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souvenir de ses collègues que toute l'opposition avait protesté contre cet acte souverainement illégal, et qu'en même temps elle avait exprimé le désir que, force étant rendue à la loi, sa grâce, s'il y avait condamnation, vînt immédiatement après.

L'orateur n'admettait point, comme on l'avait dit à la tribune législative, que des familles privilégiées pussent impunément troubler le repos de l'Etat, soulever les citoyens, les armer les uns contre les autres, faire couler le sang, envoyer en prison ou à l'échafaud les malheureux qu'elles auraient égarés, et qu'elles dussent être éternellement impunies, éternellement hors de l'atteinte des lois. Aux termes de la Charte et suivant la justice, tous doivent être égaux devant la loi; et, du moment que le Gouvernement s'est permis un acte qui soustrait à la justice un accusé et qui laisse les autres sous le coup de la loi, il y a acte illégal et atteinte à la Charte. On avait dit encore, pour excuser le fait, que le roi avait droit d'amnistier et de faire grâce. Mais M. Salverte répondait que la grâce n'a rien de commun avec l'amnistie, et ne peut avoir lieu avant la procédure; qu'en droit, l'accusé appartient au pays qui veut avoir justice de ses actions après en avoir souffert; qu'il appartient à ses coaccusés; que de sa présence dépend la connaissance d'une multitude de circonstances qui peuvent être utiles à la justification des personnes compromises dans la même accusation; que de sa présence dépend la connaissance complète des faits qui peuvent atténuer le délit, et même le faire disparaître.

« Dans cette position, disait M. Salverte, il importe qu'un pareil acte ne se passe pas sans qu'on connaisse l'opinion de la Chambre, ou plutôt sans que la Chambre fasse justice d'une mauvaise mesure prise avec de bonnes intentions, mais qui détruit tout-à-fait la confiance que les citoyens doivent avoir de l'impartialité, de la pleine liberté de la justice criminelle. »>

Et, pour atteindre ce but, il proposait d'ajouter ce qui suit au paragraphe en discussion :

<< Mais nous regrettons qu'on ait soustrait arbitrairement à l'action de la justice l'homme que les apparences désignaient comme le chef et l'instigaAnn. hist. pour 1837.

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teur de la révolte, en même temps qu'on appelait sur les personnes arrêtées avec lui la sévérité des lois. >>

L'amendement, faiblement appuyé, fut rejeté à une immense majorité.

Mais M. Dupin, quittant alors le fauteuil présidentiel pour prendre la parole, n'en crut pas moins devoir faire une sorte de protestation qu'il faut recueillir pour le respect des principes, et pour l'honneur de la magistrature.

« La chose la plus grave, dans un état constitutionnel, celle dont, pour ma part, je suis toujours le plus affecté, c'est le déplacement des pouvoirs. Je n'aime l'usurpation de quelque côté qu'elle vienne, même pour ce qu'on pourrait appeler un bon motif; car je sais par expérience que les plus fàcheuses entreprises ont eu de favorables prétextes; et c'est lorsqu'on les laisse passer sans y appliquer une légitime contradiction qu'on voit ensuite dégénérer en abus des choses dont on prétend faire une règle générale. Cest ce qui arriverait en France en matière criminelle, si, avec modération, mais pourtant avec la fermeté et la franchise qui conviennent à des gens de bien, lorsqu'un fait de ce genre est arrivé, il n'y était pas apporté une légitime contradiction. Un premier fait exorbitant avait eu lieu, on s'en est autorisé pour en construire un second; et des deux réunis on voudrait faire une règle générale, qui, ainsi formulée, rendrait impossible désormais de faire le procès à des factieux d'une certaine qualité, et qui permettrait seulement de faire justice du commun des mortels, sans pouvoir jamais atteindre les chefs d'une insurrection. Voilà ce que je ne puis admettre; je ne puis admettre d'exception pour personne. J'ai pour les races royales une grande vénération; j'ai un respect sans bornes pour celui qui règne, j'ai un respect porté très loin pour ceux qui sont assis auprès du trône; mais je fais cette immense différence: c'est que celui qui règne est inviolable, tandis que tous les autres sont sujets de la loi et justiciables des tribunaux.

