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« Je n'ai mis alors d'importance qu'à deux choses: aux conditions qui m'ont paru nécessaires pour assurer le ferme maintien de la politique suivie depuis six ans, et en même temps pour m'assurer une part d'influence proportionnée à la part de responsabilité politique qui devait peser sur moi. Je n'ai rien demandé au-delà de ce qui m'a paru nécessaire, dans l'un et dans l'autre but.

« Lorsque la nécessité de modifier le cabinet du 6 septembre s'est fait sentir, je suis demeuré fidèle à la même idée, à la même conduite; je n'ai rien demandé que je n'eusse demandé au moment de sa formation. J'ai apporté dans les différentes transactions ou plutôt les différens essais auxquels la crise ministérielle a donné lieu, le même esprit de ménagement et de conciliation. Quand j'ai fait, auprès d'un de mes collègues du 11 octobre, une démarche que je ne désavoue pas plus aujourd'hui qu'au moment où je l'ai faite, je ne l'ai point faite dans un vulgaire et bas désir de conserver le pouvoir...

« J'ai pris et quitté le pouvoir déjà plusieurs fois en ma vie, et je suis, pour mon compte, pour mon compte personnel, profondément indifférent à ces vicissitudes de la fortune politique. Je n'y mets d'intérêt que l'intérêt public, l'intérêt de la cause à laquelle j'appartiens et que je me fais honnenr de soutenir. Vous pouvez m'en croire, Messieurs, il a plu à Dieu de me faire connaître des joies et des douleurs qui laissent l'âme bien froide à tout autre plaisir et à tout autre mal... (M. Guizot venait de perdre son fils). Je n'hésite donc pas à me rendre moi-même cette justice; des motifs politiques m'ont seuls déterminé dans cette démarche comme dans toutes les autres je croyais qu'il était de l'intérêt du pays de réformer, si cela se pouvait, le cabinet qui, à mon avis, l'avait le mieux servi, le plus long-temps et le plus efficacement. Il était bien clair que je n'entendais maintenir par-là aucune autre politique que la politique du 11 octobre, et que c'était là la question que j'allais adresser à l'honorable M. Thiers, en lui demandant de la soutenir de nouveau avec moi. C'est là ce qui n'a pu se réaliser ; je le regrette, mais je ne regrette nullement la démarche par laquelle je l'ai tenté...

« Cette tentative ayant échoué, j'en ai fait d'autres; la Chambre les connaît. Je n'ai agi dans cette circonstance que très publiquement et très rapi dement. Les diverses tentatives de conciliation et d'arrangement ayant échoué, j'ai été amené à proposer à la Couronne un ministère dont l'unité, l'homogénéité fût le caractère dominant. Je ne l'ai fait qu'après avoir épuisé tous les autres moyens, toutes les autres chances. Je suis persuadé que dans l'avenir, qu'il s'agisse de moi ou de tout autre, peu importe, le pays et la Couronne reconnaîtront que l'unité, l'absence de tiraillemens intérieurs, la fermeté simple dans la direction du pouvoir, deviendront de plus en plus une condition nécessaire de force et de succés. C'est tout ce que j'en veux dire. « Voilà pour les faits personnels. Ils suffiraient pleinement, je crois, pour expliquer ma sortie des affaires,

« La politique générale a eu sa part, et une grande part dans la crise ministérielle et les incidens dont elle a été accompagnée..

« Messieurs, on peut s'accorder sur la pensée qui doit présider à la conduite politique, et ne pas s'accorder sur la conduite même, qui peut réaliser cette pensée; on peut s'accorder dans l'intention et ne pas s'accorder dans J'action. Je n'en donnerai à la Chambre que deux exemples bien récens.

« Quand le cabinet du 6 septembre se forma, on convint et d'un commun accord, qu'on ne se laisserait pas rebuter par des échecs, par certains échecs, par exemple, par le rejet de telle ou telle loi, de la loi de disjonction nommément...

«Eh bien ! il n'est personne qui n'ait pu remarquer et qui n'ait remarqué, lorsque la loi de disjonction a été rejetée, que ce rejet produisait sur les différens membres du cabinet une impression très différente; que leur langage,

leur attitude à tous n'étaient pas les mêmes; que les uns paraissaient plus déterminés, les autres plus hésitans à continuer la campagne dans laquelle on venait de subir un tel échec. C'est là un fait dont il n'y a, sans aucun doute, aucun témoignage écrit, aucun témoignage officiel, mais qui peut être présent à la mémoire d'un grand nombre de membres de cette Chambre. Cette diversité au moment de l'épreuve était pour le cabinet une grande cause d'embarras et d'affaiblissement. Il y avait là différence, et une différence importante dans l'action, bien qu'il n'y en ait pas eu dans l'intention. « Voici un second exemple :

« La loi d'apanage avait été proposée de concert et d'un avis unanime. Eh bien! pour mon compte, je ne me serais jamais prêté à la retirer avant l'épreuve du débat. Je sais comme un autre me soumettre sincèrement, sans arriére-pensée, aux lois adoptées par mon pays. Je sais comme un autre quelle est la valeur de l'opinion publique, même quand on croit qu'elle se, trompe, et le respect qui lui est dû; mais je crois qu'il est du devoir du Gouvernement d'être difficile, sévère, exigeant quand il s'agit de constater l'opinion publique.

