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disait l'opposition; mais, si cette conviction était dans la pensée des ministres, ils devaient le déclarer franchement.

M. Salverte aussi, après une digression fort étendue sur l'abus des fonds secrets pour salarier l'espionnage et des écrits calomniateurs, demandait au ministère le programme de sa politique intérieure et extérieure, et ce qu'il comptait faire des lois déjà signalées par M. Havin.

Interpellé de tant de côtés à la fois, M. le président du Conseil, à peine rétabli d'une grave indisposition, esseya de répondre à ses adversaires. Quant à la sommation qu'on venait de lui faire de produire son programme, de dire le système politique qu'il entendait suivre, M. Molé trouvait la question bien vague. Pour lui, le véritable esprit du Gouvernement consistait à aborder les circonstances telles qu'elles se présentent, avec l'esprit libre de toute préoccupation du passé. Ce qu'il croyait fermement, c'est que la politique qui a prévalu depuis sept ans, avait sauvé la France; ce qu'il pouvait promettre pour lui et ses collègues, c'était de gouverner selon leurs convictions, d'après les besoins du moment.

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Quant à la question soumise à la délibération de la Chambre, jamais nécessité de gouvernement n'avait été plus démontrée à ses yeux que celle du vote des fonds secrets et du voté le plus complet des fonds que les ministres demandaient.

« Je ne dois pas hésiter à l'avouer, dit l'honorable président du Conseil, il nous serait impossible de répondre du dépôt sacré qui nous est confié, de la vie du roi, de l'ordre public, si vous ne remettiez pas en nos mains lès moyens qui nous semblent nécessaires.

Sans doute, c'est un vote de confiance que nous vous demandons, et, pour ma part, Messieurs, je désire bien qu'il soit ainsi entendu. Il nous importe, et je dirai il vous importe, que nous sachions si nous avons votre confiance, et si, par conséquent, nous pouvons espérer de nous rendre utiles au pays. Personne n'est plus pénétré que moi de cette nécessité du concours et de l'accord le plus parfait entre les trois branches du pouvoir. Si donc, cette confiance nous ne l'obtenions pas franchement et de la manière la plus explicite, il ne nous serait pas possible de nous charger plus long-temps de cette tâche.

« On nous demande de nous expliquer sur nos vues politiques; on nous interroge sur l'avenir, sur le passé, sur le présent. Messieurs, quant à l'avenir, il n'appartient à personne, et ce ne peut pas être sérieusement qu'on nous demande ici de l'engager. Assez de questions peuvent nous être adressées sur le présent, pour qu'il y ait là matière à explications suffisantes.

L'honorable M. Salverte, par exemple, nous a demandé comment nous avons entendu le retrait de la loi d'apanage.

«Messieurs, je m'expliquerai ici trés franchement. Si j'avais cru que le principe de l'apanage fût contraire à l'esprit de nos institutions, croyezvous donc que je me serais chargé de vous le présenter? Cependant, en retirant la loi, nous agissions encore avec conviction. Je demande à m'expliquer, afin que, s'il est possible, on n'abuse pas de mes paroles.

« Le roi, et ici je suis obligé de me servir de son nom, n'a pas voulu comme j'ai eu l'honneur de vous le déclarer à cette tribune, que trois lois concernant sa famille fussent discutées dans la même session. Si nous avions cru devoir persister à vous demander l'apanage, assurément nous lui en eussions donné le conseil; mais nous avons cru aussi qu'il y avait des mouvemens d'opinion dont je ne serais pas embarrassé de citer des exemples dans le passé, qu'il y avait telle disposition des esprits où c'était rendre service à la royauté, aux Chambres et au pays, que d'abandonner certaines questions.

« Voilà, Messieurs, ce que nous avons fait. Je ne crains pas de le dire, co n'est ni plus ni moins que cela. Je ne sais de quelle manière cela a été interprété de part et d'autre. Nous sommes prêts à répondre, à repousser toutes les attaques; mais nos intentions, les voilà.

