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raient trouyer, sans le secours de l'Etat, un nombre suffisant d'acheteurs.

M. Isambert s'étonnait de voir au nombre des ouvrages encouragés le Panthéon littéraire, réimpression des classiques français ou latins, entreprise en faveur de laquelle le ministre de l'intérieur aurait engagé les deux tiers de son crédit (100,000 fr.) pour enrichir les bibliothèques des départemens d'ouvrages qu'elles doivent avoir depuis longtemps. Dans l'opinion de M. Isambert, la souscription avait pour objet de gratifier non pas seulement une entreprise littéraire, mais le rédacteur en chef d'un journal ministériel (M. Emile Girardin, député, rédacteur de la Presse). Une autre souscription faite en faveur de quelques savans qui se qualifient bénédictins de Solesmes, chargés de continuer la Gallia christiana, excitait les réclamations de M. Isambert, qui ne voyait dans la nouvelle compilation que des légendes apocryphes rejetées par toutes les légendes chrétiennes, et se plaignait de voir employer si mal les fonds de l'Etat.

M. Guizot, forcé de défendre les actes de son ministère, essaya de justifier les deux souscriptions, en faisant observer, sur la première, que le Panthéon littéraire était au nombre de ces collections qu'il était bon de répandre et de mettre à la portée d'un grand nombre de lecteurs; que plusieurs des ouvrages réimprimés manquaient aux bibliothèques des départemens, et que l'administration avait pu, sans déroger le moins du monde à l'emploi légitime des fonds consacrés aux souscriptions publiques, affecter non pas 100,000 fr., mais 15,000 fr. par an à cet emploi.

Sur la seconde souscription en faveur des bénédictins de Solesmes, l'ancien ministre, sans reconnaître le nom ni le caractère légal que des savans réunis dans une ancienne maison de cet ordre se donnaient, avait cru pouvoir les encourager à continuer la Gallia christiana, entreprise dont ils avaient consenti à se charger pour la modique somme de 4,000 fr. par an; et, en considérant qu'il n'était demandé que 150,000 fr.

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dans le budget de la France pour souscription aux grands ouvrages littéraires et scientifiques, M. Guizot ne comprenait pas qu'on pût refuser la faible augmentation qu'il avait proposée.

Ainsi pensa la Chambre, et le budget de l'instruction publique fut arrêté, sans autre réduction que celle demandée par la commission sur le traitement du secrétaire de l'Académie de médecine, à la somme de 15 millions 275,575 fr.

9 juin. Le lendemain, il parut dans le journal la Presse un article dans lequel M. Emile Girardin sommait M. Isambert de lui donner des explications sur ce qu'il avait dit au sujet de la souscription au Panthéon littéraire, article terminé par une sorte de provocation, dans le cas où M. Isambert se refuserait à lui donner satisfaction. Cet article, dénoncé à la Chambre par son président lui-même (M. Dupin), comme une violation des priviléges du député et comme une atteinte à la liberté de la tribune législative, y fit grande sensation. M. Emile Girardin insista vainement sur le droit qu'il croyait avoir de demander des explications sur un discours où il voyait une offense personnelle à son honneur. Plusieurs membres (M. Odilon Barrot surtout ), en faisant observer que la tribune était ouverte à ces réclamations, s'élevèrent avec énergie contre un procédé dont les conséquences pouvaient être si graves; et M. de Girardin, cédant au blâme général de la Chambre, forcé de renoncer à la satisfaction qu'il avait demandée, termina la querelle en déclarant, pour les éditeurs du Panthéon littéraire, qu'ils renonçaient à la souscription faite en faveur de leur entreprise. (Voy. le budget de l'intérieur.)

Ann. hist. pour 1837.

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CHAPITRE X.

Crédits supplémentaires demandés pour Alger sur l'exercice 1837. —Question des chemins de fer.- Projets adoptés.— Ajournement des grandes lignes. Reprise de la discussion des budgets particuliers des finances, de la guerre, des travaux publics et de l'intérieur. - Vote général des dépenses et des recettes.-CHAMBRE DES PAIRS.- Adoption du budget. - Clôture et résultats de la session.

Plusieurs fois, depuis l'ouverture de la discussion du budget, des membres ou même des ministres l'avaient interrompue, pour demander qu'on mît à l'ordre du jour divers projets d'urgence, d'intérêt général ou particulier, dont la remise après l'adoption du budget équivalait à un ajournement indéfini; car il n'était pas probable qu'après une session si longue, il resterait assez de députés à Paris pour continuer les délibérations.

De ce nombre étaient le supplément de crédit extraordinaire, demandé dans la séance du 8 mai, pour l'occupation du territoire d'Alger, et les projets déjà rapportés pour l'établissement de plusieurs chemins de fer sur divers points du royaume. La priorité de discussion, vivement disputée, leur avait été assignée après celle du budget de l'instruction publique, en commençant par le crédit d'Alger.

