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« C'est là une situation admirable, dit-il, une situation pleine d'indépendance et de force, une situation de juste milicu, de vrai juste milieu; de juste milieu fondé non sur la lassitude et la crainte, mais sur la raison éprouvée, sur le courage éprouvé; de ce juste milieu qui fait la force des nations, comme des gouvernemens.

<< Eh bien! Messieurs, c'est de cette belle et forte situation qu'on vous propose de sortir pour rentrer, à la suite d'un autre peuple, dans l'arène révo lutionnaire, pour vous rengager dans la lutte violente, aveugle de l'esprit révolutionnaire et de l'esprit absolutiste. La France peut tenir, tient réellement le sceptre entre les deux esprits on lui demande de l'abdiquer et de redescendre entre les combattans.... Est-ce que cela est dans les intérêts de la France? est-ce que cela est dans l'intérêt de sa politique? est-ce que cela est conforme à ce qu'elle a fait depuis la révolution de juillet? est-ce lá ce que nous sommes allés faire à Anvers? est-ce là ce que nous avons voulu faire quand nous avons protégé la Suisse? Non, Messieurs, ce que nous avons protégé partout, c'est précisément l'esprit de transaction, de modération. Nous avons voulu prévenir partout la lutte violente entre le principe absolu et le principe révolutionnaire. Après notre révolution consommée, nous avons travaillé du haut de la position que nous avons acquise, à faire prévaloir en Europe le double esprit de conservation et de progrès qui était le nôtre. Croyez-moi, en quittant cette politique, en rentrant dans la lutte révolutionnaire, en mettant la révolution de juillet à la suite de l'insurrec tion de la Granja, on compromettrait et on abaisserait en même temps la France.... >>

Et à ce sujet, M. Guizot, repoussant toute analogie entre les deux événemens, déclarait que pour lui, la légitimité de la révolution de juillet avait commencé avec les ordonnances.

Enfin, en se résumant et en rappelant qu'il ne croyait pas que la France eût actuellement à la coopération en Espagne. un de ces intérêts puissans, supérieurs, qui font taire tous les autres et auxquels tout doit être sacrifié, abordant l'hypothèse du triomphe de don Carlos, ne répondait qu'avec une réserve qui choqua l'opposition en rappelant qu'à d'autres époques, dans les premiers temps de la révolution de juillet, il y avait un gouvernement absolu à Madrid, et qu'on était resté en paix avec lui, comme avec le reste de l'Europe.

« Messieurs, dit-il en terminant, ce serait de la part du Gouvernement un acte de grande imprudence que de s'engager sur l'avenir, quel qu'il soit. Mais nous ne nous engageons pas plus à nous abstenir qu'à agir. Nous veillerons encore, et contre tous, aux intérêts de la France. Et, quant à l'Espagne, notre conduite dans le passé, nos sincères et constans efforts pour faire triompher, dans la limite des intérêts de la France, le gouvernement de la reine, c'est là le meilleur gage, le meilleur, le plus sûr que nous ayons à offrir à notre pays.

M. Guizot n'avait traité qu'avec une extrême réserve la

question du changement de cabinet, M. Pelet de la Lozère (l'un des ministres du 22 février), s'est expliqué plus franchement.

«Jamais, disait-il en susblance, jamais au sein du cabinet du 22 février il n'a été question d'une intervention armée proprement dite, sous les couleurs françaises. Deux honorables membres du cabinet, M. Thiers et M. Passy, ont dit qu'ils avaient été favorables à l'intervention; mais c'était leur opinion personnelle; le cabinet n'a voulu, encore une fois, que ce qu'a voulu le cabinet du 11 octobre. Le cabinet du 22 février n'a été dissous que pour une misérable question d'ajournement; il s'agissait de savoir si, après les événemens de la Granja, on continuerait d'envoyer des secours à l'Espagne. Au milien de cette hésitation, qui était encore une menace pour la contrerévolution espagnole, est arrivé le cabinet nouveau, qui a tranché la question dans le discours du trône, par une déclaration que personne ne lui demandait.

