Quant à la malheureuse expédition de Constantine, M. Jaubert n'hésitait pas à en rejeter le tort sur le ministère du 22 février, qui l'avait autorisée contre le vœu formel de la Chambre et au-delà des prévisions du budget; et, sans être beaucoup mieux disposé en faveur du cabinet du 6 septembre, il reconnaissait que sa situation était assez difficile en face des affaires d'Alger, et qu'à cet égard il portait tout le poids des fautes antérieures.... En résumé, M. Jaubert regrettait qu'au lieu de ces débats, de ces incertitudes, de ces oscillations, de cette lutte diplomatique, où les deux partis montraient si peu de confiance l'un pour l'autre, le ministère n'ait pas eu le courage d'empêcher franchement l'expédition de Constantine.

«Il faut en dire la cause, ajoutait M. Jaubert: on a eu peur encore cette fois des journaux. Remarquez que l'intervention en Espagne venait d'être refusée, ce qui était un acte très grave auquel, pour ma part, j'applaudis complétement. Mais on ne voulait pas avoir l'air de reculer partout à la fois voilà pourquoi on a fait l'expédition de Constantine. Je le dis, parce que c'est mon devoir de le dire, on a cédé dans cette occasion à un faux point d'honneur. >>

En jetant un coup d'œil rapide sur cette expédition, en déplorant les fautes commises et ses résultats désastreux,

l'honorable orateur n'en rendait pas moins hommage à la fermeté, à l'énergie que le maréchal Clausel avait montrée dans la retraite.

Sur la question de l'occupation d'Alger, M. Jaubert consentait à ce qu'on y conservât quelques points du littoral, et un bon établissement maritime et commercial. Mais sa conviction intime était qu'au premier coup de canon tiré sur le Rhin, on abandonnerait Alger, dont l'occupation, dans le système qu'avaient conçu le maréchal Clausel et le président du Conseil du 22 février, aurait exigé de la France le sacrifice de cent millions et la mise sur pied de cent mille hommes.

Enfin, après s'être élevé contre l'écrit récemment publié par le maréchal, écrit qui tendait à jeter le découragement dans les officiers de l'armée, et suffirait à lui seal pour motiver la révocation prononcée par le Gouvernement, M. Jaubert, après avoir signalé les fautes commises dans la direction. des affaires d'Afrique, terminait par des réflexions piquantes sur la composition actuelle du ministère, qu'il croyait disposé à louvoyer, mais inhabile à conduire d'une main ferme le vaisseau de l'Etat.

19-20 avril. Selon M. de Rancé, aide-de-camp du maréchal Clausel, qui prit la parole après M. Jaubert, nous n'avions pas réussi jusqu'à présent à faire un établissement sérieux et utile en Afrique, uniquement parce qu'il y avait eu de la part du Gouvernement, et il entendait par là tous les ministères, absence absolue de conviction de système et de plan bien arrêté. La conduite du maréchal Clausel avait toujours été conforme aux instructions écrites ou verbales qu'il avait reçues. Les expéditions de Mascara et de Tlemcen étaient nécessaires; elles avaient reçu l'approbation du ministre, et la commission s'était étrangement trompée sur l'expédition de Constantine dont l'intempérie de la saison avait seule empêché la prise.

Telle n'était pas l'opinion de M. Baude, dont la mission qu'il venait de remplir en Afrique rendait le témoignage

puissant auprès de la Chambre. Il en était revenu convaincu que notre établissement peut s'y maintenir et s'y développer avec des frais modérés et proportionnés aux avantages qu'il nous procurera, mais plus convaincu encore que le système turbulent et irréfléchi, si éloigné des engagemens pris devant Ja Chambre, qu'il y avait vu en action, conduit inévitablement à l'abandon par lassitude, si la paix générale doit durer, à l'expulsion, si les chances d'une guerre européenne rappelaient nos soldats d'Afrique sur les Alpes ou sur le Rhin.

S'attachant spécialement aux affaires qui motivaient une demande de crédit, l'honorable membre exposait en détail ·les faits relatifs à la contribution de Tlemcen, qui devait peser sur nos ennemis les Hadars plutôt que sur les Coulouglis; il donnait, sur les extorsions et les violences dont elle avait été suivie, des détails qui soulevèrent plus d'une fois l'indignation de la Chambre. A cet égard, il avouait l'appui qu'il avait donné à la malheureuse famille Kasnadji; mais il repoussait énergiquement le reproche qui lui avait été fait d'avoir présenté un maréchal de France comme associé à des fripons.

«La faute de l'ancien gouverneur-général, ajoutait M. Baude, c'est d'avoir livré aux plus odieuses extorsions des hommes que sa protection devait couvrir; c'est d'avoir compromis ainsi l'honneur de notre domination et l'influence à laquelle nous devons prétendre.

« Les opérations financières de Tlemcen nous ont fait, dans la province de Constantine, plus de mal qu'une bataille perdue; elles ont éloigné de nous les populations, elles ont étouffé la confiance dans nos promesses, et c'est une des raisons qui autorisent à dire que le résultat de la dernière expédition a été la conséquence inévitable de la direction donnée à nos affaires en Afrique. La manière dont nous traitous nos amis de l'ouest était peu propre à nous en attirer de nouveaux, et les effets de l'occupation du Méchouar de Tlemcen et de Tafna n'effrayaient pas beaucoup nos ennemis. »

Un autre fait aussi sévèrement caractérisé par M. Baude, était celui de la nomination de Youssouf, chef d'escadron des spahis, à la dignité de bey de Constantine. Cette mesure, prise sans l'assentiment, du moins officiel, du Gouvernement, avertissait Achmet de ne plus compter sur la neutralité réciproque qui faisait sa sécurité. Elle l'arracha à son repos, et il

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