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« On a objecté que ce sont les villes qui paient les commissaires; cela est vrai cependant, dans la plupart des villes, le Gouvernement leur donne un supplément de traitement. Nous leur accordons de plus des gratifications pour les services extraordinaires. D'ailleurs on pourrait citer les receveurs municipaux qui sont nommés par le Gouvernement et payés par les communes. II en est de même des ministres du culte.

« Il est surtout une considération politique qui empêche le Gouvernement d'abandonner la nomination des commissaires de police. Ainsi, qu'on suppose une ville frontière dont le conseil municipal serait entièrement composé de légitimistes, faudrait-il que le maire pût nommer le commissaire de police chargé de surveiller les menées qui auraient pour but d'ouvrir la porte à un prétendant ou à un ennemi?

«En voilà assez, Messieurs, pour vous démontrer que le Gouvernement trahirait tous ses devoirs s'il renonçait au choix des commissaires de police; jamais il n'y consentira; et, quelque ministère qui se succède ici, Messieurs, s'il est pénétré de ses devoirs, il ne fera jamais une pareille concession. Il ne consentira jamais à souffrir que la nomination des commissaires de police lui soit enlevée. »>

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Selon M. Lherbette, la proposition de la commission n'était que la consécration d'un droit préexistant, établi par la loi de fructidor an VIII, et détruit par le décret du 19 nivôse an XI. D'ailleurs il ne pensait pas qu'on dût s'alarmer de la présentation d'une liste de candidats. Chaque jour on voyait le Gouvernement sanctionner les choix indiqués par l'autorité municipale, et il n'y avait pas raison de s'en défier pour la nomination des commissaires de police.

2 février. La question remise au lendemain n'en fut que plus vivement discutée. Entre les orateurs qui s'y firent entendre parurent d'abord M. Gaillard Kerbertin, qui regardait la présentation d'une liste de candidats qui forcerait ou restreindrait les choix du Gouvernement, comme l'abandon de sa prérogative en ce qui importe essentiellement à la sûreté de l'Etat; M. Dugabé, qui ne voulait considérer les commissaires de police que comme l'agent de la police municipale, ou comme l'espion du maire, s'il était à la nomination pure et simple du Gouvernement; M. Augustin Giraud, qui voyait dans la disposition présentée une impossibilité, une hérésie administrative, et qui, répondant à des objections plusieurs fois répétées, soutenait qu'un préfet, quel qu'il fût, ne pourrait imposer à un maire un commissaire de police qui ne lui conviendrait pas.

« Soyons de bonne foi, dit ensuite M. Odilon Barrot, si les commissaires de police n'étaient chargés que de l'exécution des arrêtés de police, s'ils n'étaient chargés que de constater les crimes en cas de flagrant délit, s'ils n'étaient chargés que de certaines fonctions de police judiciaire ou administrative, la question ne s'élèverait pas; le Gouvernement et nous, nous serions tous d'accord pour laisser aux maires le soin de choisir les espèces d'aides-de-camp qui les assistent dans l'exercice et l'accomplissement de leur mission municipale, Vous n'y verriez pas tant de difficultés.

« Vous avez beau parler de la consistance personnelle du commissaire de police, de son caractère politique, vous avez oublié que M. le ministre de l'intérieur parlait aussi de ses opinions. Eh bien ! s'il a des opinions qui déplaisent au Gouvernement existant, s'il n'est pas un instrument très docile dans des élections politiques, s'il a le malheur par cela même de lui inspirer de la défiance, alors les instructions au commissaire de police, du préfet ou du sous-préfet deviendront de plus en plus rigoureuses, et l'action du maire se trouvera de plus en plus neutralisée dans sa localité. S'il se soumet, il n'est plus qu'un instrument, il se dégrade ou il est en conflit perpétuel avec votre autorité. C'est ce qui arrivera dans un temps plus ou moins éloigné, si vous n'adoptez la disposition de votre commission. >>

« Je ne lutterai point de théories avec l'hon. préopinant, répondait le commissaire du Gouvernement (M. de Remusat) à l'orateur de l'opposition; mais je dirai à la Chambre que nous tenons qu'aux termes de la Charte, le Gouvernement est le gardien de l'ordre public et l'administrateur général de l'Etat; que, par conséquent, toutes les fois que lordre public est intéressé, que l'administration générale est engagée, le Gouvernement doit y porter la main; qu'il n'existe aucune autorité chargée de veiller à l'ordre public qui ne relève de lui, parce qu'il n'en est aucune dont les actes ne puissent compromettre sa responsabilité. Les pouvoirs municipaux dont on a parlé sont de véritables autorités d'institution, des créations de la loi; et leur puissance est tellement peu revêtue d'un caractère propre, elle existe si peu par ellemême, que vous avez donné au pouvoir supérieur le droit d'annuler, de réformer, de suspendre tous ses actes. Est-ce là un pouvoir propre et que la loi trouve préexistant et n'institue pas ?