« Nous voulions continuer le système du 11 octobre, et je m'en porte hautement ici le défenseur, lorsque le cabinet du 11 octobre n'a plus de défenseur dans cette Chambre. Comme membre du ministère du 22 février, j'éprouvais le besoin d'expliquer ma pensée. Je ne saurais, par ces motifs, donner mon adhésion au projet d'adresse tel qu'il est proposé, bien que les phrases trop affirmatives dans le discours du trône aient été modifiées d'une manière essentielle par la commission. »

17 janvier. La discussion, encore remise au lendemain, commençait à fatiguer la Chambre. Mais la question traitée par M. Berryer ranima son attention. L'honorable membre se présentant comme désintéressé dans la querelle des ministères du 22 février et du 6 septembre, de l'opposition, du tiers parti et de la doctrine, semblait se jouer de leurs réticences et de leurs embarras secrets. Au fond, il croyait au ministère actuel l'envie de ne rien faire, et à l'opposition celle de coopérer, mais non d'intervenir. Il s'applaudissait de voir M. Thiers revenu dans la vérité de ses principes, c'est-à-dire d'être redevenu révolutionnaire; et, quoi que pût faire le ministère actuel, il lui paraissait s'abuser étrangement dans ses efforts. La révolution était faite, la puissance des majorités était la puissance souveraine. Le roi règne et ne gouverne pas ; le ministère luttait contre cet axiome attribué à M. Thiers.

Quant au sujet en question, à la conduite à tenir en Espagne, M. Berryer voyait que, malgré l'appui donné à la reine, don Carlos avait gagné du terrain, parce qu'en effet le vœu national était de son côté. Il 'repoussait l'idée qu'on

lui prêtait de vouloir rétablir l'absolutisme, et en trouvait la preuve dans l'attachement des provinces dont il défendait les priviléges. La royauté d'Isabelle n'était aujourd'hui qu'un fantôme on se battait autour d'elle pour des intérêts tout différens; car il n'y avait point de juste milieu possible en Espagne. Voilà pourquoi le ministère ne veut point d'intervention, pourquoi l'opposition la veut, et pourquoi dans aucun parti de la Chambre, on ne pouvait voter pour que le ministère persévère dans l'exécution du traité, comme il l'entend.

Entre les opposans au paragraphe de l'adresse relatif à l'Espagne vinrent encore un ministre du 22 février, M. Sauzet, qui regardait l'assentiment donné au système du ministère, à l'intention positivement annoncée de ne pas intervenir comme un vote en faveur de don Carlos, et deux orateurs marquans de l'opposition, MM. Mauguin et Odilon-Barrot. Le premier, voulant éloigner de la discussion tout ce qu'il y avait d'absolu dans certains principes, de trop irritant dans certaines opinions, ne se prononçait pas pour l'intervention armée, mais pour des secours d'argent, comme on l'avait fait pour la Grèce. Il demandait pour la cause d'Isabelle un appui moral, des témoignages de sympathie, des croix de la Légiond'Honneur à distribuer aux braves de l'armée espagnole, etc.; et le second désavouait, au nom de l'opposition, l'idée de vouloir donner une organisation politique à l'Espagne; c'étaient des secours qu'on demandait pour un gouvernement ami contre un ennemi commun; il fallait servir l'Espagne en servant la cause de la France, éteindre un incendie qui nous menace. Ce qui avait tant alarmé, ce qu'on avait poursuivi dans la constitution espagnole de 1812, c'était le principe de la souverainté nationale qu'elle avait remis en vigueur. Sans doute l'opposition avait d'abord soutenu franchement le principe de la non intervention, principe glorieux et juste, mais violé par l'Autriche en Italie: on ne pouvait plus l'invoquer. On ne pouvait, en face de la France, où vibrent encore tant

de passions généreuses, adopter un système de neutralité entre les deux puissances (le droit divin et la souveraineté du peuple) qui se disputent l'Europe.

