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gatoire pour les attentats contre la vie du roi et des membres de la famille royale, celle des complots formés dans le même but, ou si la connaissance de ces complots devait être simplement facultative. La discussion arrêtée à ce point, on sc porta sur le second projet (des formes de procédure à suivre), dont les quatorze premiers articles furent adoptés sans opposition, mais dont le quinzième souleva une question plus grave 'encore que l'autre.

Cet article, introduit par la commission dans le projet du Gouvernement, portait que, dans le cas où la Chambre des pairs n'aurait pas été saisie d'un crime de sa compétence exclusive, elle pourrait, si elle était réunie en session, et sur la demande de cinq de ses membres, se constituer en Cour de justice et enjoindre de poursuivre, initiative vivement combattue par le ministère et par M. Tripier, comme un empiétement grave sur la prérogative royale, comme dérogeant au principe constitutionnel que la Chambre des pairs ne pouvait être constituée qu'accidentellement en Cour de justice, et recevoir ses pouvoirs judiciaires que d'une ordonnance royale ou du vote de la Chambre des députés, quand il s'agirait de la mise en accusation d'un ministre. D'un autre côté, plusieurs membres (MM. Mounier, rapporteur, Portalis, Villemain, le duc de Cazes, etc., etc.,) soutenaient la disposition comme ayant une analogie nécessaire avec le droit d'évocation attribué aux Cours royales, et sans laquelle la haute Cour ne serait en effet qu'un tribunal de bon plaisir.

On en était à cet article de la discussion, lorsqu'elle fut interrompue par celle d'un projet de loi présenté d'urgence, lequel tendait à prolonger les pouvoirs ou fonctions de police judiciaire, attribuées aux maréchaux et brigadiers de gendarmerie, dans huit départemens de l'Ouest, par une loi rendue lors de l'entreprise de la duchesse de Berri; et, malgré les vives réclamations de M. le vicomte du Bouchage pour faire rentrer ces huit départemens dans le droit commun, malgré celles de M. le baron Mounier, dans l'opinion de qui la

loi avait cessé d'être nécessaire, la Chambre a pensé que l'état actuel du pays justifiait encore des mesures exceptionnelles, et leur a donné son assentiment (18 mai), ainsi que l'autre Chambre (le 24 juin), où il n'a trouvé qu'une faible opposition du côté droit.

La Chambre élective, sortie des discussions dramatiques de la crise ministérielle, venait d'aborder des questions d'intérêt matériel d'une haute importance pour une grande partie de la population, dont cet ouvrage ne peut admettre les détails, mais dont il faut au moins recueillir les sommités et les résultats.

Ainsi passa encore presque inaperçue la discussion du projet présenté dès l'année dernière, qui occupa cinq à six séances, du 8 au 15 mai, et qui resta sans solution; c'est la question des sels.

Il y a moins de vingt années, tout le sel consommé en France provenait des marais salans des côtes. Quelques fontaines salées ne donnaient que des produits insignifians; on soupçonnait à peine que notre sol renfermait des mines de sel gemme, et la législation avait été basée sur cet ordre de faits; mais la découverte des magnifiques salines de l'Est et de plusieurs sources salées, a fait sentir la nécessité de pourvoir à des difficultés nouvelles.

Dans notre droit commun, les mines appartiennent à l'Etat. C'est d'après ce principe que les mines de l'Est avaient été concédées à bail, en 1825, pour 99 ans, à une compagnic qui, payant un prix de ferme considérable (1,800,000 fr., avec une part dans les bénéfices), avait voulu s'opposer et s'était opposée avec succès à l'exploitation de toutes les sources salées comprises sur l'étendue de sa concession. Mais il n'en fut pas de même après la révolution de 1830. Plusieurs mines s'étant élevées alors ont obtenu des décisions favorables, soit des tribunaux civils, soit des conseils de préfecture, au détriment de la compagnie et même de l'Etat, qui s'était réservé une part dans ses bénefices,

D'ailleurs, il arrivait chaque année, aux deux Chambres, des réclamations des habitans des départemens qui fournissaient le sel gemme, et qui payaient le sel plus cher qu'aux barrières de Paris, à l'effet d'obtenir l'abolition du monopole exercé par la compagnie. Déjà ces réclamations avaient décidé le Gouvernement à réduire le prix du bail à 1,200,000 fr.; mais cette concession n'ayant amené aucune réduction dans le prix du sel, l'exaspération toujours croissante des populations exigeait une prompte réforme.

Tels avaient été les motifs d'un premier projet de loi présenté en 1836, et reproduit au commencement de la session de 1857, dont les dispositions fondamentales étaient de faire résilier le bail de 1825, et de remettre l'exploitation des mines et des sources salées sous l'empire de la loi de 1810. Mais dans le cas où on ne pourrait amener la compagnie à la résiliation de son bail, au moyen d'un sacrifice que le Gouvernement ferait sur le prix du bail ou sur ses bénéfices, on proposait un second projet conçu de manière à ce que le prix du sel ne fût pas plus élevé pour les départemens de l'Est que pour les autres.

