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du pays, par Abd-el-Kader. Vous avez un autre genre de population contre vous, ou plutôt les restes d'une population, c'est la population turque qui est à Constantine, et qui est représentée par Achmet-Bey; c'est de là qu'elle tire souvent des ressources et un encouragement, dit-on, secret. Quant à la population turque de Constantine, elle s'appuie sur le voisinage turc quí est à Tunis, et même elle s'appuie sur Constantinople.

«Eh bien! voilà les deux hostilités en présence desquelles vous étiez placés. La guerre étant engagée sur tous les points, le projet du cabinet du 22 février était de la faire active et incessante à Oran jusqu'à ce qu'Abd-elKader fût forcé à nous céder une portion de souveraineté ou à traiter avec nous à des conditions qui pussent nous offrir des garanties de sécurité.

« Notre projet était ensuite d'agir non seulement à Alger, s'il était néces saire, mais simultanément à Constantine, pour produire un effet moral sur les populations, et pour amener Achmet-Bey à traiter avec nous.

« Il faut que vous connaissiez un fait d'une grande gravité et qui a le plus contribué peut-être à décider l'expédition de Constantine. Déjà le bey de Tunis avait communiqué avec la Porte; on pouvait craindre qu'il ne reçût l'investiture du beylick de Constantine; on pouvait craindre que cela amenât de graves difficultés avec la Porte; et je dois dire même quelques-unes de ces difficultés s'étaient déjà produites; un envoyé secret était arrivé; on disait qu'il avait apporté l'offre de l'investiture. En outre, nous savons tous que des ressources avaient été envoyées de Tunis à Constantine. Tout le monde a su par les journaux que, par une précaution je crois fort sage, nous avons envoyé M. le contre-amiral Hugon pour empêcher toute tentative qui aurait pu avoir pour effet de raviver les espérances d'Achmet-Bey et de rendre à l'hostilité que j'appelle turque, une nouvelle énergie contre nous.

<< Dans cette situation, nous pensames qu'il fallait agir à Oran, à Alger et à Constantine simultanément, non pour conquérir la province de Constantine, mais pour arriver à un de ces deux résultats, ou de traiter avec AchmetBey, s'il y avait quelques avantages, ou de mettre à sa place un bey de nomination française.

« Ainsi, ce n'était pas dans le but d'une conquête complète de la régence qu'on peut faire ou ajourner, non plus que dans le but de håter la colonie, mais dans le but uniquement de faire une guerre sérieuse, de la faire vite, et de faire la guerre comme il faut la faire quand on veut qu'elle réussisse. Voilà les motifs qui nous ont déterminés. »>

Dans la conclusion de son discours, M. Thiers se plaignait

que la commission eût semblé vouloir jeter tout le blâme, le malheur, la responsabilité de l'expédition sur le cabinet du 22 février et sur le maréchal Clausel; il ne voulait pas lui en accuser le 6 septembre ; il se bornait à dire que le 22 février voulait une chose raisonnable, qu'il la voulait avec des moyens et dans une saison qui pouvait faire espérer le succès........

22 avril. Il serait trop long de nous arrêter, soit au discours de M. Piscatory, qui défendit ensuite la commission des intentions qu'on venait de lui prêter, et démontra que le système du 22 février rentrait dans celui de la guerre perpétuelle et de l'occupation illimitée; soit à la réplique de

M. Thiers, qui developpa de nouveau son opinion; soit au discours de M. de la Martine, qui, flétrissant le système de la guerre perpétuelle, de la conquête et de la colonisation, comme les Romains l'avaient entendu et appliqué, plaidait', en termes éloquens, la cause de la civilisation moderne et de l'hnmanité, et se refusait à voter aucun crédit pour l'expédition de Constantine, qu'il considérait comme inconstitutionnellement dérobée l'année dernière à la Chambre et au pays. Il nous suffit de faire observer que deux ministres du 6 septembre (MM. Molé et Guizot) crurent nécessaire de remonter à la tribune; le premier, pour expliquer le plan et le système du cabinet précédent que celui-ci entendait suivre pour arriver à la pacification et à l'occupation restreinte; le second (M. Guizot), pour établir en quoi différaient les systèmes des deux cabinets du 22 février et du 6 septembre.

Dans l'opinion de M. Guizot, le système du 22 février, inspiré par le maréchal Clausel, était le système de l'occupation universelle, militairement organisée sur tous les points importans de la régence.