Après ces discours, auxquels répondirent MM. de Rémusat, Hervé et le ministre de l'instruction publique, à l'appui du paragraphe de la commission, un amendement proposé par M. Boissière, plus explicite que la rédaction de la commission sur les vœux que faisait la Chambre pour la cause de la reine Isabelle et le triomphe de la monarchie constitutionnelle en Espagne et qui semblait prévoir le cas d'une intervention armée, donna occasion à M. le président du Conseil et à M. Thiers de remonter à la tribune, et engagea de nouveau la querelle des deux cabinets du 22 février et du 6 septembre; mais, en définitive, l'amendement auquel toutes les nuances de l'opposition s'étaient ralliées fut écarté, à la majorité de 251 voix sur 391 votans, et le paragraphe de la commission fut adopté à la même majorité.

Cette question capitale, où il allait de l'existence du cabinet, résolue, on arrivait au paragraphe relatif à l'expédition de Constantine. M. Sivry, rappelant les dispositions prises par le Gouvernement et par le général en chef qui l'avait dirigée, n'attribuait ce désastre qu'à l'intempérie des saisons. Le général Bugeaud, aux yeux de qui la question était aussi grave que celle d'Espagne, en prenait occasion de discuter le genre de guerre qu'il fallait faire aux Arabes. La paix n'était possible avec eux qu'après la victoire; et, pour l'assurer, il ne fallait pas moins de 45,000 hommes, et, cette paix faite, obliger les indigènes à bâtir des villages, organiser la colonisation dans un rayon de 10 à 13 lieues. La Restauration n'avait conquis qu'Alger: la grande difficulté était de faire la colonisation arabe; chose impossible dans l'opinion de M. Desjobert, qui déplorait amèrement l'influence qui nous y avait poussés, et, dans la connaissance qu'il avait des faits et du pays, censurait franchement la conduite des agens du Gouvernement, et demandait une enquête et des renseigne

mens sur l'état de Constantine pour mettre la Chambre å por tée de juger sainement de l'à-propos et du succès fort incertain, suivant lui, d'une autre expédition.

Cette opinion souleva dans la Chambre des dissentimens entre M. de Rancé, aide-de-camp du maréchal Clausel, qui soutint vivement son général, et M. Baude, commissaire du Gouvernement dans cette campagne. Suivant lui, toute la responsabilité de l'expédition devait peser sur la tête du maréchal; et la discussion allait dégénérer en querelle, lorsque M. le président du Conseil fit observer qu'il n'était ni utile, ni convenable de discuter la question en l'absence du maréchal Clausel qui n'était pas de retour d'Alger. Quant au fond, le ministre repoussait les demandes de M. Desjobert; mais il ne déclinait pas la question qui devait se reproduire lors de la discussion des crédits supplémentaires à demander. La Chambre, frappée de la justesse et de la convenance de l'observation, écarta les amendemens proposés, et remit à une autre époque l'examen de cette importante question à laquelle nous ramènerons nos lecteurs. (Voyez chap. V.)

Venait enfin le paragraphe relatif à l'affaire de Strasbourg, dont le jugement déféré à une Cour d'assises ouvrait un champ large à l'irritation des partis ; la sagesse de la Chambre sut s'en préserver.

Ce paragraphe était ainsi conçu :

« Une grande ville a vu éclater dans ses murs une tentative de révolte aussi insensée que criminelle, et cet effort impuissant a montré que rien ne saurait ébranler la fidélité de notre armée et le bon esprit des populations. »

M. Salverte trouvait le paragraphe bon, mais très incomplet, en ce qu'il n'y était point fait mention d'une circonstance dont la Chambre devait sentir toute la gravité, c'est-à-dire de la soustraction d'un des accusés (du prince Louis Napoléon) à l'action de la justice.

On avait entendu citer un précédent fameux qui semblait justifier cet acte (relatif à la duchesse de Berri), comme ayant eu l'approbation de la Chambre. Mais M. Salverte rappelait au

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