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ainsi conçue: Je propose de décréter: 1° chaque citoyen aura droit d'accuser, en se soumettant à la responsabilité; 2o qu'il y aura auprès de chaque tribunal de district un commissaire du roi, chargé de poursuivre les délits qui n'auraient point été dénoncés par les citoyens (1). »

M. Barère mettait en avant un autre système, emprunté, comme ce dernier, au moins en partie, aux institutions romaines : « Je viens vous proposer, disait-il, une importation aussi morale 'que politique, qui, en ôtant la poursuite des crimes aux passions particulières, aux erreurs individuelles, rendra l'accusation publique aussi utile qu'honorable, aussi claire qu'importante: un censeur public sera établi dans chaque tribunal de district. Effaçons le nom affligeant d'accusateur. Il sera nommé par le peuple au scrutin individuel et à la majorité absolue des suffrages; il sera perpétuel. Ainsi, par sa nomination populaire et son institution durable, il existera pour le peuple et contre le peuple; il sera destituable pour forfaiture, ce qui est l'unique remède à la perpétuité des fonctions; il sera gratuit, car c'est un grand honneur d'être nommé le censeur public de sa patrie. Il provoquera la poursuite et ne la fera point; il administrera les preuves et ne les jugera point; il affirmera le fait et ne citera pas la loi ; il préparera et ne consommera rien: l'officier du roi poursuivra

(1) Séance du 9 août 1790. Réimpression du Moniteur, t. V, p. 348 et 351.

le délit, jugera les preuves, indiquera les lois (1).» M. Bouchotte proposait une troisième théorie qui, suivant lui, devait concilier toutes les difficultés: c'était de constituer deux accusateurs, l'un nommé par le roi, l'autre par le peuple, et dont les deux actions devaient concourir au même but: « Celui qui est chargé du pouvoir exécutif, disait l'orateur, doit avoir le droit de se plaindre lorsque la loi est violée, sans quoi il lui manquerait une partie essentielle de ses fonctions; mais s'il a le droit de poursuivre, la société a un droit bien plus indispensable encore, et elle doit exercer ce droit. » Cette proposition se résumait dans les termes suivants: « Les commissaires du roi doivent intenter les accusations publiques. La société a aussi le droit de nommer des accusateurs particuliers. Les plaintes seront faites à la requête du commissaire national et du commissaire royal. Celles qui seront communiquées à l'un devront aussi l'être à l'autre. Le commissaire du roi ne pourra se désister que de l'avis du commissaire national (2).

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Aucune de ces théories ne séduisit l'assemblée. Le rapporteur, M. Thouret, résuma cette longue discussion et contribua puissamment à dissiper les hésitations qui divisaient les esprits: « Il faut, dit l'orateur, réduire la question à ses termes les plus simples: l'accusation publique sera-t-elle déléguée

(1) Eod. loc., p. 356.

(2) Séance du 10 août 1790. Réimpression du Moniteur, tom. V, p. 357.

aú roi ? sera-t-elle exercée par les officiers qu'il nommera?....... L'accusation publique tient essentiellement à l'ordre judiciaire, et l'ordre judiciaire entier n'est qu'une partie de la constitution. Quel est le principe constitutionnel? c'est qu'il faut avoir, dans la distribution sage et régulière des pouvoirs, une attention soutenue à ne mettre dans le pouvoir exécutif que ce qui lui appartient réellément, et à mettre dans le pouvoir populaire tout ce qui peut être exercé par des officiers élus par le peuple. Ce principe est adopté par la nation; il devient pour nous une impérieuse loi... On s'est appuyé sur ce sophisme que le pouvoir exécutif n'existait que pour la nation; ce principe est vrai en lui, mais il n'est pas juste quand on s'occupe de constitution; ainsi le pouvoir exécutif n'étant pas la nation, n'agissant pas constitutionnellement pour elle, ce n'est point à lui à nommer les accusateurs públics. Le pouvoir judiciaire influe chaque jour sur les citoyens; vous ne l'avez pas confié au pouvoir exécutif, parce que le pouvoir exécutif et le pouvoir de juger, c'est le despotisme. Le pouvoir d'accuser est également un pouvoir de chaque jour, il intéresse également le peuple; sa cumulation avec le pouvoir exécutif opérerait une tyrannie judiciaire également absurde et désastreuse... Ce qui appartient au pouvoir exécutif, c'est l'exécution de la loi, appliquée par un jugement à tel individu. Quant à la plainte et à la poursuite, d'où naît le ugement, l'une et l'autre appartiennent au peuple.

Les rois n'ont jamais usé du droit d'accusation comme d'un droit inhérent à la couronne ; ils ont, ainsi que pour le droit de juger, été obligés de l'aliéner à titre inamovible. Le pouvoir exécutif n'a donc aucun droit à revendiquer l'accusation publique, qui est toute populaire dans son objet... Les tribunaux ont deux attributions: l'une de rendre la justice aux particuliers; l'autre, bien plus grande dans son objet, est la conservation du corps politique, du mode de gouvernement établi ; c'est sous ce rapport que l'accusation publique importe à la constitution. Qui croira que, pour assurer la liberté, on a pensé à en faire une institution ministérielle? C'est par le moyen de l'accusation que l'on pourra découvrir les complots, éclaircir les mouvements qui les précèdent, veiller à la sûreté publique, et à ce que la constitution ne soit pas attaquée. On dit qu'avec des jurés et des juges un accusateur public est inutile; mais les jurés et les juges n'assurent qu'une seule chose, c'est un jugement impartial. Il y a deux choses: accuser, puis juger; vous avez institué le jugement; il faut donc instituer l'accusation. Il y a deux abus possibles : ne pas agir quand l'intérêt public l'exige, ou agir d'une manière opposée à l'intérêt public. Dans le premier cas, ni les jurés ni les juges ne peuvent empêcher l'abus, car avant d'agir, il faut une accusation. On dira mais les dénonciations? le dénonciateur ne s'adresse qu'à l'accusateur public: si cet accusateur n'agit pas, dira-t-on encore, les

parties rendront plainte. Cela est bon pour les délits, pour des affaires particulières. On ajoutera que les juges pourront suppléer au refus que l'accusateur ferait d'agir; mais il faudra que ce refus ait assez duré pour que le dénonciateur se décide à frapper l'oreille du juge; et combien il s'écoulera de temps pour achever et exécuter le complot pour la soustraction des preuves, pour l'évasion des coupables! Les jurés et les juges empêcheront seulement que les accusations téméraires n'arrivent au dernier degré ; mais une fausse accusation fait courir les chances fâcheuses des témoignages, des méprises de jugements; mais il paraît impossible que les jurés opèrent sans arrestation, mais souvent les décrets sont rendus sur un commencement de charges; il y a donc pour le citoyen une véritable oppression dans un commencement d'accusation, quoiqu'il ne doive pas en redouter les suites. Vous laisseriez donc le gouvernement armé de la verge terrible de l'accusation, qui, ainsi que les lettres de cachet, deviendrait bientôt le dernier degré du despotisme. Je ne vois que la décapitation sans forme de procès qui soit au-dessus des injustices possibles par les accusations ministérielles. Toutes ces raisons conduisent à dire que le pouvoir de l'accusation publique ne peut être exercé par un officier nommé par le roi (1). »

Tels furent les motifs qui déterminèrent le vote (1) Eod. loc., p. 362.

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