<«<< Il a été mis en pratique dans la province d'Oran. Pendant le même temps, on commençait à poursuivre le même but dans la province d'Alger; là aussi on annonçait l'intention d'occuper toutes les places, d'y établir des garnisons, de lier toutes les places entre elles par des camps. On l'a tenté; on l'a commencé aussi dans la province de Bone: l'expédition de Constan tine faisait partie de ce plan. On liait Bone à Ghelma par le camp de Dréan. On devait établir un camp entre Ghelma et Constantine. En un mot, c'était partout le système de l'occupation universelle militaire, aboutissant, 1o å l'occupation des places par des garnisons françaises ou des indigènes à là solde de la France; 20 à l'enchaînement de toutes ces places entre elles par des camps retranchés; 5o à l'établissement sur tous les points où nous ne serions pas nous-mêmes, de beys nommés par nous; 4o enfin, à des expéditions fréquentes pour ravitailler et soutenir les places, les camps, les beys.

Un pareil système entraînait une guerre permanente avec la population arabe. Il emportait la nécessité d'imposer au pays des chefs, un gouvernement dont la France avait toujours à répondre. Voilà pourquoi le cabinet du 6 septembre avait répudié le système dans lequel il trouvait l'administration engagée.

<«< Mais alors, disait-on, pourquoi, puisque vous vouliez

changer le système, ne l'avez-vous pas fait sur-le-champ, nettement, complétement? Pourquoi avez-vous autorisé l'expédition de Constantine, qui était un pas de plus dans la voie dont vous vouliez sortir? Qui vous y engageait et vous imposait des difficultés de plus ? »

Ici, M. Guizot semblait passer condamnation; il ne niait pas que considérer les choses d'une manière abstraite, cela n'eût mieux valu, mais on était engagé, les préparatifs étaient faits en partie; on avait une opinion puissante à ménager, et par cela seul que le système était déjà engagé.

« C'est ce qu'a fait le cabinet, dit M. Guizot, c'est la résolution à laquelle il s'est arrêté. On lui disait que s'il abandonnait l'expédition de Constantine, s'il changeait précipitamment de systéme, les Arabes reprendraient -courage; que notre armée serait abattue, découragée; que ce serait le signal, non pas d'une modification dans le système d'occupation, mais d'un commencement d'abandon de l'Afrique. La presse, à Paris, répétait et répandait ces calomnies. Dans cette situation, une conduite prudente, réservée, était imposée au cabinet. C'est le motif qui l'a déterminé à autoriser le maréchal Clausel à faire l'expédition; mais il l'a autorisé en répétant qu'il répudiait le système jusqu'alors suivi ; que c'était par des motifs particuliers, par des considérations d'urgence qu'il autorisait l'expédition; mais que, quant au système, on n'y ferait pas un pas de plus, et qu'on se mettrait dès ce moment en mouvement pour le modifier.

« C'est dans ces termes que M. le maréchal Clansel a été autorisé à faire l'expédition. Elle n'a pas réussi ; qu'a fait sur-le-champ le gouvernement ? Il a changé le système tout entier, hommes et choses; il a rappelé le maréchal Clausel, non pas parce qu'il avait été malheureux, non pas parce qu'il avait essuyé un échec, mais parce qu'il était en Afrique le représentant du système de l'occupation universelle et guerroyante. C'est à cause de cela que M. le maréchal Clausel a été rappelé par le cabinet du 6 septembre.

« Et en même temps que le maréchal Clausel était rappelé, le cabinet a pris grand soin d'envoyer en Afrique des hommes, des administrateurs attachés au système qu'il s'agissait de faire prévaloir, attachés par leur propre opinion, par leur conviction. Il ne faut pas croire que ce soit une chose indifférente, surtout dans un pays libre, d'avoir des instrumens soumis ou des hommes qui, de leur propre pensée, spontanément, volontairement, concourent avec le gouvernement qui les emploie. Cette spontanéité est indispensable, quand on opère à distance, quand il faut laisser aux employés une large mesure d'indépendance. Il importait donc que les hommes placés à la tête des affaires fussent par eux-mêmes, par leur propre pensée, enclins à fonder le système nouveau d'occupation limitée et de paix.»

