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ture du débat, pour soutenir l'accusation (1). Ce dernier point n'avait point été prévu dans le projet rédigé par les comités. M. Servetz demanda, dans la séance du 27 janvier 1791, que cette omission fût réparée : « On vous propose, dit cet orateur, d'ôter à la partie plaignante la parole dans le débat. Une pareille disposition déshonorerait votre code criminel. Ce serait immoler l'intérêt de la société à celui des malfaiteurs; ce serait sacrifier le citoyen honnête et tranquille qui n'oserait jamais entreprendre une poursuite criminelle, si, dès qu'il serait engagé dans cette lice dangereuse, on devait enchaîner ses forces et commettre uniquement le succès de la défense à l'accusateur public qui sera peut-être ignorant, lâche ou passionné. On me dira peut-être que la partie civile n'a ici d'autre intérêt que ses intérêts civils. Oui sans doute, mais comment les défendra-t-elle si le crime n'est pas prouvé? Comment obtiendrai-je des réparations pour les blessures que j'aurai reçues, la restitution des effets qui m'auront été enlevés, si, lorsqu'il est question d'opérer la conviction morale par les contradictions du débat; si, lorsque l'accusé nie, que les témoins vacillent, que l'accusateur public garde le silence, moi, partie plaignante, à mes risques et périls, je suis empêché de raffermir la mémoire des témoins, de retracer les circonstances du meurtre, la quantité et la qualité des effets qui m'ont été volés; si, en un (1) Ibid., 2o p., tit. VII, art. 18.

mot, à la faveur du silence absolu qui m'est imposé, l'accusé est déclaré non convaincu? Il est donc de toute justice que la partie plaignante soit entendue (1). Cette proposition fut adoptée sans contradiction,

Ce n'est qu'après que les informations, ainsi édifiées par les officiers de police, soit d'office, soit à la requête des parties, étaient arrivées devant le directeur du jury; ce n'est qu'après qu'elles avaient été admises par le jury d'accusation, que commençaient les fonctions de l'accusateur public. Ce fonctionnaire, ainsi que nous l'avons vu et par une disposition formelle de la constitution (2), était nommé par le peuple. Mais ses attributions se bornaient à recevoir l'accusation que le jury avait admise et à la soutenir devant le tribunal criminel. L'art. 1er du tit. IV de la loi du 16-29 septembre 1791 était, en effet, ainsi conçu « L'accusateur public est chargé de poursuivre les délits sur les actes d'accusation admis par les premiers jurés, et il ne peut porter au tribunal aucune autre accusation à peine de for-faiture. » Il n'exerçait donc point, à proprement parler, l'action publique; il la soutenait seulement, quand elle était déjà formée, quand le juge de paix l'avait jugée admissible et en avait recueilli les éléments, quand un premier jury l'avait déclarée fondée; il n'avait pas réellement le droit (1) Réimpression du Moniteur, tom. VII, p. 245.

:

Const. des 3-14 sept. 1791, chap. V, art. 2.

d'accuser; il n'était que l'avocat de l'accusation.

Telle était la triple base de l'action publique dans cette législation. Elle appartenait à la fois, mais avec une mesure différente de pouvoir, aux juges de paix et aux officiers de police qui les suppléaient, aux parties lésées et aux citoyens témoins du crime, aux commissaires du roi et aux accusateurs publics. Les juges de paix en avaient évidemment la plus grande part. Chargés de procéder à l'information écrite qui, dans le droit nouveau comme dans l'ancien droit, formait la base de la procédure, ils réunissaient, comme les anciens juges, la poursuite et l'instruction; ils agissaient d'office et recueillaient eux-mêmes les éléments de l'information; ils cumulaient les pouvoirs du ministère public et du juge. Les parties lésées et les citoyens témoins d'un crime avaient deux droits distincts, celui de provoquer une information et celui d'intervenir dans le cours de cette information pour en surveiller la marche et concourir à son succès. Enfin, les commissaires du roi, si ce n'est à l'égard de certains crimes, et les accusateurs publics, n'avaient l'initiative d'aucune poursuite; étrangers à l'information, il n'intervenaient que lorsque l'accusation était formulée, et leur rôle se bornait à en développer les charges et à provoquer l'application de la loi.

Ce système, il faut le reconnaître, établi en défiance de la royauté et de la magistrature, était trop compliqué pour être efficace; il multipliait

ses ressorts pour ne pas s'abandonner exclusivementà un seul, et, privé d'unité, il était privé d'énergie. Après avoir repris à l'ancienne législation ses poursuites d'office et son enquête, après avoir placé entre les mains du même juge, comme pour lui imprimer plus de vigueur, le double pouvoir de poursuivre et d'informer, le législateur de 1791, tout-à-coup infidèle à la tradition, déshérite de la même action les juges supérieurs. Or, la poursuite d'office, qui est un puissant instrument entre les mains d'un corps de magistrature, n'est plus qu'une arme débile quand le juge n'est pas assez élevé pour être indépendant. L'action publique, devenue un droit populaire, décrétée la propriété du peuple, est déléguée en son nom à des officiers qui ne sont investis que d'une autorité insuffisante pour l'exercer. On divise les fonctions de crainte que, trop actives, elles n'oppriment la liberté, et elles deviennent impuissantes à protéger l'ordre. La poursuite, sortie des mains du juge de paix, passe successivement dans celles du directeur du jury, de l'accusateur public et du commissaire du roi, mais les attributions de chacun de ces magistrats, limitées et restreintes, s'entravent les unes les autres, et l'accusation devient plus faible à mesure que ses agents sont plus multipliés.

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Ces institutions n'eurent pas une longue durée. La Convention nationale, par un décret du 20 oc

tobre 1792, déclara que les commissaires nationaux près les tribunaux criminels étaient suppri*més et que les fonctions qu'ils exerçaient étaient attribuées aux accusateurs publics.

Ce ne fut là qu'un premier acte. L'institution du tribunal révolutionnaire transporta bientôt l'action publique, au moins en matière politique, entre les mains de la Convention elle-même : le décret du 10 mars. 1793 établissait un comité de six membres auquel toutes les dénonciations étaient renvoyées; l'accusateur public n'était que son agent. Le décret du 7 frimaire an 2 étendit même à tous les tribunaux criminels, à l'égard d'une catégorie de crimes, les formes expéditives du tribunal révolutionnaire. La procédure était portée directement devant le jury, sans instruction préalable, sans renvoi du jury d'accusation; l'accusateur public décernait les mandats d'arrêt et dressait les actes d'accusation. On ne doit pas insister sur ces dispositions qui ne furent que la conséquence passagère des évènements politiques.

La réaction ne tarda pas à se manifester. La suppression des commissaires nationaux près les tribunaux criminels avait été fondée sur les entraves que ces officiers apportaient à l'expédition des affaires. Le gouvernement directorial y vit la suppression d'une garantie et les rétablit. La constitution du 5 fructidor an 3 divisa donc de nouveau les fonctions du ministère public entre l'accusateur public et le commissaire du roi, Le Code

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