Quant à l'intention que l'opposition lui avait tant de fois reprochée, à l'occasion de la présentation de cette loi d'apanage, de vouloir ressusciter le régime du privilége, des aristocraties constituées, M. Guizot rappelait qu'il avait constamment défendu la loi des élections, du 5 février 1817, qui avait véritablement fondé le Gouvernement représentatif, et la prépondérance politique de la classe moyenne en France, comme le voulait la justice et l'intérêt du pays.

« Depuis 1830, de quoi avons-nous été accusés, mes amis et moi, et moi en particulier, par les défenseurs du parti de l'ancien régime, dans leurs journaux, dans leurs écrits? De vouloir constituer ce qu'on appelait une monarchie bourgeoise, le règne de la classe moyenne, la monarchie de la elasse moyenne. C'est à ce titre que j'ai été continuellement attaqué; et aujourd'hui, depuis quelque temps, me voilà le défenseur, le résurrecteur de l'ancienne aristocratie, du privilége, de l'aristocratie privilégiée et nobiliaire! Car c'est sous ce nom et dans ces termes que j'ai été plusieurs fois attaqué à cette tribune!

« Il n'en est rien, Messieurs. Je suis fidèle aujourd'hui à l'idée politique qui m'a dirigé pendant toute ma vie. Oui! aujourd'hui, comme en 1817, comme en 1820, comme en 1830, je veux, je cherche, je sers de tous mes efforts la prépondérance politique de la classe moyenne en France, l'organisation définitive et régulière de cette grandė victoire que la classe moyenne a remportée sur le privilége et sur le pouvoir absolu de 1789 à 1830. Voilà le but vers lequel j'ai constamment marché, vers lequel je marche encore aujourd'hui.

« Oui, Messieurs, je veux le triomphe définitif, je veux la prépondérance politique de la classe moyenne en France, mais je veux aussi que cette prépondérance soit stable et honorable; et pour cela il faut que la classe moyenne ne soit ni violente et anarchique, ni envieuse et subalterne. »

Nous passons à regret l'éloquente digression que M. GuiAnn. hist. pour 1837.

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zot faisait ensuite sur l'esprit révolutionnaire qui travaillait encore les classes où dominent les intérêts conservateurs, mais surtout les classes pauvres, où les doctrines les plus antisociales, et les provocations subversives adressées aux plus mauvaises passions sont accueillies, et sur la nécessité de la contenir par une politique ferme, par une forte organisation de pouvoir; et à ce sujet, M. Guizot n'hésitait pas à dire que les lois faites depuis six ans contre l'anarchie, étaient indispensables; qu'elles avaient sauvé le pays, qu'elles étaient destinées à le sauver plus d'une fois encore. C'étaient des armes nécessaires qu'il fallait se garder de laisser rouiller.

Quant aux projets présentés dans cette session, M. Guizot regrettait le rejet de la loi de disjonction le Gouvernement s'était acquitté d'un devoir en la proposant; les autres lui paraissaient également utiles au pays, et il se proposait de les défendre si elles arrivaient à la discussion.

Après ce discours, qui avait fait des impressions diverses sur les différentes parties de la Chambre, M. le président du Conseil crut devoir remonter à la tribune pour donner des explications sur la dernière crise ministérielle. Il n'admettait pas, comme M. Guizot, que l'homogénéité d'un cabinet fût la condition essentielle de sa durée. Selon lui, les cabinets devaient représenter, dans leurs élémens, les principaux élémens de la majorité. Cette idée avait présidé à la formation du 6 septembre, quoique la combinaison alors présentée par M. Molé n'eût pas été acceptée dans toutes ses conditions.

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« Cependant, dit M. le président du Conseil, la combinaison que le cours des choses me fit accepter, me parut renfermer en effet quelques germes de destruction pour l'avenir. Un événement parlementaire ne tarda pas à nous révéler, du moins pour moi, que la combinaison du cabinet ne répondait point parfaitement à ces conditions de majorité que j'avais cherchées.

« C'est ici, Messieurs, que je diffère en quelque chose de l'honorable orateur auquel je réponds. Lorsque la loi de disjonction fut rejetée par la Chambre, je ne sais si ma mémoire me trompe, mais j'oserais jurer ici qu'elle ne me trompe pas, personne n'eut moins que moi l'idée de la retraite; et si quelques membres du cabinet en reçurent quelque découragement et crurent que ce rejet était en effet une manifestation contre le ministère, ce n'est pas moi. Je dirai seulement que, pour ma part, je vis un grand mal dans le rejet de la loi de disjonction, que je regrette aussi, Messieurs, et

que je regrette parce que j'étais convaincu, comme je le suis encore, qu'il était nécessaire qu'une manifestation législative protestat contre les événemens de Strasbourg. (Une foule de membres : Voilà la vérité!)