«La Charte a pensé, et vous avez pensé avec elle, qu'il était d'une bonne administration de déléguer cette portion de pouvoir à l'administration locale; qu'il était en harmonie avec les principes de notre Gouvernement de donner à cette administration municipale et communale le contrôle d'une autorité élective, tel qu'il existe dans les conseils municipaux. Voilà ce que vous avez pensé, vous avez pensé comme la Charte; mais vous n'avez pas songé à dépouiller le Gouvernement de son caractère de chef de l'administration générale; vous n'avez point voulu lui ravir son droit de veiller à l'ordre public, ni son devoir d'en répondre devant vous.

« J'applique ces idées générales à la situation du commissaire de police. Le commissaire de police, ce magistrat de sûreté, comme l'appelait une ancienne loi, est l'auxiliaire de la police municipale et de la police judiciaire. Nous avouons que, dans un grand nombre de cas et dans la grande majorité des communes de France, la police municipale n'intéresse pas essentiellement l'ordre public; mais il y a certains cas, il y a un certain nombre de communes où, dans l'exercice de ses fonctions, la police municipale intéresse l'ordre public, et dès lors il faut que le Gouvernement y porte les yeux et souvent la main. Quant à la police judiciaire, elle intéresse beaucoup plus essentiellement, beaucoup plus souvent l'ordre public, et encore là il est naturel que le magistrat auxiliaire de la police judiciaire dépende principalement du Gouvernement.

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Enfin, il y a des mesures de sûreté générale, vous en avez parlé dans

votre loi même, et de ces mesures, le commissaire de police en est l'exécuteur naturel.

« Il en résulte que, dans beaucoup de cas, surtout dans les grandes communes où la police municipale et la police judiciaire intéressent l'ordre confié à la garde de l'Etat, et que toutes les fois que des mesures de sûrele générale sont prescrites, que dans ces communes et dans ces cas le commissaire de police est l'exécuteur des volontés du Gouvernement, chargé de veiller à la sûreté publique, et que, par conséquent, le Gouvernement doit avoir la part principale, la part dominante dans sa nomination. C'est ce qui n'arriverait pas si vous adoptiez le paragraphe proposé par votre commission.

« Voter ce paragraphe, c'est déclarer deux choses, d'une part que les comsaires de police seront toujours choisis dans la localité; car le maire apparemment ne présentera jamais que les personnes qu'il connaît, c'est-à-dire des habitans de la localité.

«En second lieu, décider que les commissaires de police ne seront pris que dans la localité, c'est dire également qu'ils ne pourraient jamais avoir de l'avancement, et que lorsqu'ils auront rendu de vrais services au pays, ils ne pourront pas songer à obtenir la récompense de ces services et à recevoir du Gouvernement la preuve qu'ils ont bien mérité de lui; c'est interdire à ceux qui se montreraient capables d'exercer leurs fonctions sur un plus grand théâtre, c'est leur interdire la faculté de servir plus utilement l'Etat, et dans des circonstances plus grandes qui les désignent plus hautement à l'estime publique et à la reconnaissance du Gouvernement.

« Plus je vois marcher la discussion, dit M. le commissaire du roi en terminant, plus je m'applaudis que la loi n'ait été et pu être votée qu'à cette session, et la Chambre ne peut que gagner à se montrer de jour en jour plus pénétrée du véritable esprit du Gouvernement.

« Je supplie donc la Chambre de regarder cet article comme aussi important que le regarde le Gouvernement lui-même. Nous voyons là une question d'intérêt général, une question qui engage l'administration; encore une fois elle ne recule pas devant la responsabilité; mais nous demandons à la Chambre que cette responsabilité soit supportée par une autorité libre, par une autorité dont les mains ne soient pas liées par une autorité inférieure, et qui dispose des agens chargés de prêter main forte à ses volontés d'ordre public dans toutes les grandes communes de France. >>

La matière était épuisée, et l'opinion de la majorité plusieurs fois manifestée dans le cours de la réplique de M. de Rémusat, repoussa la candidature proposée. Il faut remarquer ce vote comme un des plus significatifs de la session. L'extrême gauche seule persista pour soutenir l'article de la commission.