« Maintenant, on nous dit : « Mais les autres lois présentées, qu'er ferezvous ? » Messieurs, je vous répondrai avec la même franchise. La loi de nonrévélation est devant une autre Chambre, devant une commission qui y a fait, je le sais, de nombreux amendemens. Nous n'en avons pas encore pris connaissance; lorsque ce travail nous sera connu, nous verrons à prendre un parti.

« Quant à la loi de déportation, Messieurs, permettez-moi de le dire, c'est vous qui l'avez voulue; elle n'est que l'exécution des lois de septembre, que nous maintiendrons comme toutes les lois.

« Je suis de ceux qui pensent que c'est un tort pour tous les Gouvernemens de laisser tomber les lois en désuétude. Elles sont bonnes ou elles sont mauvaises; mais tant qu'elles existent, leur devoir est de les respecter et de les exécuter.

« Nous avons donc présenté un projet de loi conforme à une disposition des lois de septembre; nous en réclamerons la discussion, et la Chambre décidera.

« Voilà, Messieurs, les explications que j'avais à donner; elles auront au moins le mérite de la simplicité et de la franchise. Maintenant, je le répète, ne perdons pas de vue le véritable caractère du vote que nous sollicitons. Je désirais avec ardeur, et depuis long-temps, de voir arriver cette discussion, et surtout le vote qui doit s'ensuivre. Il résoudra, Messieurs, bien des questions. S'il nous apprend que nous avons votre confiance, alors, nous ne songerons plus qu'à nous en rendre dignes chaque jour davantage, en gouvernant le pays selon nos communes convictions. >>

On a recueilli la plus importante partie de ce discours, parce qu'il révèle plus explicitement que tout autre le système que le cabinet du 15 avril entendait suivre, et qu'il laisse entrevoir les motifs qui l'ont déterminé à retirer ou plutôt à laisser mourir les lois de non-révélation et de déportation.

Après M. Lacrosse, qui votait contre l'allocation demandée, parce qu'elle avait pour objet d'étendre le système de l'espion

nage dans les coins les plus reculés et dans l'armée (reproche énergiquement repoussé par le ministre de la guerre); après M. Muret de Bort, qui soutenait la nécessité d'étendre et de fortifier la surveillauce, et donnait l'idée de substituer aux subventions particulières, faites à certaines personnes, la création d'une presse à bon marché, d'une presse gouvernementale, destinée à combattre les mauvaises passions et les doctrines pernicieuses, et qui conseillait au Gouvernement cette résolution qui fait la force des hommes d'état, qui fait face aux difficultés au lieu de leur tourner le dos, vint M. Jaubert, l'un de ces amis de l'ancien ministère qui l'avaient quelquefois contrarié, mais dont la verve mordante et la raison sarcastique ne préparaient pas moins de soucis et d'embarras au nouveau cabinet que les attaques de l'opposition.

Il était bien loin de partager la confiance que le ministère avait témoignée sur l'état du pays et sur la possibilité d'une conciliation prochaine entre les partis. Les événemens qui s'étaient succédé depuis dix mois n'étaient rien moins que rassurans. Jamais, selon l'honorable orateur, la continuation d'une action forte de la part du Gouvernement n'avait été plus nécessaire, et ce n'était pas du tout le moment de faire aux partis les avances et les concessions que leur faisait tout à l'heure M. le président du Conseil.

Ainsi, M. Jaubert n'approuvait pas qu'on eût retiré la loi d'apanage. Le Gouvernement avait reculé devant une opinion factice, provoquée par des écrits passionnés. Il était de son devoir de braver cette discussion à la tribune, et d'éclairer le pays, qui aurait répondu par son adhésion formelle à une proposition éminemment monarchique....

En considérant la situation actuelle des choses, la position bien équivoque du ministère formé sous les auspices du retrait de la loi d'apanage, son opinion indécise ou froidement énoncée sur les autres lois restées comme en suspens, M. Jaubert ne croyait pas les ministres sincèrement disposés à les soutenir; et, après des considérations ou plutôt des personnalités où

nous ne pouvons le suivre, il terminait par dire que s'il Y avait dans le chiffre de l'allocation demandée une partie qui représentât le degré de confiance qu'on devait avoir dans les ministres, il la rejetait.