Ces explications, données pour la justification des ministères du 22 février et du 6 septembre, ne semblaient plus laisser matière à discussion, et pourtant on revint encore à la charge; M. Thiers, pour démontrer que l'occupation li

mitée, comme on l'entendait, menait à l'abandon; M. Guizot, pour assurer qu'il n'avait point entendu traiter la question de la guerre actuelle, mais du système permanent à suivre...

23-24 avril. D'autres orateurs (MM. Bresson, Passy et Robineau) encore entendus, la discussion générale, arrêtée par des objets étrangers que nous avions d'abord à rappeler, fut fermée pour la seconde fois...

23-26. Il se trouvait au nombre des crédits supplémentaires une somme de 70,000 fr., dont on demandait l'allocation, au nom du département des affaires étrangères, pour frais extraordinaires de représentation à M. de Sainte-Aulaire, au couronnement de l'empereur d'Autriche à Prague, et d'une mission extraordinaire de M. le colonel de Larue, envoyé à l'empereur de Maroc, pour empêcher les secours qu'Abd-el-Kader en recevait ou pouvait en recevoir. L'un et l'autre crédits furent contestés par l'opposition; la première, parce que le traitement de l'ambassadeur français à la cour d'Autriche semblait assez considérable pour faire face aux frais d'un voyage dont il pouvait d'ailleurs être dispensé ; le second, parce qu'on aurait voulu, avant d'accorder l'allocation, savoir le résultat de cette mission, que le ministre ne jugea pas encore convenable de faire connaître.

Les crédits relatifs aux expéditions d'Afrique (7,596,478 fr. 11 c.) passèrent sans difficulté; mais les débats dont la Chambre était fatiguée se ranimèrent plus ardens que jamais à l'occasion de l'art. 5, portant un crédit de 94,444 f., pour restitution de la contribution de Tlemcen... Là se reproduisirent des reproches et des justifications, que l'on croyait épuisés. M. Odilon Barrot, considérant la question sous un rapport nouveau, accusait la commission d'avoir usurpé l'initiative et les droits du Gouvernement en se portant juge d'un fait qui n'était pas de sa compétence, en prononçant une restitution et en accordant des fonds qu'on ne lui demandait pas. Quoique le scrupule du chef de l'opposition parût un peu étrange, on lui donna pourtant satisfaction en introduisant

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dans l'article une modification qui laissait au pouvoir exécutif la faculté d'examiner les droits des parties et de prononcer sur les restitutions à faire; et, moyennant cette clause, qui ne passa, ainsi que le renvoi de la pétition des habitans de Tlemcen au président du Conseil, qu'à une faible majorité, l'ensemble des crédits supplémentaires pour 1836 fut adopté à une majorité de 154 voix (195 contre 59) et fut voté par la Chambre des pairs (24 juin) à la suite d'une discussion, où M. le général Rogniat et M. le duc de Mortemart donnèrent des renseignemens précieux à consulter pour l'histoire de l'établissement colonial d'Alger (1).

Quelques objets intéressans avaient interrompu cette discussion des affaires d'Afrique. Il faut y revenir.

Dès le lendemain du jour où le président du Conseil était venu présenter à la Chambre des députés un projet de loi pour l'accroissement de la dotation du prince royal et la fixation du douaire de la princesse (18 avril), les bureaux s'étaient occupés de l'examen de ce projet.

Dans un seul (le 1er), un membre (M. Auguis) avait repoussé toute augmentation; il trouvait que la Chambre de 1852 s'était déjà montrée bien prodigue en affectant au prince héréditaire une dotation annuelle d'un million; il représentait qu'en Angleterre et même en Autriche et en Russie, les dotations ou revenus des princes, étaient beaucoup moins considérables. Dans d'autres bureaux, il avait été proposé de porter le supplément de dotation à 1300 mille fr. et même à deux millions, auxquels on voulait encore ajouter le domaine de Rambouillet.

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(1) Gette querelle d'Alger, vidée à la tribune législative, devait retentir encore devant les tribunaux, où le maréchal Clausel attaqua en calomnie les signataires de la pétition des habitans de Tlemcen, et devant un conseil de guerre, où le ministre de la guerre fit traduire le général de Rigny, pour. fait d'insubordination dans la retraite de Constantine. Mais ces deux jugemens rentrent dans la catégorie des événemens particuliers, dont nous aurons à rendre compte dans une autre partie de cet ouvrage. (Voyez la Chronique,)

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