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révocables par le gouvernement dont ils étaient les agents, avaient le droit de recherche et le droit de poursuite. Quant à l'instruction, elle était placée dans les attributions du directeur du jury. « Il résulte de cette idée fondamentale du projet, portait le rapport du corps législatif, que, dans chaque arrondissement, un agent du gouvernement placé près le tribunal, recevra toutes les plaintes, toutes les dénonciations qui ont pour objet la répression d'un délit; que d'office, et sans attendre aucune réquisition, il se procurera tous les renseignements préparatoires, pour se mettre en état d'en poursuivre les auteurs auprès du directeur du jury. Telles sont les attributions de la recherche. Quant à la poursuite, on la définit en deux mots quand on dit que c'est par elle que l'agent du gouvernement se constitue véritablement partie publique. On sait que le droit d'une partie est de demander ou de requérir, mais que jamais elle ne constate son pouvoir, que jamais elle n'en juge la valeur, que jamais enfin elle ne peut porter aucune décision soit préliminaire, soit définitive. C'est au magistrat qu'il appartient d'atteindre, comme juge, celui que la partie poursuit.

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Mais cette distinction entre la recherche, la poursuite et l'instruction était-elle fidèlement appliquée pour la loi? Le substitut du commissaire du gouvernement, dans chaque arrondissement, n'exerçait-il que le droit de recherche et de poursuite? Ce magistrat était réellement subrogé au juge

de paix pour le complément des premières opérations judiciaires, ainsi que le reconnaît une circulaire du ministre de la justice du 21 floréal an 9. « En général, porte cette circulaire, ces nouveaux magistrats sont autorisés à faire tous les actes qui peuvent procurer la recherche et la poursuite des délits, de quelque nature que soient ces actes; ils peuvent recevoir des déclarations, faire saisir en flagrant délit, et, s'ils le jugent nécessaire, faire des visites et des perquisitions, interroger, entendre des témoins, dresser des procès-verbaux pour constater le corps du délit. » L'art. 7 de la loi leur conférait en outre le pouvoir de décerner contre le prévenu un mandat de dépôt. Or, il est évident que ce sont là des actes d'instruction et non pas seulement des actes de poursuite: la poursuite provoque l'information, mais ne l'accomplit pas ; elle requiert le juge d'y procéder, mais elle attend son intervention. Or, l'audition des témoins, l'interrogatoire du prévenu et son arrestation, n'estce pas l'information tout entière? Le magistrat de sûreté cumulait donc la double fonction de magistrat instructeur, chargé de procéder à la première information, et de partie publique, chargé de prendre des réquisitions auprès du directeur du jury; il réunissait les attributions du juge et celles du ministère public. Ainsi la loi qui abolissait la juridiction du juge de paix, parce qu'elle renfermait deux fonctions incompatibles, replaçait ces deux fonctions dans les mains du magistrat de

du

sûreté la seule différence était que celui-ci, au lieu d'être nommé par le peuple, était un agent gouvernement. C'est à ces termes que se résume le système de la loi du 7 pluviôse an 9 en ce qui concerne l'action publique. Nous n'avons point à nous occuper ici de ses autres dispositions.

Le législateur, après avoir rétabli le ministère public, essaya de lui imprimer une sorte d'unité. L'art. 84 du sénatusconsulte organique du 16 thermidor an 10 dispose en ces termes: Le commissaire du gouvernement près le tribunal de cassation surveille les commissaires près les tribunaux d'appel et les tribunaux criminels. Les commissaires près les tribunaux d'appel surveillent les commissaires près les tribunaux civils.» Ainsi, tous les officiers du ministère public, comme autant d'anneaux d'une même chaîne, sont placés sous une autorité commune, celle du chef du parquet de la première cour. La loi a déposé entre les mains de ce magistrat une sorte d'action suprême pour maintenir l'institution du ministère public dans la ligne tracée par la loi, pour réprimer ses écarts, pour proscrire des moyens vicieux ou des traditions surannées, pour refléter les lumières qu'il recueille au sein de la cour. Soit que l'on considère cette mission du procureur général dans ses rapports avec le gouvernement qu'il éclaire et seconde au besoin, a dit récemment un magistrat, ou dans ses relations avec les officiers du ministère public qu'il dirige par les liens d'une discipline

bienveillante et d'une surveillance fraternelle, il est impossible de trouver une attribution plus belle et plus utile, plus honorable et plus intéressante pour l'administration de la justice (1). »

Enfin la législation reprit, vers le même temps, un principe qui était comme la clé de voûte de son nouvel édifice, et que les dernières lois judiciaires semblaient avoir eu déjà en vue, sans oser l'avouer. Depuis le 15 août 1792, tous les jugements et ordonnances de justice avaient été rendus, d'abord, au nom de la nation (2), ensuite, au nom du peuple français (3), enfin, au nom de la république (4). Cette dernière formule avait été continuée sous le consulat. Mais un arrêté du 21 pluviôse an 12 commença de réagir contre le principe populaire qu'elle consacrait; cet arrêté déclarait qu'à l'avenir : « Les jugements des tribunaux, les ordonnances et les mandats de justice seraient intitulés ainsi qu'il suit Au nom du peuple français, Bonaparte premier consul de la république. » Cette nouvelle formule, qui avait pour but de concilier la souveraineté nationale avec le pouvoir exécutif délégué au premier consul, fut purement transitoire. L'article premier du sénatusconsulte organique du 28 floréal an 12 proclama nettement ce nouveau principe : « La justice se rend, au nom de l'empereur, par les officiers

(1) M. Tarbé, Lois et règlements de la Cour de cassation, pag. 100. (2) Décret du 15 août 1792.

(3) Constit. du 24 juin 1793, art. 61.

(4) Constit, du 5 fructidor an 3, art. 130.

qu'il institue. » L'empereur devint donc la source unique dont émana le pouvoir judiciaire; quelles que fussent les racines de ce pouvoir, c'était directement lui qui le déléguait : il nommait les juges, il les instituait, et les jugements étaient rendus en son nom. L'action publique, dès lors, qui déjà se trouvait placée dans les mains de ses agents, ne dut plus être considérée que comme une branche du pouvoir exécutif. La réaction était complète.

Telle était la législation, telles étaient les règles qui dominaient l'action publique, lorsque les travaux préparatoires du Code d'instruction criminelle furent entrepris.

Les rédacteurs du projet, soit que leurs regards se portassent sur cette législation, soit sur les lois antérieures, se trouvaient, comme nous l'avons vu, en présence des trois principes qui, avec plus ou moins d'étendue, ensemble ou séparément, avaient jusque-là régi cette matière :

Le principe de la poursuite par un ministère public, chargé d'assurer la répression des crimes; Le principe de la poursuite d'office par les juges; Enfin le principe de la poursuite par les parties lésées.

La poursuite par un ministère public, née au quatorzième siècle, n'avait pas cessé, depuis cette époque, de se fortifier et de prendre une part de plus en plus grande dans la pratique des affaires criminelles; elle avait acquis son plus complet développement sous l'empire de l'ordonnance de

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