« Je ne doute pas du tout que le rejet de cette loi n'ait changé la situation du cabinet; mais je n'en reste pas moins convaincu que la situation du cabinet n'était pas satisfaisante, et cela par les mêmes raisons qui m'avaient fait présenter une autre composition au 6 septembre.

« Comment le cabinet s'ébranla-t-il? Je ne dirai pas par la retraite, car il ne donna pas sa démission, autant que ma mémoire me le rappelle, mais par je ne sais quelle rumeur qui s'éleva sur certains bancs, qu'il fallait remplacer un des membres du cabinet (M. Gasparin). Pour moi, je le dis avec beaucoup de regret, la composition une fois acceptée, j'étais bien décidé à la maintenir le plus long-temps possible.

« Ce n'est pas moi qui ai donné le signal de la retraite à personne, je le proteste ici; mais quand l'ébranlement eut commencé, je n'eus pas un autre système que celui que j'avais eu au 6 septembre.

A ce que M. Guizot avait dit, en parlant du retrait de la loi d'apanage, M. le président du Conseil assurait qu'il n'avait pas craint la discussion. « Ce que nous avons voulu éviter, disait-il, touche à des intérêts plus graves; ce que nous avons craint 'd'affronter, c'etait la chance du rejet. »

Enfin, en observant la situation générale du pays, M. le président du Conseil la trouvait améliorée; la France lui paraissait fatiguée de ses agitations passées.

« Nous ne faisons à personne la guerre pour la guerre, dit-il en quittant la tribune; au contraire nous tendons la main à tous ceux qui viennent à nous sincèrement et de bonne foi, qui nous acceptent, nous, nos opinions, notre manière de gouverner, notre système: nous n'acceptons que ceux-la.

« Du reste nous ne voulons point lutter pour le plaisir de lutter; mais si le mal relevait la tête, Messieurs, nous saurions prouver que le monopole de l'énergie n'appartient à personne, et qu'armés des lois que vous avez faites, nous saurions le réprimer.

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Malgré ces assertions, l'opposition ne paraissait pas convaincue ; M. de Laboulie voyait le ministère en suspens entre deux systèmes, sans en représenter aucun. C'était une véritable négation; et, en relevant ce qui avait été dit de la loi d'apanage, on ne savait pas bien si la loi était retirée ou simplement ajournée. M. le ministre du commerce et des travaux publics (M. Martin du Nord ), qui voulut aussi faire sa profession de foi sur le système que le Gouvernement entendait suivre et sur les lois présentées, regardait la loi d'apanage comme fondée sur un principe essentiellement monarchique et

constitutionnel. « Elle avait été retirée, disait-il, non parce que le ministère avait changé d'opinion sur son principe mais parce qu'il était prudent de ne pas brusquer l'opinion, lors même qu'elle était pervertie. »

5 mai. La querelle n'en resta pas là: M. Aug. Giraud, insistant sur les contradictions qu'il voyait dans le système et dans le langage du ministère, invoquait à cet égard le témoignage des membres de la commission; quoique le ministère parlat tant de conciliation, jamais les divisions n'avaient été plus profondes qu'elles ne l'étaient en ce moment dans la Chambre.

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« Vous tendez la main à tout le monde, disait-il aux mi«<nistres : eh bien! depuis le commencement de cette dis«< cussion, est-il venu quelqu'un à cette tribune, nettement «<et franchement, vous offrir la sienne? >>

La discussion arrivée à ce point, le rapporteur de la commission crut devoir aussi donner quelques explications sur la situation singulière dans laquelle elle s'était trouvée au moment de sa nomination : c'était peu de jours après le rejet de la loi de disjonction, et les amis du ministère du 6 septembre croyaient nécessaire de le raffermir par un témoignage éclatant de confiance. Ainsi cette question, posée dans la commission, fut résolue affirmativement, et le rapporteur fut chargé d'exprimer la plus entière confiance. Mais la crise ministérielle ayant éclaté, la commission se trouvait placée dans une situa tion difficile..

« Assurément, dit l'honorable rapporteur, si le nouveau cabinet eût été pris dans une des nuances de l'opposition, et s'il eût annoncé l'intention de s'écarter de la politique suivie jusqu'ici, la situation eût été simple: la commission eût proposé le rejet, ou bien elle aurait témoigné de son dissentiment par un amendement. Mais c'eût été une grande injustice, car tous les membres du nouveau cabinet étaient pris dans les rangs de la majorité; de plus, ce cabinet annonçait l'intention de se conformer à la politique de ses prédéces

seurs. >>>

Cependant elle avait cru devoir rester dans une certaine réserve, n'offrir son appui qu'à certaines conditions; et,

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