« Et jugez, messieurs, ce qui en serait d'une pareille jurisprudence, lorsqu'il y a des prétendans de différente nature, des prétendans de différentes races, et qui se tiendraient pour-dit qu'il est de jurisprudence gouvernementale en France que la seule peine qu'ils encourraient, s'ils venaient attaquer notre roi, notre dynastie, la paix de l'Etat, nos institutions, ce serait d'être renvoyés, suivant leur qualité, sur une corvette, une frégate, ou peut-être sur un vaisseau de ligne. (On rit.) »

Examinant ici le droit de grâce et d'amnistie donné au roi, M. Dupin n'y trouvait pas la justification de l'acte en question....

« Je suis heureux, disait-il, de ne pas rencontrer lå le nom du ministre de la justice (l'ordre du Gouvernement de remettre le prisonnier était signé des ministres de la guerre et de l'intérieur). La justice a été violée pendant vingt-quatre heures le jour où un pareil ordre a été donné; et, sans faire ici dégénérer mes paroles en accusations, qu'elles soient seulement considérées comme une déploration du fait. Mais au moins ce n'est pas la justice qui a prêté la main contre la justice, c'est la police, c'est la force,

c'est l'intérieur et la guerre. On donne à cet acte, à ces enlèvemens, une raison politique. Hélas! je ne veux pas, je le répète, que mes paroles dé-génèrent en accusation, mais qu'il y ait une simple déploration du fait, de la nécessité du fait, si c'en a été une, mais avec l'allégation des principes, avec l'expression de cette confiance que deux abus ne feront pas une règle, qu'à l'avenir on ne se croira pas autorisé à faire une troisième fois ce qu'on a déjà fait deux fois abusivement; en un mot, il faut qu'on se tienne pour bien averti. C'est ainsi que, s'il avait été question d'un bill d'indemnité, il aurait fallu placer le principe à côté; mais dans l'intérêt de la règle même, nous avons mieux aimé que ce bisl d'indemnité ne fût pas écrit.

« J'espère que les amis de la loi et de la justice me sauront gré d'avoir interposé ma voix, quoique bien fatiguée, pour protester au nom des principes dont je suis l'inébranlable défenseur. »

Le ministère ne pouvait pas rester muet à cette protestation de l'un des chefs de la magistrature; aussi M. Martin du Nord, ancien procureur-général, aujourd'hui ministre des travaux publics, s'empressa-t-il de prendre la parole pour y répondre..

Ici, le ministre commençait par citer plusieurs circonstances où l'on était sorti du droit commun, circonstances graves où il s'agissait de l'intérêt de l'Etat, et il rappelait le jugement du ministère en 1830, la loi d'avril 1852 qui bannissait du territoire les membres des deux familles qui avaient régné sur la France et l'affaire de la duchesse de Berri, qu'on avait soustraite à la poursuite d'une Cour royale, circonstance où la Chambre avait reconnu que le Gouvernement avait cédé à une nécessité qu'il avait dû subir, et qu'il n'avait démérité ni de cette Chambre, ni du pays en prenant cette grave détermination.

« Au mois de novembre 1836, dit le ministre, le Gouvernement s'est trouvé dans des circonstances analogues. Un jeune homme portant un nom illustre est entré sur le territoire ; il a été saisi les armes à la main ; il avait entraîné quelques hommes qui avaient cédé à je ne sais quelles funestes suggestions; il a été arrêté et conduit en prison. Certes, régulièrement il aurait dû y rester et paraître sur les bancs de la Cour d'assises. Le Gouvernement n'a pas cru devoir le permettre. Ici, sans doute, la sûreté de l'Etat n'était point en question; assurément le jugement de Louis Napoléon Bonaparte n'eût pu compromettre un instant le repos de la France; le Gouvernement est assis sur des bases assez solides pour résister à une pareille épreuve.

«Mais n'y a-t-il de nécessité que celles qui puisent leur source dans la sûreté et le repos du pays? N'y a-t-il pas dans les sympathies, dans les souvenirs populaires, quelque chose qu'il faut écouter quelquefois et savoir respecter ?