A ce discours plein d'épigrammes auxquelles applaudissait l'opposition, mais dont la finesse s'évapore avec les circonstances, M. le ministre de l'intérieur (comte Montalivet) crut devoir une réponse. Ainsi que M. le président du Conseil, il regardait le retrait de la loi d'apanage comme une mesure de sagesse et de convenance réclamée par la situation des esprits, dont l'exemple avait été donné à d'autres époques par un ministre de respectable et courageuse mémoire (Casimir Périer); et, en parcourant rapidement les événemens, les phases ministérielles, les mesures auxquelles il avait pris part depuis la révolution de juillet, M. de Montalivet, après l'adhésion entière qu'il avait donnée et qu'il donnait encore aux lois de septembre, ne croyait pas avoir montré de faiblesse ; à son sens, toute politique devait être empreinte à la fois et d'esprit de résistance et d'esprit de conciliation; et de même que le président du Conseil, il réclamait le vote des fonds secrets comme un vote de confiance nécessaire à la sûreté du trône fondé par la glorieuse révolution de juillet.

5 mai. Un discours spirituel de M. de Sade ouvrit cette séance où l'histoire aura des révélations piquantes à recueillir.

L'honorable orateur, qui ne se présentait pas en ennemi du ministère, mais comme non conformiste, refusait l'allocation, moins à cause de l'importance de la somme demandée, que par la conviction de l'inutilité de cette dépense pour le motif qu'on alléguait, et par la crainte que ces fonds ne fossent affectés à d'autres services, employés à des tentatives de corruption, à des influences illégitimes, à solder des journalistes envoyés dans les départemens pour y discréditer l'opposition et préparer les élections prochaines. Comme vote de confiance demandé à la Chambre, M. de Sade ne croyait pas

pouvoir l'accorder à un ministère qui, pour toute profession de foi, pour toute déclaration, venait dire qu'il gouvernerait suivant ses convictions, et suivant les circonstances, et dont le système au fond était le même que celui du ministère précédent; et à ce sujet, M. de Sade s'étonnait de voir que cette majorité qui se disait aussi forte au-dehors qu'au-dedans, qui se donnait les airs d'être le grand parti national, ne pût réussir à maintenir debout ses chefs, au-delà de quelques mois, sur la pente glissante du pouvoir; il s'étonnait de ce qu'une majorité de deux voix eût si subitement renversé le dernier ministère. Il regrettait que les acteurs de ces scènes n'eussent jamais voulu s'en expliquer devant la Chambre. Pour lui, la cause du mal de la situation actuelle lui paraissait être dans cette Chambre morcelée, fractionnée en tant de divisions de partis et de coteries, qui n'avait jamais voulu donner à la direction politique des affaires cette fixité, cette régularité qui ne pouvait partir que de sa main, et dont l'honorable député de Château-Thierry finissait par invoquer la dissolution.

M. Guizot, relevant le gant qui venait de lui être jeté, commença par déclarer qu'il ne venait pas combattre l'allocation proposée; il l'appuyait dans sa totalité. Passant de suite à l'objet principal de son discours, il déclarait qu'il était sorti récemment des affaires, non seulement pour des causes personnelles, mais encore pour des causes de politique générale. Repoussant les reproches qui lui avaient été faits d'avoir des prétentions, des volontés absolues, intraitables, il en appelait pour la justification de son caractère au souvenir du ministère du 11 octobre ; « ministère de conciliation, « de transaction entre des nuances diverses représentées par << des hommes divers, et qui, malgré les temps rudes qu'il << avait eu à traverser, et les difficultés qu'il avait eu à sur<< monter, avait cependant duré plusieurs années. »

« La conduite que j'ai tenue dans le ministère du 11 octobre, dit l'honorable orateur, je l'ai tenue également depuis, et en particulier au moment de Ja formation du ministère du 6 septembre.

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