5 février. La Chambre ayant voté la partie de la loi qui fixe les attributions du maire et qui constitue en quelque sorte le pouvoir exécutif de la commune, entra dans l'examen de celles des conseils municipaux et des objets qui devaient être soumis à leurs délibérations, en ce qui concerne la propriété et jouissance des biens communaux, les revenus, les recettes et dépenses.

Il fut fait au sujet du 5e paragraphe (propriétés communales) des observations qui ne sont pas sans intérêt historique. C'est un fait singulier à remarquer que dans un pays civilisé comme la France, où les arts ont fait tant de progrès, où les terres ont acquis tant de valeurs, il reste encore plus de 20 millions d'hectares improductifs, soit en terres vaines et vagues, soit en pâturages abandonnés aux bestiaux, soit en bois dont les produits sont partagés aux habitans ou affermés au profit des communes. Dans plusieurs départemens, à l'époque de la révolution, les habitans avaient procédé au partage; la loi intervint pour l'empêcher ou du moins le suspendre; dans la plupart des communes, on se borna à s'en partager la jouissance et les fruits; dans les mieux administrées, on les amodia pour en faire servir le revenu à leurs dépenses. En 1812 et 1813, les besoins de la guerre avaient • déterminé Napoléon à faire vendre une partie de ces biens, dont le produit devait être placé en rentes sur l'Etat au profit des communes. Enfin le Gouvernement appréciant l'importance de ces richesses négligées et surtout la nécessité de les mettre en valeur, s'était décidé à consulter les conseils généraux sur les moyens à prendre pour y parvenir. Il ne s'agissait ni d'en provoquer l'aliénation, ni d'en faire le partage, mais seulement de déterminer les communes à en faire un meilleur usage. Cependant quelques conseils généraux et un grand nombre de communes ayant cru voir dans la législation ancienne une reconnaissance positive de propriété pour les habitans, en avaient demandé le partage. Telle se présentait la question soulevée par MM. Laurence et Mauguin à l'occasion des attributions municipales, mais que le ministre de l'intérieur éluda sans se prononcer ni pour l'aliénation ni pour le partage, attendant là-dessus que la matière cût été traitée plus mûrement dans les conseils généraux.

Les attributions des conseils municipaux furent déterminées à peu près comme on les voit dans la loi, sans beaucoup d'opposition; mais la question de la publicité de leurs séances et de leurs débats fut assez vivement controversée.

Le Gouvernement ne voulait ni de l'un ni de l'autre. La commission, en admettant le huis-clos des séances et sans se dissimuler les abus que pouvait entraîner la publication des débats, en fournissant un aliment aux passions, aux vanités mesquines et turbulentes, avait pensé qu'il n'était ni convenable ni possible de la frapper d'une interdiction absolue, et elle s'était bornée à retrancher la seconde partie de l'article potant que leurs débats ne peuvent être publiés.

M. Gaillard de Kerbertin s'éleva contre cette suppression qui laissait en effet aux conseils municipaux la faculté de publier leurs délibérations, publicité qui ne servirait, disait-il, qu'à flatter l'amour-propre de quelques orateurs de bourgades et à rendre les débats interminables, et il demandait du moins que ces débats ne pussent être publics qu'avec l'autorisation du préfet.

M. Vivien, le rapporteur de la commission, soutenait le retranchement du paragraphe, faisait observer qu'il n'avait pas cru devoir interdire la publicité contre laquelle il n'y aurait d'ailleurs aucune sanction pénale, et que quant à l'abus que l'on pourrait faire de ces sortes de publications, l'administration supérieure avait entre ses mains un moyen d'empêcher les conseils municipaux de les faire aux dépens de la commune, en refusant toute allocation de fonds demandés à cet effet. Dailleurs la commission avait pensé qu'on ne pouvait empêcher que des particuliers ne fissent eux-mêmes la publication, et cette publicité lui semblait utile. Dans un grand nombre de circonstances il était de l'intérêt de la commune et de l'administration elle-même que l'opinion publique fût appelée à examiner, à contrôler les objets mis en délibérations dans le sein du conseil municipal.

Entre les adversaires et les partisans de la publicité, M. A. Giraud proposait un moyen terme, en l'autorisant pour la délibération, mais non pour les débats. Il est à remarquer que le ministère ne prit point la peine de combattre le retranchement de la prohibition contenue dans son projet, mais

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