Après bien des débats au sein de la commission et de la Chambre, le projet qui emportait la résiliation de bail et la faculté de faire des concessions nouvelles de mines et de sources salées, considérées comme appartenant à ces mines, fut adopté le 13 mai; mais il fut porté si tardivement à la Chambre des pairs (le 29 juin), qu'elle n'eut pas le temps de le discuter; ce dont le rapporteur (10 juillet) fit reproche au au ministère, comme d'un manque d'égards envers l'un des pouvoirs d'Etat...

15-20 mai. Outre les lois de finances dont on reprendra la discussion au chapitre suivant, la Chambre élective avait à l'ordre du jour des projets de loi d'intérêt public, entre lesquels il faut signaler celui qui a définitivement abrogé le décret de 1812, d'après lequel il avait été permis de conserver les dénominations des anciennes mesures appliquées à

celles du système décimal. Cette tolérance, accordée aux répugnances des classes inférieures, avait entraîné dans les transactions commerciales et privées une confusion qu'il était temps de faire cesser. Quoique la Chambre des pairs en sentit également l'urgente nécessité, elle crut devoir y faire des modifications qui en nécessitèrent le renvoi à la Chambre élective, et la loi ne fut définitivement adoptée que le 28 juin.

De tous les projets mis en discussion à cette époque, aucun n'excitait plus d'attention, n'avait mis en éveil plus d'intérêts que celui qui tendait à fixer des droits sur les sucres coloniaux, étrangers ou indigènes, question capitale pour l'agriculture de la France, question de vie ou de mort pour ses colonies.

La fabrication du sucre indigène, apparue sous l'Empire comme une découverte scientifique, considérée long-temps comme une illustre inutilité, était pourtant devenue, grâce au perfectionnement de ses procédés, une précieuse conquête pour notre agriculture et notre industrie, même après que la paix générale eut rouvert les ports de la France aux produits coloniaux ; mais on n'avait pas tardé à s'apercevoir que les intérêts des colonies, ceux du commerce maritime éprouvaient un grave préjudice de la concurrence redoutable qui s'annonçait, et qu'une des branches les plus productives du revenu public, arrêtée dans son accroissement, était menacée d'une diminution rapide.

Cette situation critique, due à l'élévation des taxes qui pesaient sur les sucres de canne et à l'immunité complète dont jouissait le sucre de betteraves, s'aggravait d'année en année.

Frappées du danger auquel de si grands intérêts étaient exposés, les commissions de finances avaient plus d'une fois fait appel à la sollicitude du Gouvernement, et réclamé l'établissement d'une taxe sur le sucre indigène, afin d'assurer sur nos marchés des conditions de concurrence moins inégales au sucre colonial.

Dans la dernière session, le Gouvernement avait proposé

de grever le sucre indigène, à sa fabrication, d'un droit de 15 fr. par 100 kilog., et de soumettre les fabricans à un exercicc qui pût garantir le recouvrement de ce droit; la commission spéciale, chargée de l'examen de cette proposition, avait aussi reconnu la nécessité d'établir une taxe sur le sucre indigène; mais, assaillie de réclamations sur le montant de la taxe, et principalement sur le mode de perception projeté, elle avait proposé un système nouveau qui affranchissait la fabrication de tout contrôle et transportait la surveillance sur la production de la matière première.

La session de 1836, terminée sans qu'on cût pris de décision à ce sujet, l'expérience de cette année mit le Gouvernement à portée d'apprécier avec plus de certitude les craintes manifestées au nom des divers intérêts engagés dans la question.

La prévision de la diminution du produit de la taxe établie sur le sucre de canne, ne s'était que trop réalisée. Ce produit net, qui s'était élevé, en 1855, à 51 millions, était descendu, en 1856, à près de 26 millions. Sur 80 millions de kilogrammes, que produisent les colonies françaises, et qui devraient former la base de notre approvisionnement, 57 mil lions de kilogrammes seulement étaient restés, pour la consommation. Sous l'empire de la législation actuelle, il était probable que l'affaiblissement du revenu public et la détresse coloniale ne s'arrêteraient pas là. La production toujours croissante du sucre indigène et la diminution des prix, résultat inévitable de la concurrence et des progrès de l'industrie, suffisaient seules pour amener dans un avenir peu éloigné l'exclusion presque totale des sucres de nos colonies, dont une taxe considérable élevait forcément le cours. Déjà même, malgré les frais d'une double navigation, leurs produits allaient chercher sur les marchés étrangers un débouché que Jeur refusait le marché national. Ainsi étaient à la fois menacés et le revenu public dans une de ses branches les plus productives, et la fortune des colonies, dont la souffrance réagissait

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