9 juin. Le crédit demandé était de 14,658,227 fr., dont 6,000,000 environ étaient destinés à faire les frais de la nouvelle expédition projetée sur Constantine. Le ministre de la guerre, en faisant cette demande, assurait que le projet du Gouvernement n'était point de conquérir, ni d'enlever aucune portion du territoire à ceux qui l'occupent, pas même l'influence acquise aux chefs arabes. Il ne voulait user du droit

de la guerre, qu'à l'égard de ceux qui continueraient à nous être hostiles.

Mais, malgré ces protestations pacifiques, la commission chargée d'examiner la proposition y faisait des réductions considérables, basées sur la suppression des auxiliaires indigènes et de 2,500 hommes sur l'effectif actuel de l'armée d'Afrique (rapport de M. Piscatory).

M. Estancelin s'éleva contre ces réductions, dont l'effet inévitable lui paraissait être la perte de la colonie et un affront pour l'honneur de nos armes. M. de Sade, dont l'opinion s'était déjà manifestée dans un sens peu favorable à la conservation d'Alger, refusait surtout les 6 millions affectés à la nouvelle expédition de Constantine, non qu'il redoutât un échec pour nos armes, mais parce qu'il ne voyait, ni l'utilité, ni la convenance de cette expédition. Il était temps, selon lui, que les ministres eussent un système arrêté sur l'occupation d'Alger, et de mettre un terme aux progrès de cette plaie dévorante. Dans l'opinion de M. Dugabé, au contraire, la conquête d'Alger avait été d'un immense intérêt pour la France : il était disposé à croire que « les adversaires de la colonisation << n'avaient à reprocher à la conquête que d'avoir été faite « sous un drapeau qui fut long-temps et glorieusement le dra« peau de la France. » (Supposition vivement désavouée par le centre et le côté gauche de la Chambre.) C'est au nom de l'honneur national, au nom de l'intérêt bien entendu du com→ merce, et pour l'avenir de la France, que l'honorable opinant accordait au ministre le subside qu'il demandait, « et qu'il « accorderait ceux qu'il pourrait demander encore. >>

On en était à ce point de la question, lorsque M le président du Conseil, montant à la tribune, annonça qu'à l'heure qu'il était, M. le général Bugeaud avait traité avec Abd-elKader, d'après les bases qui avaient été d'avance approuvées par le Gouvernement du roi, et conformément aux instructions qui lui avaient été données.

Toutefois, comme le Gouvernement n'avait pas encore reçu ce traité, lequel avait d'ailleurs besoin de la ratification royale, M. le président du Conseil espérait que la Chambre lui permettrait de ne pas s'expliquer sur les conditions elles-mêmes. Il se bornait à dire que ce traité répondrait complétement aux questions faites plusieurs fois à la tribune sur les limites que le Gouvernement entendait donner à l'occupation.

Nous dirons, au chapitre suivant, les événemens qui avaient amené ce traité et les conditions de cet acte. Cette nouvelle et Ja déclaration du ministère, reçues avec le plus vif intérêt, ôtaient à la discussion générale l'objet principal qu'elle devait avoir; celle des articles se réduisit à la question des réductions proposées par la commission, d'abord d'une somme de 15,000 fr., affectée à l'entretien du bureau d'Alger, placé auprès du ministère de la guerre, dont l'utilité fut démontrée de manière à faire conserver le crédit; puis d'une somme de 200,000 fr. destinée à augmenter les fonds dont le Gouvernement avait besoin pour traitemens, subventions et indemnités à accorder aux fonctionnaires et agens indigènes, pour des présens aux chefs. Cette destination fut critiquée par le rapporteur, comme pouvant donner lieu à des dépenses abusives; et M. le président du Conseit lui-même n'en défendait que faiblement la définition, en avouant que, dans son opinion personnelle, ces 200,000 fr. auraient été mieux placés à l'article des fonds secrets, portés pour 100,000 fr. Il ne craignait pas même d'avouer que ce qu'il fallait en Afrique, c'étaient des fonds dont l'emploi fût discrétionnaire, comme le meilleur élément de succès que la Chambre pût mettre à la disposition d'un gouvernement probe et éclairé; aussi la Chambre, malgré quelque opposition, a-t-elle maintenu le crédit.!

Restait la réduction de 621,085 fr., demandée sur la solde et l'entretien des troupes en Afrique, à raison de la diminution de 2,500 hommes sur l'effectif de 12,500 que le Gouvernement avait envoyés, dès le mois de janvier, pour la nouvelle expédition projetée sur Constantine.

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