Eh bien! ce sont ces motifs qui nous ont déterminés : nous avons pensé

qu'un Gouvernement fort pouvait être généreux; que, si quelquefois il était permis à un cabinet de se mettre au-dessus des lois, le moment était venu. »>

Quant à ce qu'on avait dit que la détermination du Gouvernement était un encouragement à tous ceux, à quelque famille qu'ils appartiennent, qui voudraient imiter Louis Napoléon, le ministre n'admettait pas qu'en pareille matière, il y eût des précédens... Tout dépendait des circonstances et des faits, de l'état de l'opinion publique et des besoins du pays, faits que le Gouvernement aurait toujours à examiner et la Chambre à juger......

« Voilà la vérité, dit le ministre en terminant. Nous avons dit les motifs de notre conduite, nous avons parlé avec une entière franchise, une sincérité compléte; nous sommes persuadés que si vous aviez été à notre place, vous n'auriez pas hésité à agir comme nous l'avons fait. »

Après ces observations, auxquelles M. Dupin répliqua dans l'intérêt du grand principe de l'égalité devant la loi, la discussion de l'adresse n'offre que peu de chose à relever.

Les paragraphes sur les grâces particulières accordées à des condamnés politiques, ni l'annonce des lois qui devaient être présentées dans l'intérêt de la famille royale, ne donnèrent lieu à aucune observation. Un seul amendement proposé par M. Barre, ayant pour objet d'appeler la sollicitude du Gouvernement sur la détresse de l'agriculture, fut ajouté à l'avant-dernier paragraphe, et l'ensemble de l'adresse, mis à l'épreuve du scrutin, fut adopté à une majorité de 85 voix (242 contre 157), majorité forte, mais dont l'opposition ellemême se consola, en se voyant si nombreuse.

En résultat, cette discussion mémorable où les partis avaient fait l'essai de leur force, leur avait donné à tous des leçons, et ne les laissait pas sans inquiétudes. On y avait vu la majorité du 11 octobre se reformer; et le président du 22 février, qui s'était flatté de fortifier le tiers-parti et d'entraîner l'opposition dans son système, se voyant, malgré le prestige de son talent et le pouvoir de son éloquence, forcé de se jeter lui-même dans une voie contraire à celle qu'il avait suivie, de subir l'alliance de cette opposition qu'il voulait dominer,

n'était pas sans embarras de sa position. Il sentait qu'au lieu de la gouverner, il allait être emporté par elle. De son côté, le ministère du 6 septembre ne pouvait pas trop se faire illusion, ni compter sur la constance d'une majorité qu'il devait à des craintes plus qu'à des convictions, majorité dont la dernière session avait ébranlé la foi politique, et dont celle-ci reproduira les vacillations.

Au moment même où le ministère du 6 septembre obtenait ce succès équivoque, il recevait de Strasbourg la nouvelle de l'acquittement de tous les accusés prévenus de complicité ou de participation dans la folle entreprise du prince Louis Napoléon.

Jamais cause n'avait été portée devant une Cour d'assises avec tant d'appareil, et n'avait excité tant d'intérêt. Les fonctions du ministère public y étaient exercées par le procureurgénéral et l'avocat-général de la Cour royale de Colmar.

Au premier rang des sept accusés présens était le colonel Vaudrey, commandant le 4e régiment d'artillerie en garnison à Strasbourg, qui avait cu une entrevue avec le prince aux eaux de Bade, et le commandant Parquin, chef d'un escadron de la garde municipale de Paris, marié depuis quelques années à une lectrice de la reine Hortense (mademoiselle Cochelet).

Aucun des accusés ne désavouait sa participation à la tentative du prince. Les dépositions et les débats, qui se prolongèrent pendant douze jours, n'offrirent que des faits déjà connus ou des détails d'intérêt privé qui appartiennent plus spécialement à notre Chronique. (Voy. art. du..... janvier.)

Ce qu'il y faut remarquer dans l'intérêt de l'histoire, c'est que le complet n'avait été que légèrement conçu et vaguement concerté.

Le prince qui, à défaut de faits, s'était recommandé de quelques écrits militaires, avait tenté la fidélité des généraux Exelmans et Voirol par des lettres auxquelles ils n'avaient

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